Contrat municipal et intérêt d’un élu·e – Les modifications apportées par le projet de loi 39

14 février 2024
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Me Olivier Trudel
Avocat et directeur | Assistance juridique et Formation
Fonds d’assurance des municipalités du Québec | Fédération québécoise des municipalités

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Le 8 décembre 2023, le projet de loi 39 Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives, L.Q. 2023 c. 33 (ci-après le PL 39) entrait en vigueur, modifiant ainsi les règles entourant la question des intérêts d’un élu·e dans un contrat avec la municipalité.

Rappelons que l’article 304 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités, RLRQ c. E-2,2 (ci-après la LERM), prévoit qu’un élu·e devient inhabile à exercer la fonction de membre du conseil si, pendant la durée de son mandat, celui-ci a un intérêt direct ou indirect dans un contrat avec la municipalité. À cet égard, l’article 305 de la LERM identifie certaines exceptions, qui ne répondaient toutefois pas aux inquiétudes des acteurs du milieu municipal.

C’est donc en réponse à ces préoccupations que le législateur provincial est venu intégrer à la LERM le nouvel article 305.0.1, apportant ainsi une petite ouverture à cette règle d’inhabilité. La prudence est toutefois de mise, puisque certaines conditions doivent être scrupuleusement respectées pour aller de l’avant avec ces exceptions.

Contrat d’acquisition ou de location de biens dans un commerce de proximité

Deux situations permettent à la municipalité de contracter avec un commerce de proximité dont un membre du conseil à un intérêt :

  1. Le commerce est le seul sur le territoire de la municipalité à offrir le type de biens : Pour conclure un contrat dans cette situation, il faut que le ou les commerces offrant le même type de bien soient situés sur le territoire d’une autre municipalité, à une distance de plus de 5 km du lieu où se tiennent les séances du conseil;
  2. Aucun commerce sur le territoire de la municipalité n’offre le type de biens : Dans cette situation, le commerce dans lequel l’élu·e à un intérêt doit être le seul à offrir ce type de bien dans un périmètre de 5 km ou moins du lieu où se tiennent les séances du conseil. Dans le cas où ce commerce est situé à plus de 5 km du lieu où se tiennent les séances du conseil, il doit être le commerce le plus près.

Précisons que certaines règles s’ajoutent à l’acquisition de matériaux de construction. Nommément, les matériaux de construction doivent être acquis uniquement pour la réalisation des travaux de réparation ou d’entretien. De plus, « la valeur totale des matériaux acquis ne peut excéder 5 000 $ par projet » (art. 305.0.1 LERM).

Il est important de mentionner que ces exceptions sont conditionnelles à l’entrée en vigueur d’un règlement de la ministre des Affaires municipales qui identifiera, par le fait même, les types de commerces de proximités assujettis.

Contrats ayant pour objet la fourniture de certains services manuels

Cette exception, en vigueur depuis le 8 décembre 2023, permet à une municipalité de conclure un contrat de service avec une entreprise dans laquelle un membre du conseil à un intérêt. Notons que les services peuvent être rendus par le conseiller lui‑même ou par une entreprise dans laquelle il a un intérêt.

Cette situation est permise sous réserve de respecter les conditions suivantes :

  1. Le service doit être fourni manuellement et doit requérir, de façon générale, une présence physique sur le territoire de la municipalité ou dans ses installations;
  2. La durée du contrat doit être de 2 ans ou moins, incluant l’option de renouvellement.

Avant de conclure le contrat de service avec une entreprise dans laquelle un élu·e à un intérêt, la municipalité doit solliciter l’intérêt du marché en procédant de la manière suivante :

  1. Contrat dont la dépense est inférieure au seuil d’appel d’offres public :
  1. La municipalité doit procéder par appel d’offres sur invitation, conformément à l’article 936 du Code municipal du Québec, RLRQ c. C 27,1 (ci-après le CMQ), ou de l’article 573.1 de la Loi sur les cités et villes, RLRQ c. C -19 (ci-après la LCV), auprès d’un minimum de trois (3) soumissionnaires, autres que l’entreprise dans laquelle le membre du conseil à un intérêt;
  2. Dans le cas où la municipalité ne reçoit pas de soumission, elle doit publier un avis d’intention sur le SÉAO, comme prévu à l’article 938.0.0.1 CMQ ou 573.3.0.0.1 LCV, pour une période minimale de quinze (15) jours avisant son intention de conclure le contrat avec une entreprise dans laquelle le membre du conseil a un intérêt;
  3. Suivant l’avis d’intention, si aucune entreprise ne se manifeste, la municipalité peut conclure le contrat avec l’entreprise dans laquelle le membre du conseil a un intérêt.
  1. Contrat qui nécessite une demande de soumissions publiques :
  1. La municipalité doit d’abord procéder par appel d’offres public conformément à l’article 935 CMQ ou 573 LCV;
  2. Pour cet appel d’offres, il n’est pas possible pour l’entreprise dans laquelle le membre du conseil à un intérêt de déposer une soumission;
  3. Dans le cas où la municipalité ne reçoit pas de soumission, elle doit publier un second appel d’offres, aux mêmes modalités, et permettre à l’entreprise dans laquelle le membre du conseil a un intérêt de déposer une soumission;
  4. Si au terme du second processus d’appel d’offres, l’entreprise dans laquelle le membre du conseil à un intérêt est la seule entreprise ayant déposé une soumission conforme, le contrat peut lui être octroyé.

Règlement sur la gestion contractuelle

Afin de conclure un contrat dans les circonstances prévues à ces exceptions, la municipalité devra modifier son Règlement sur la gestion contractuelle en conséquence et y prescrire l’obligation de publication, sur son site internet, des informations suivantes :

  • Le nom du membre du conseil et, le cas échéant, de l’entreprise avec qui le contrat est conclu;
  • La liste de chacun des achats et des locations effectués et des montants de ceux‑ci ou de l’objet du contrat de service et de son prix.

À noter que ces renseignements doivent être mis à jour au moins deux fois par année et déposés à la même fréquence lors d’une séance du conseil municipal.

En terminant, rappelons que le recours à ces exceptions n’exonère pas la municipalité de son obligation de respecter l’ensemble des règles encadrant les conflits d’intérêts ainsi que celles applicables en matière de gestion contractuelle.

Pour plus d’information sur le sujet, ou pour un service d’accompagnement afin de modifier votre Règlement sur la gestion contractuelle, les municipalités membres de la Fédération québécoise des municipalités et les assurés du Fonds d’assurance des municipalités du Québec bénéficient annuellement de 4 heures de consultation gratuite avec un avocat du Service d’assistance juridique. Pour toute demande, communiquez avec nous à saj@fqm.ca.