Dans cette affaire, la Ville de Montréal (la Ville) interjette appel d’un jugement l’ayant condamnée à verser à Services Ricova inc. (Ricova) la somme de 1 088 576 $, plus les intérêts et l’indemnité additionnelle.
Contexte factuel
Le 27 mars 2017, la Ville lance un appel d’offres public pour la collecte et le transport de matières recyclables dans cinq arrondissements. Elle constate rapidement que les documents d’appel d’offres comportent des données erronées, environ de moitié, concernant le tonnage, ainsi que le nombre de portes et de camions requis pour l’un des arrondissements.
Le 30 mars 2017, la Ville publie l’Addenda no 1, corrigeant ces données.
Ricova dépose une soumission pour l’arrondissement concerné sans tenir compte de l’Addenda no 1. Suivant l’étude de la Commission permanente sur l’examen des contrats, il est conclu que :
- La soumission de Ricova est en tout point conforme à l’appel d’offres;
- Ricova a un historique de soumettre des prix agressifs dans le cadre d’appels d’offres antérieurs de même nature.
La Ville adjuge donc le contrat à Ricova.
Dès le début de l’exécution, Ricova éprouve d’importantes difficultés et réalise son erreur. Vu des pertes monétaires mensuelles considérables, elle propose à la Ville de mettre fin au contrat d’un commun accord et à l’amiable.
La Ville refuse qu’une entente de résiliation à l’amiable soit conclue, rappelant à Ricova les mécanismes contractuels permettant une résiliation unilatérale.
Ricova procède à une résiliation unilatérale, tout en assurant le service jusqu’à l’octroi d’un nouveau contrat. Toutefois, elle ne parvient pas à maintenir seule le niveau de service requis et les plaintes des citoyen(ne)s sont nombreuses. La Ville met en place un nouvel appel d’offres et des mesures temporaires pour pallier les insuffisances.
La Ville retient alors plusieurs montants à même les paiements dus à Ricova, dont 1 014 903,45 $, représentant la différence entre le prix soumis par Ricova et les deux contrats octroyés à des tiers (33 693,51 $ + 1 079 604,68 $), moins le cautionnement d’exécution encaissé (98 394,73 $).
Première instance
La Cour supérieure conclut que l’omission de Ricova de prendre en considération l’Addenda no 1 est une erreur inexcusable. Le droit de la Ville de retenir une pénalité contractuelle est donc confirmé1.
Le Tribunal détermine toutefois que la Ville, par ses actions, amanqué à son obligation positive de coopération et de collaboration, en laissant croire à Ricova que, si elle assurait le service pendant la période transitoire, elle ne serait pas tenue de payer la différence de prix entre son offre erronée et le nouveau contrat2.
Il ordonne à la Ville de rembourser la somme de 1 014 903,45 $ perçue par cette dernière. Cette conclusion est portée en appel par la Ville.
En appel
La Cour d’appel accueille l’appel et infirme le jugement de première instance.
La Cour réitère que l’étendue du devoir de renseignement s’apprécie notamment en fonction de :
- la connaissance, réelle ou présumée, de l’information par la partie débitrice;
- la nature déterminante de l’information en question;
- l’impossibilité du créancier de l’obligation de se renseigner soi-même, ou la confiance légitime du créancier envers le débiteur3.
Cette obligation vise à rééquilibrer les inégalités informationnelles, mais n’excuse pas une omission de diligence« de se renseigner et de veiller prudemment à la conduite de ses affaires4 ».
Elle s’applique lorsqu’en « présence de circonstances qui avantagent une partie au point où l’autre perd sa capacité à pouvoir valablement assurer la libre gestion de ses intérêts sans que cette situation résulte de sa propre négligence5 ».
La Cour précise que cette obligation n’inclut pas le devoir de conseiller une autre partie sur les conséquences juridiques de ses décisions.6 Le fait pour la Ville de ne pas avoir avisé Ricova des conséquences juridiques de sa propre inexécution et résiliation ne constitue ni la renonciation, ni la création d’une attente légitime.
Il s’agit là « d’une conséquence juridique évidente7 » des actions de Ricova.
De surcroît, la Cour rappelle qu’une renonciation doit être claire et non-équivoque8. Par son silence, la Ville n’a jamais renoncé ou indiqué vouloir renoncer à ses droits de réclamer des dommages-intérêts à Ricova.
Ainsi, la Cour d’appel infirme la décision de première instance et confirme le droit de la Ville de retenir cette somme à titre de dommages-intérêts.
- [1] Paragr. 27 du jugement.
- [2] Paragr. 143 et 206 du jugement de première instance.
- [3] Paragr. 38 du jugement.
- [4] Paragr. 39 du jugement.
- [5] Paragr. 39 du jugement.
- [6] Paragr. 31 du jugement.
- [7] Paragr. 44 du jugement.
- [8] Paragr. 45 du jugement.
Par Me William Bourgault, avocat au Service des affaires litigieuses
Fonds d’assurance des municipalités du Québec
