Dans l’affaire Excavation Anjou inc. c. Ville de Montréal1, la Ville de Montréal (la « Ville ») refusait de payer les services de nettoyage de trottoirs rendus par l’entreprise Excavation Anjou inc. (l’« Entreprise ») suivant l’octroi du contrat de gré à gré.
La Ville, alors qu’elle admet que les services ont été rendus à sa satisfaction, refuse de payer la facture, alléguant que l’Entreprise était frappée de deux interdictions de contracter : l’une émanant du Bureau de l’inspecteur général de la Ville (BIG), l’autre de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Selon la Ville, il appartenait à l’Entreprise de divulguer ces interdictions et de refuser elle-même de conclure le contrat.
Le 23 mars 2017, l’Entreprise a été inscrite au Registre des personnes écartées en vertu du règlement de gestion contractuelle de la Ville suivant une décision du BIG dans le cadre d’un tout autre contrat. Ainsi, pour une période de cinq (5) ans, l’Entreprise ne pouvait pas conclure de contrat de gré à gré avec la Ville.
Au surplus, le 9 janvier 2018, l’AMF révoquait l’autorisation octroyée à l’Entreprise de conclure des contrats avec des organismes publics, et ce, pour une période de cinq (5) ans également, inscrivant l’Entreprise sur le Registre des entreprises non admissibles aux contrats publics (RENA).
Or, en février 2018, deux inspecteurs chargés de l’inspection et des enquêtes pour le BIG sont allés rencontrer un représentant de l’Entreprise pour obtenir des informations sur les prix des divers services offerts. Lors de cette rencontre, le représentant de l’Entreprise a exprimé sa surprise aux inspecteurs considérant la décision rendue par le BIG lui-même en 2017. L’un des inspecteurs lui a alors répondu que s’il collaborait, il pourrait avoir de nouveaux contrats avec la Ville plus rapidement.
Peu après, alors que l’Entreprise était toujours visée par les deux (2) interdictions précitées, un contremaitre aux travaux publics de la Ville (le « Contremaître ») demande une soumission auprès de l’Entreprise pour le lavage de trottoirs.
Suivant la réception de la soumission à un prix inférieur à 25 000 $, un contrat de gré à gré s’est conclu entre la Ville et l’Entreprise. Dans ce contexte, le Contremaître n’a pas eu le réflexe de vérifier si l’Entreprise était inscrite au RENA, une vérification qui est habituellement automatique dans le cadre d’un appel d’offres.
À la fin du contrat, l’Entreprise a envoyé sa facture pour un montant d’environ 23 000 $. Or, la Ville l’informe qu’elle n’effectuera pas le paiement considérant que l’Entreprise est inscrite au RENA. Suivant le refus de la Ville, l’Entreprise a entrepris un recours judiciaire.
La Cour du Québec (la « Cour ») fonde son analyse sur l’arrêt Montréal (Ville) c. Octane Stratégie inc. (2019 CSC 57) de la Cour suprême du Canada rendu en 2019. Cet arrêt de principe énonce que les règles de la réception de l’indu, bien qu’elles ne soient pas prévues à la Loi sur les cités et villes2, s’appliquent aux municipalités. Ainsi, si les trois conditions suivantes sont remplies, la Ville doit payer l’Entreprise pour les services rendus :
- Un paiement, incluant une prestation de services.
- Effectué en l’absence de dettes entre les parties.
- Fait par erreur ou pour éviter un préjudice.
En l’espèce, l’Entreprise a effectué une prestation de services satisfaisante en l’absence de dettes entre les parties. Effectivement, puisque le contrat n’a pas été validement conclu en raison, notamment, de l’inscription de l’Entreprise au RENA, la prestation de services s’est effectuée « en l’absence de dettes ». Les deux premières conditions sont donc respectées.
En ce qui concerne la troisième condition, la Cour conclut que la prestation de services s’est bel et bien faite par erreur. Durant la rencontre qui avait eu lieu entre l’Entreprise et les inspecteurs du BIG, le représentant de l’Entreprise avait mentionné les interdictions de contracter qui la visaient à l’un des inspecteurs. Or, vu la réponse obtenue, le représentant de l’Entreprise n’a pas mentionné une seconde fois les interdictions qui la visaient lorsque le Contremaître l’a contacté pour obtenir une soumission.
À la lumière de ces faits, la Cour est d’avis que la prestation de services s’est faite par erreur considérant que l’Entreprise ne savait pas que la Ville allait refuser de payer lorsqu’elle a accepté le contrat.
Les trois conditions étant remplies, l’Entreprise a droit à la restitution par équivalent de l’exécution de sa prestation de services, soit le paiement entier de sa facture.
La Cour est d’avis que l’Entreprise n’a pas fait preuve de mauvaise foi ou de négligence durant les échanges avec le Contremaitre. Au contraire, s’il y a eu négligence, elle provient de la Ville qui a omis de faire des vérifications plutôt élémentaires.
Il faut retenir de cette affaire qu’il incombe aux municipalités de faire les vérifications nécessaires avant de conclure un contrat, et ce, même s’il s’agit d’un contrat octroyé de gré à gré. Le réflexe de vérifier le RENA dans le cadre d’un appel d’offres est bien acquis. Or, cette vérification devrait être effectuée avant l’octroi de tout contrat, peu importe le mode d’attribution.
À tout le moins, si de telles vérifications ne sont pas effectuées, la municipalité ne peut pas, de façon générale, refuser de payer a posteriori, une fois que la prestation est complétée. Autrement, les municipalités s’enrichiraient aux dépens du cocontractant alors qu’il s’agit de vérifications simples et rapides à effectuer.


Par Me Sophie Bernier, avocate
Morency, société d’avocats, s.e.n.c.r.l.
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[1] 2025 QCCQ 2323.
[2] RLRQ, c. C-19.
