L’exercice du droit de véto du maire et l’absence de signature du procès-verbal sont-ils des synonymes juridiques?

20 octobre 2021
Fédération québécoise des municipalités

20 octobre 2021

Introduction

L’exercice du droit de véto du maire constitue un droit fondamental qui peut être exercé autant en vertu de l’article 142 du Code municipal (ci-après « CM ») qu’en vertu de l’article 52 de la Loi sur les cités et villes (ci-après « LCV »).

Il s’agit du privilège du maire sur une décision du conseil ayant un effet suspensif jusqu’à la prochaine séance du conseil municipal.[1]

 En effet, si le conseil approuve de nouveau la résolution sur laquelle le maire a exercé son droit de véto, elle entre en vigueur et sera opposable à tous.

D’autre part, le procès-verbal des séances du conseil doit être signé par le maire, tel que prévu par le CMqui prévoit ce qui suit :

  1. Le secrétaire-trésorier assiste aux séances du conseil et dresse le procès-verbal de tous ses actes et délibérations dans un registre tenu pour cet objet et désigné sous le nom de « Livre des délibérations ».

Tout procès-verbal de séance du conseil doit être signé par le président, contresigné par le secrétaire-trésorier, et approuvé par le conseil séance tenante ou à la séance suivante, mais le défaut de cette approbation n’empêche pas le procès-verbal de faire preuve.

Chaque fois qu’un règlement ou une résolution est modifié ou abrogé, mention doit en être faite à la marge du livre des délibérations, en face de tel règlement ou résolution, avec la date de la modification ou de l’abrogation.

(Nos caractères)

Nous avons constaté qu’il existe à l’occasion une confusion pour les intervenants du monde municipal entre l’obligation pour le maire de signer le procès-verbal d’une séance et l’exercice du droit de véto.

L’affaire Michel Lafontaine, maire de Saint-Norbert

Le 1er septembre 2021, la Commission municipale a rendu une décision très pertinente sur les distinctions à être apportées entre la signature du procès-verbal et l’exercice du droit de véto.[2]

Dans cette affaire, il était reproché au maire d’avoir refusé de signer huit (8) procès-verbaux et de s’être placé dans ce contexte en conflit d’intérêts selon le Code d’éthique et de déontologie des élus municipaux. Les procès-verbaux que le maire avait refusé de signer avaient tous pour objet une motion de blâmes qui le concernait.

Le maire avait publié ce qui suit dans le journal local :

« 2. Si je n’ai pas signé les 8 derniers procès-verbaux. C’est que d’un mois à l’autre, on ramenait toujours l’adoption des blâmes de la séance extraordinaire du mois d‘octobre et je suivais aussi les instructions de mon avocat me disant de ne pas les signer. (À tous les mois, je recevais dès le lendemain de la séance, un courriel de la directrice générale, me menaçant que je devais signer ce procès-verbal dans les 2 ou 3 jours suivants, sinon elle demandait une séance extraordinaire. Je dois vous mentionner que l’article 201 du Code Municipal dit que le maire a jusqu’à la prochaine séance pour le signer»

Bien que la juge Sylvie Piérard a considéré que le maire était en conflit d’intérêts dans ce cas spécifique pour ne pas avoir signé les procès-verbaux, elle apporte une distinction juridique majeure entre le droit de véto et la signature du procès-verbal.

La Commission s’exprime comme suit :

[150] Dans l’affaire Denoncourt, le maire refusait de signer un procès-verbal parce qu’il avait peur que sa signature soit considérée comme une approbation des résolutions qui avaient été votées lors de ladite séance et le maire avait l’intention d’y apposer son droit de veto. Une requête en mandamus avait donc pour but de demander qu’il soit ordonné au maire de signer le procès-verbal et les résolutions qui y étaient adoptées.

[151] La Cour supérieure a déclaré que le procès-verbal constituait l’acte du secrétaire-trésorier et ne faisait que rapporter ce qui s’était passé au conseil. La Cour conclut que le maire a l’obligation de signer le procès-verbal dans les plus brefs délais à moins qu’il ne rapporte pas avec exactitude ce qui s’est dit et s’est fait lors de la séance du conseil :

« Le fait de dresser un procès-verbal n’est pas l’acte du conseil, mais celui du secrétaire-trésorier.

