Tricentris ne peut bénéficier d’une exemption pour l’octroi de contrats de gré à gré

17 novembre 2021
Fédération québécoise des municipalités

17 novembre 2021

Tricentris est une société à but non lucratif bien connue dans le monde municipal. Œuvrant dans le domaine du tri et du conditionnement des matières recyclables depuis environ 25 ans, cette entreprise a crû de façon importante au travers des années et dessert maintenant environ 80 municipalités et organismes publics qui en sont membres, pour ne nommer que ceux-là, sur un territoire couvrant notamment l’Outaouais, les Laurentides et la Couronne Nord de Montréal.

Dans un arrêt récent[1], la Cour d’appel du Québec vient remettre en question le mode de fonctionnement de cette entreprise et des nombreux corps publics qui avaient conclu des contrats avec elle sans passer par un processus d’appel d’offres public. Cette pratique est en effet jugée illégale par la Cour, qui y voit un contournement des règles strictes prévues aux lois municipales en matière d’octroi de contrats publics.

Les outils à la disposition des municipalités

La Cour rappelle que les municipalités se sont vues conférer le pouvoir de conclure différentes formes d’ententes intermunicipales, ce pouvoir étant par ailleurs décrit de façon limitative à la Loi sur les cités et villes et au Code municipal. C’est ainsi qu’une entente peut prévoir la fourniture d’un service par une municipalité à d’autres, la délégation d’une compétence d’une municipalité à l’autre, ou encore la mise en commun des ressources par le biais d’une régie intermunicipale, dont la création et le fonctionnement sont encadrés strictement par la Loi. Ces trois types d’ententes sont les seules permettant à une municipalité d’exercer ses pouvoirs à l’extérieur de son territoire.

Par ailleurs, la Loi sur les compétences municipales permet à une municipalité de constituer un organisme à but non lucratif afin de lui confier, sur son territoire, l’organisation et la gestion d’activités se rapportant à diverses fins, notamment la promotion d’activités industrielles et touristiques, l’organisation d’activités culturelles et de loisirs ou encore le vaste chantier de la protection de l’environnement.

C’est ainsi, indique la Cour d’appel, qu’une municipalité pourrait sans problème créer un organisme à but non lucratif afin de gérer la collecte sélective et l’exploitation, sur son territoire, d’un établissement de tri et de conditionnement de matières recyclables, voire même lui accorder une aide financière à certaines conditions.

Toutefois, les dispositions de la Loi sur les compétences municipales, bien qu’elles doivent être lues de façon large et libérale, « n’exemptent pas les municipalités qui désirent s’associer afin d’exercer une de leurs compétences et, dans ce cadre, mettre en commun leurs ressources, de l’obligation de le faire selon les règles prévues aux articles 468 et s. L.c.v., dont celles voulant qu’elle le fasse selon l’un ou autre des trois seuls modes d’ententes intermunicipales qui y sont spécifiés. » Or, la formule Tricentris, selon la Cour, ne respecte pas ces dispositions.

On constate, à la lecture de cet arrêt, une grande réticence de la Cour d’appel à permettre une forme d’entente intermunicipale sortant des cadres stricts établis à la Loi sur les cités et villes et au Code municipal, malgré la volonté claire des parties prenantes de faire de Tricentris un « organisme municipal » géré, contrôlé et financé par des corps publics. Y voyant plutôt un mélange des genres incongru, la Cour d’appel tranche de façon lapidaire en interdisant la formule : « L’idée même que des villes se rassemblent sous le chapeau d’une entreprise privée, soit-elle à but non lucratif, afin d’exercer indirectement certaines compétences, et ce, dans le but d’éluder des règles d’ordre public dont l’objet est d’assurer la protection des citoyens des municipalités membres, aurait dû inciter à la vigilance»

Bien qu’elle déclare nuls les contrats accordés de gré à gré à Tricentris par les corps publics impliqués dans cette affaire, la Cour maintient en vigueur ces contrats jusqu’à leur échéance, mais déclare qu’ils ne pourront être prolongés ou renouvelés. Les municipalités et autres membres de l’organisme devront donc, à court terme, revoir la structure de leur partenariat afin de s’arrimer aux indications données par la Cour d’appel, ou procéder par appels d’offres publics pour octroyer leurs prochains contrats.


[1] MRC de Vaudreuil-Soulanges c. Location Ricova inc., 2021 QCCA 1535

ÉCRIT PAR :

Me Mathieu Turcotte

Avocat au sein du cabinet DHC Avocats