Attention aux erreurs dans les soumissions

02 juin 2021
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2 juin 2021

Retour sur une décision qui a fait couler beaucoup d’encre en 2019 et qui vient d’être maintenue par la plus haute instance judiciaire de la province.

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Le 21 mai dernier, la Cour d’appel[1] rendait une décision dans un litige opposant notamment la Ville de Salaberry-de-Valleyfield au sous-traitant d’un soumissionnaire qui avait commis une importante erreur dans sa soumission. Cette décision met en lumière l’importance de s’interroger sur les raisons derrière les importantes différences de prix des soumissions.

Rappel succinct des faits

En 2011, la Ville souhaite développer un nouveau parc industriel qui prévoit la construction du boulevard Industriel. Des travaux d’enfouissement de conduits, à être utilisés par des compagnies d’utilités publiques, sont prévus dans l’appel d’offres public. La firme de génie-conseil CIMA agit comme consultante de la Ville pour la rédaction de plans et devis et l’analyse des soumissions à la suite du processus d’appel d’offres.

Suivant les résultats de l’appel d’offres, et conformément à la recommandation de CIMA, la Ville octroie le contrat à Loiselle inc. (ci-après : « Loiselle ») à titre d’entrepreneur général. La soumission de Loiselle comprend celle du sous-traitant Construction N.R.C. inc. (ci-après : « NRC »), entreprise spécialisée dans les conduites souterraines.

Dès l’ouverture des soumissions, d’importantes différences de prix entre les soumissionnaires sautent aux yeux. En effet, la soumission de Loiselle est de 297 920 $ tandis que le deuxième plus bas soumissionnaire est de 691 912,50 $. Au surplus, l’estimation de la firme de génie-conseil consultante, avant l’ouverture des soumissions, est de 883 880 $.

La raison pour laquelle Loiselle a pu avoir un aussi bas prix est que la soumission de son sous-traitant NRC est conçue en fonction d’un prix linéaire de conduits alors que les documents d’appel d’offres mentionnent plutôt un prix linéaire de massif[2]. Cette distinction est capitale et NRC réclame une importante modification de ses coûts.

La juge de première instance considère donc que NRC a commis une erreur inexcusable lors de la confection de sa soumission puisque les documents d’appel d’offres étaient clairs quant à cette exigence. Elle considère cependant que la Ville et sa consultante auraient dû voir, à la face même de la soumission, que NRC avait commis une erreur et qu’en demeurant silencieuse, la Ville a outrepassé la bonne foi et a commis un dol par réticence.

La décision a fait l’objet d’un appel

La Cour d’appel opine dans le même sens que la Cour supérieure et considère que « l’erreur inexcusable peut devenir excusable lorsque l’autre contractant manque à son obligation de bonne foi ». Elle confirme également que c’est au moment de la conclusion du contrat, suivant l’appel d’offres, que la bonne foi du donneur d’ouvrage doit être évaluée.

En première instance, la juge détermine que la firme de génie-conseil consultante savait ou aurait dû savoir que NRC avait commis une importante erreur et que cela « entraîne la Ville à commettre la même faute à son tour puisqu’elle accorde le contrat à Loiselle en balayant sous le tapis ce qui saute aux yeux comme une erreur ». La Cour d’appel refuse d’intervenir et maintient cette conclusion.

Au final, l’appel est rejeté et la condamnation de la Ville à d’importants dommages demeure.

Conclusion

Cette décision est fort intéressante puisqu’elle met en lumière l’obligation de bonne foi du donneur d’ouvrage d’intervenir auprès du soumissionnaire lorsqu’elle constate une erreur flagrante dans le prix de la soumission. Ainsi, gare aux donneurs d’ouvrage qui souhaiteraient profiter d’une erreur dans une soumission. Devant une telle situation, il aura plutôt lieu de rendre la soumission erronée non conforme.


[1] Ville de Salaberry-de-Valleyfield c. Construction NRC inc., 2021 QCCA 844

[2] Distinction entre « prix linéaire » et « prix linéaire de massif » en première instance : « Un massif est un regroupement de plusieurs conduits pour une même compagnie d’utilités publiques dont le nombre peut varier. Ainsi, un massif peut comprendre, par exemple, dix conduits d’Hydro-Québec et un peu plus loin n’en comprendre que huit. Lorsque le prix est demandé par mètre linéaire de massif, les mètres sont calculés selon la longueur du massif. L’entrepreneur doit tenir compte d’un prix moyen, car tel que mentionné précédemment, certaines parties du massif contiendront plus de conduits que d’autres. Lorsque le prix est demandé par mètre linéaire de conduit, les mètres sont calculés pour chaque conduit. »

ÉCRIT PAR :

Mes Patrick Beauchemin et Maryse Catellier Boulianne

Avocats chez Morency Société d’avocats