Le procès-verbal ne fait que rapporter ce qui s’est passé au conseil, il n’est que la relation sommaire, dans un registre, que le secrétaire, dans l’exercice de ses fonctions, fait de ce qui s’est passé ou a été fait et dit en sa présence, pendant la séance du conseil. Le procès-verbal ne constitue pas la décision du conseil et un tel procès-verbal ne peut être soumis au veto du maire.

Évidemment, un maire ou encore un membre du conseil pourrait s’objecter à un procès-verbal parce qu’il ne rapporte pas avec fidélité les faits posés devant le conseil, les paroles dites à ce conseil.

Cependant, une fois qu’il est établi que le procès-verbal rapporte avec exactitude ce qui s’est passé au conseil, il ne saurait être question pour le maire d’exercer un veto à l’endroit dudit procès-verbal pour des motifs autres.

Le procès-verbal n’est pas l’acte du conseil, il est l’acte du secrétaire-trésorier et il est du devoir de ce dernier de constituer sans délai, à l’aide de ces procès-verbaux, une banque de documents officiels et authentiques qui témoigneront des faits survenus lors de cette ou de ces séances de conseil.

D’ailleurs, l’article 201 du Code Municipal précise bien que le défaut d’approbation n’empêche pas le procès-verbal de faire preuve.

Nous sommes donc d’opinion que le président, le maire, a l’obligation tout comme le secrétaire-trésorier de signer le procès-verbal d’une séance du conseil dans les plus brefs délais et à moins que le procès-verbal ne rapporte pas avec exactitude ce qui s’est dit, ce qui s’est fait lors de la séance du conseil, le maire et le secrétaire-trésorier ne peuvent s’objecter pour quel qu’autre raison à signer ledit procès-verbal. »

(Nos soulignements)

[152] L’obligation du président des séances du conseil de signer les procès-verbaux doit être distinguée de ce qui est communément appelé le droit de veto du maire et que l’on retrouve à l’article 142 du Code municipal, dans le titre III intitulé Des règles communes aux maires et au préfet.

[153] Il y est prévu que si le chef du conseil refuse d’approuver et de signer les règlements, résolutions, obligations contrats, conventions ou actes faits ou passés par la municipalité, le secrétaire-trésorier les soumet de nouveau à la considération du conseil à sa séance suivante ou à une séance extraordinaire:

« 142. 1. Le chef du conseil exerce le droit de surveillance, d’investigation et de contrôle sur les affaires et les officiers de la municipalité, voit spécialement à ce que les revenus de la municipalité soient perçus et dépensés suivant la loi, veille à l’accomplissement fidèle et impartial des règlements et des résolutions et communique au conseil les informations et les recommandations qu’il croit convenables dans l’intérêt de la municipalité ou des habitants de son territoire.

2. Il signe, scelle et exécute, au nom de la municipalité, tous les règlements, résolutions, obligations, contrats, conventions ou actes faits et passés ou ordonnés par cette dernière, lesquels lui sont présentés par le secrétaire-trésorier, après leur adoption par le conseil, pour qu’il y appose sa signature.

3. Si le chef du conseil refuse de les approuver et signer, le secrétaire-trésorier les soumet de nouveau à la considération du conseil à sa séance ordinaire suivante, ou, après avis, à une séance extraordinaire.

4. Si le conseil approuve de nouveau tels règlements, résolutions, obligations, contrats, conventions ou actes, ils sont légaux et valides comme s’ils avaient été signés et approuvés par le chef du conseil et malgré son refus. Dans le cas d’une municipalité locale, la décision doit être prise à la majorité des membres du conseil.

[…] »

[154] Ainsi, comme il est prévu à l’article 142 du Code municipal, si le conseil approuve de nouveau les règlements, résolutions ou autres actes qui lui sont soumis pour reconsidération, ces derniers sont légaux et valides comme s’ils avaient été signés et approuvés par le chef du conseil, malgré son refus.

