Activités extractives et troubles de voisinage : un courant jurisprudentiel en développement?

15 novembre 2023
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15 novembre 2023

Il est un euphémisme de dire que les activités extractives dérangent. À ce sujet, le Règlement sur les carrières et sablières (RLRQ, c. Q -2, r. 7.1; ci-après « R.c.s. ») assujettit l’établissement de toute nouvelle carrière ou sablière à des normes de localisation (art. 13 à 19) et à des normes d’exploitation (art. 20 à 23) qui, en principe, ont pour objet de prévenir, sinon mitiger, les inconvénients découlant de l’exploitation de ces sites sur le voisinage. Cela dit, le R.c.s. ne permet pas nécessairement d’atténuer les impacts découlant de l’exploitation de carrières ou sablières en vertu de droits acquis – c’est-à-dire dont l’exploitation a débuté avant l’entrée en vigueur des mesures réglementaires en 1977 – non plus que les inconvénients découlant du passage répété des camions allant et venant de ou vers les sites d’extraction.

Or, ces dernières années, un certain courant jurisprudentiel montre que la question du camionnage excessif sur les chemins autour des carrières et sablières soulève parfois d’âpres débats judiciaires, soit en injonction, soit en dommages, notamment dans le cadre de recours collectifs. Dans l’affaire St-Cyrille-de-Wendover (Municipalité) c. 3103-6965 Québec inc.1, qui remonte à 1999, le juge Dufresne, tout en refusant l’injonction demandée pour faire cesser la circulation des camions sur un chemin de la municipalité, n’en déclarait pas moins que l’exploitant de la sablière n’est pas pour autant à l’abri de toute injonction. À son sujet, le juge écrit (par. 51) : « Il ne peut abuser de son droit d’exploiter la sablière et doit respecter les règles de bon voisinage, notamment dans sa gestion de la fréquence et de la manière dont le transport de sable est effectué. ». En quelque sorte, cela ouvrait la voie pour ce qui allait suivre.

En 2008, la Cour suprême du Canada ajoutait une nouvelle pierre à l’édifice dans l’arrêt Ciment du Saint Laurent c. Barette2. Dans cet arrêt, la Cour a en effet indiqué que l’article 976 C.c.Q. établit un régime de responsabilité sans faute. Aussi, la théorie des troubles de voisinage est fondée non pas sur le comportement de l’auteur, mais plutôt sur la gravité de l’inconvénient qu’il cause à son voisin – seul le résultat compte et non les comportements. Dans un tel contexte, il était vraisemblable que, tôt ou tard, les activités d’une carrière ou d’une sablière puissent être attaquées sous l’angle des inconvénients anormaux de voisinage.

Ce fût notamment le cas dans l’affaire Comité des citoyens pour la sauvegarde de notre qualité de vie (Val-David) c. Bouchard3, alors que la Cour supérieure en arrive à la conclusion que le propriétaire et l’exploitant d’une sablière ont causé un trouble de voisinage, particulièrement à l’égard des citoyens résidant en bordure des chemins empruntés par les camions allant et venant au site de la sablière. Ainsi, la Cour supérieure se montre d’avis que le transport de sable provenant de la sablière au moyen de camions par l’exploitant occasionne des bruits, des vibrations, des odeurs, de la fumée ou de la poussière qui constituent un trouble anormal et des inconvénients excessifs (par. 367), le propriétaire et l’exploitant de la sablière engageant dès lors leur responsabilité civile sous le régime de l’article 976 C.c.Q.

À cela, la Cour ajoute que le propriétaire et l’exploitant de la sablière ont de plus tous deux été fautifs, ayant clairement abusé de leurs droits en ne se souciant pas de la quiétude de leurs voisins (par. 473), ce qui engage derechef leur responsabilité, mais, à cet égard, sous le régime de l’article 1457 C.c.Q. (soit le régime de la faute prouvée). L’antériorité de l’exploitation de la sablière (ouverte en 1945, mais qui avait été exploitée presque continuellement depuis le début des années 1970) ou les droits acquis ne seront d’aucun secours aux défendeurs pour excuser leur exploitation défaillante à l’égard du voisinage.

En appel de ce jugement4, la Cour d’appel, référant à l’appréciation de la preuve par le juge du procès, confirme que « les odeurs de diésel chez soi; devoir laisser ses portes et fenêtres fermées l’été en raison du bruit des camions; cesser de parler lorsque les camions passent; nettoyer ses fenêtres plusieurs fois par année en raison de la poussière; se priver d’activités extérieures lorsque le bruit devient infernal; préférer quitter sa résidence plutôt que de rester chez soi et fondre en larmes face à la situation » sont autant d’éléments qui fondent la preuve qu’il y a bien eu, en l’espèce, des inconvénients anormaux pour le voisinage.

Bref, la notion de « troubles de voisinage » est-elle en voie d’offrir aux citoyens qui se disent impactés par le passage incessant des camions sur la route bordant leur propriété un moyen de faire cesser des activités qui, parfois et malheureusement, sont effectivement une source de dérangement important dans certaines communautés? Ou d’obtenir un dédommagement? Il faudra observer les prochaines décisions de nos tribunaux à ce sujet.


[1] REJB 1999-16130 (C.S.).
[2] 2008 CSC 64.
[3] 2019 QCCS 2000.
[4] Location Jean Miller inc. c. Comité des citoyens pour la sauvegarde de notre qualité de vie (Val-David), 2022 QCCA 522, par. 14.

ÉCRIT PAR :

Me Jean-François Girard

Avocat spécialisé en droit de l’environnement et droit municipal chez DHC Avocats