L’importance de définir tous les usages attendus d’un équipement dans les documents d’appel d’offres

29 novembre 2023
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29 novembre 2023

Le 8 novembre dernier,1 la Cour supérieure rendait le jugement Ville de Gatineau c. 1561660 Ontario Ltd2. Dans cette affaire la Ville de Gatineau (ci-après : « Ville ») avait fait l’acquisition de camions pour des opérations diverses. Or, ces camions s’avèrent problématiques lors de certaines opérations puisque les vibrations de même que les chocs et contrecoups rendent le travail des chauffeurs très inconfortable, allant jusqu’à faire en sorte que plusieurs d’entre eux produisent des réclamations pour accident de travail. La Ville prend donc la décision de retirer les camions de sa flotte et, par la suite, décide de mandater une entreprise pour remplacer la suspension des camions. Elle réclame le coût du remplacement de la suspension ainsi que quelques autres frais encourus pour un total de 471 406,57 $ à l’entreprise qui avait initialement remporté l’appel d’offres (ci-après : la « Défenderesse »).

Le recours de la Ville se base sur la garantie légale de qualité prévue au Code civil du Québec3:

« 1726. Le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus.

Il n’est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l’acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert. »

Autrement dit, la Ville plaide que les camions comportaient des vices cachés.

De son côté, la Défenderesse plaide que les documents d’appel d’offres réfèrent uniquement à des opérations de déneigement et non à un usage quatre saisons des camions. Or, la preuve démontre que la problématique de vibration existe uniquement lorsque les camions sont utilisés sans l’équipement de déneigement. Selon elle, les allégations de la Ville doivent être analysées en fonction de l’usage dénoncé dans les documents d’appel d’offres.

Dans son analyse, la juge rappelle les principes en matière de garantie de qualité à savoir qu’il existe trois (3) types de vices cachés :

  1. Les défauts matériels (bris du bien);
  2. Les défauts fonctionnels (le bien ne peut servir à son usage normal);
  3. Les défauts conventionnels (le bien ne peut servir à l’usage spécifique convenu entre les parties au contrat).

Le Tribunal souligne que la Ville a rédigé les documents d’appel d’offres et a donc pu y établir ses exigences de façon unilatérale, ce qui n’est pas du tout le cas lors d’une vente « normale » de véhicule.

Le Tribunal considère également que les documents d’appel d’offres laissent croire que les camions seront uniquement utilisés que pour des opérations de déneigement :

« [100]   La Ville soutient qu’il est déraisonnable de penser qu’elle acquiert des camions dix roues pour ne les utiliser qu’en hiver à des fins de déneigement. Comme déjà mentionné, il appartient à la Ville de déterminer ses besoins et de les traduire dans les documents d’appel d’offres et les soumissionnaires n’ont pas à les remettre en cause ou encore à spéculer sur les intentions de la Ville4. »

Il ajoute que :

« […] le mauvais fonctionnement des camions Mack doit donc s’apprécier en considérant les attentes légitimes d’un acheteur raisonnable qui a acquis des camions destinés à être utilisés pour réaliser des opérations de déneigement et non des camions destinés à de multiples usages. »5

Le Tribunal en vient à la conclusion que la Ville n’a pas démontré que les camions ne peuvent pas servir aux opérations de déneigement. En conséquence et en considération des exigences telles que formulées dans les documents d’appels d’offres, il n’y avait pas de vices cachés. Le recours de la Ville est donc rejeté.

Il est à noter que le délai d’appel de cette décision n’est pas expiré au moment d’écrire le présent article alors il est possible que celle-ci fasse l’objet d’un recours devant la Cour d’appel. Cependant, nous pouvons en tirer de précieuses leçons sur l’importance de bien définir les besoins de la municipalité au moment de la rédaction des documents d’appel d’offres. En effet, il est essentiel d’évaluer quels seront tous les usages des équipements demandés afin de s’assurer que les équipements visés par les soumissions reçues correspondent bien aux attentes.


[1] Attention, le délai d’appel n’est pas encore expiré.
[2] 2023 QCCS 4242
[3] RLRQ, c. CCQ-1991, article 1726
[4] Paragraphe 100 sur la décision commentée
[5] Paragraphe 105 de la décision commentée

ÉCRIT PAR :

Me Maryse Catellier Boulianne

Avocate chez Morency Société d’avocats s.e.n.c.r.l