[155] L’exercice du droit de veto fait partie du processus décisionnel portant sur l’adoption d’un règlement ou d’une résolution et empêche l’entrée en vigueur de la décision du conseil alors que le refus de signer un procès-verbal ne peut remettre en question la décision prise par le conseil :

« En résumé, il ne faut pas confondre le droit de veto qui, selon l’article 142 (3) du Code municipal s’exprime par un refus de signer du maire, avec l’obligation qui est faite au maire ou au président de la séance du conseil municipal de signer le procès-verbal. Un procès-verbal est un élément procédural qui permet d’attester officiellement que le compte-rendu de la réunion fait par le greffier ou le secrétaire-trésorier est exact; il intervient une fois que la décision est prise. Le droit de veto est un privilège réservé au maire (dans les villes, le droit de veto ne peut pas être exercé par un maire suppléant) et fait partie du processus décisionnel portant sur l’adoption d’un règlement ou d’une résolution par le conseil municipal. D’autre part, la signature du procès-verbal peut être apposée par le maire ou par tout autre membre du conseil qui a présidé la séance (l’article 201 C.M. fait seulement référence au président). Le droit de veto empêche l’entrée en vigueur de la décision du conseil alors que le refus de signer un procès-verbal ne peut remettre en question les décisions prises par le conseil. D’ailleurs, l’article 201 C.M. souligne que « le défaut de cette approbation n’empêche pas le procès-verbal de faire preuve ».

(Nos caractères)

Après avoir expliqué ces distinctions, la juge a statué que la directrice générale avait mal interprété le droit de véto du maire en l’assimilant à la non-signature des procès-verbaux et que les réunions extraordinaires convoquées pour approuver de nouveau les procès-verbaux étaient inutiles et non nécessaires.

Il est pertinent de référer aux paragraphes suivant de la décision :

[200] Selon le procureur de monsieur Lafontaine, la directrice générale de la Municipalité a mal interprété ces concepts juridiques et la tenue de séances extraordinaires subséquentes pour adopter à nouveau les procès-verbaux n’était pas nécessaire dans les circonstances en vertu du Code municipal pour que les résolutions soient en vigueur.

[202] Il y a effectivement eu une confusion par la directrice générale et les membres du conseil entre l’obligation pour le président de la séance du conseil de signer le procès-verbal et l’exercice par le maire de ce qui est communément appelé le droit de veto. Cette confusion a été à la source de plusieurs séances extraordinaires du conseil.

[203] Selon l’interprétation de madame Roberge, quand le procès-verbal n’était pas signé, il n’était pas « consolidé »; cela avait pour effet de causer une problématique énorme puisque toutes les résolutions n’étaient pas signées, même à titre d’exemple, celles autorisant les chèques. Ainsi, pour remédier à la situation, le conseil se réunissait en séance extraordinaire pour adopter à nouveau toutes les résolutions de la séance précédente. Madame Roberge ajoute que cela causait beaucoup d’insécurité et avait même des conséquences économiques puisque les conseillers étaient payés pour les séances extraordinaires.

[204] Il est vrai que l’interprétation de madame Roberge n’était pas fondée en droit.

[205] La tenue de ces séances extraordinaires subséquentes pour adopter à nouveau les procès-verbaux n’était pas nécessaire dans les circonstances en vertu du Code municipal pour que les résolutions soient en vigueur et que les procès-verbaux fassent preuve de leur contenu.

[206] Les résolutions adoptant à nouveau les résolutions de la séance précédente faisaient référence au droit de veto du maire, alors qu’il s’agissait du refus de signer les procès-verbaux.

(Nos caractères)

[207] En effet, ce n’est pas parce qu’un procès-verbal n’est pas signé par le maire que les résolutions y contenues doivent être adoptées à nouveau par le conseil et considérées comme inexistantes :

« Ajoutons que ce n’est pas parce que le procès-verbal d’une séance du conseil, comprenant une résolution diffamatoire n’a pas été signé par le maire que cette résolution doit être considérée comme inexistante; le juge Hall écrit dans Corporation du Village de St-Félicien c. Tessier, (1939) 67 B.R. 456, 461 : The mere fact that the Mayor neglected to certify the minutes as preserved and recorded by the secretary-treasurer, is not sufficient to contradict the fact that the resolution was formally adopted. »

Conclusions

Nous devons retenir de ces enseignements récents de la Commission municipale quant à l’application des articles 142 et 201 du CM, qu’un maire pourrait, d’une part, exercer son droit de véto sur une décision précise du conseil municipal et respecter son obligation légale de signer le procès-verbal.

Finalement, un procès-verbal non signé par le maire n’exige aucunement du secrétaire-trésorier ou du directeur général qu’il soit de nouveau soumis au conseil municipal pour approbation à la séance suivante.


[1] Voir 142 du Code municipal, paragraphe 3.

[2] Michel Lafontaine (maire, Paroisse de Saint-Norbert) CMQ – 67562-001 (31503-21).

ÉCRIT PAR :

Me Rino Soucy

Avocat associé chez DHC Avocats