La saga des Publisacs : Victoire de la Ville de Mirabel en Cour d’appel

18 octobre 2023
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18 octobre 2023

Le 3 juillet dernier, la Cour d’appel1 confirmait un jugement rendu le 20 avril 2022 par la Cour supérieure2 qui avait rejeté un pourvoi en contrôle judiciaire et avait déclaré valide et opposable à Transcontinental le Règlement no 2326 de la Ville de Mirabel relatif à la distribution d’imprimés publicitaires.

Dans la présente chronique, nous verrons les faits tels que relatés par la Cour d’appel pour ensuite analyser les arguments invoqués en appel par Transcontinental et voir comment ceux-ci ont été rejetés par la Cour d’appel.

Les faits

Dans son jugement, la Cour d’appel explique qu’en 2019, la Ville de Mirabel entame une réflexion sur l’opportunité de réformer son règlement sur la distribution d’imprimés publicitaires, en réaction aux préoccupations et aux plaintes de membres du public concernant la réception non sollicitée, le gaspillage et la dispersion par inadvertance des imprimés publicitaires.

La Ville aurait d’abord envisagé de carrément bannir les imprimés publicitaires, mais elle retient finalement une solution donnant le choix suivant à ses résidents : ceux qui veulent recevoir le Publisac doivent apposer un autocollant sur leur boîte aux lettres à cet effet, tandis que les autres ne le recevront pas. Il s’agit d’une solution qualifiée de « opt-in » par la Cour. Pour les imprimés publicitaires distribués par Postes Canada, la règle est toutefois inverse, il s’agit d’un régime « opt-out », c’est-à-dire que ceux qui désirent ne pas recevoir les imprimés publicitaires de Postes Canada doivent apposer le pictogramme refusant les imprimés publicitaires sur leur boîte aux lettres ou case postale.

En Cour d’appel, Transcontinental invoque des arguments similaires à ceux invoqués devant la Cour supérieure. Ainsi, selon Transcontinental, des vices de procédures auraient été commis dans l’adoption du Règlement no 2326; ensuite, Transcontinental prétend que le règlement serait déraisonnable, abusif et discriminatoire et finalement, que celui-ci porterait atteinte à la liberté d’expression.

Vices de procédures

La Cour réitère d’abord qu’il « n’existe aucun devoir général pour une ville de prendre des mesures additionnelles pour informer le public ou pour consulter les parties dont les droits et intérêts seraient affectés par un règlement de nature législative, et ce, ‘bien que cela puisse être souhaitable dans un but de transparence3 ».

Par conséquent, les arguments relatifs aux vices de procédures sont rejetés par la Cour d’appel qui rappelle le principe voulant que la Ville n’avait aucune obligation de consulter Transcontinental ou les autres parties potentiellement affectées par son règlement.

Le règlement n’est pas déraisonnable

Pour que le règlement puisse être déclaré déraisonnable, Transcontinental devait démontrer qu’il « n’aurait pas pu être adopté par un conseil municipal raisonnable en considérant la grande variété de facteurs dont les conseillers municipaux élus peuvent légitimement tenir compte lors de l’adoption des règlements4 ».

La Cour rappelle d’abord que l’article 10 al. 1(30) de la Loi sur les compétences municipales accorde à toute municipalité le pouvoir express de régir « la distribution d’imprimés ou d’autres objets sur une voie publique ou sur un immeuble privé ».

La Cour rejette ensuite l’argument voulant que le règlement de la Ville de Mirabel soit incompatible avec le Plan métropolitain de gestion de matières résiduelles, car au contraire, le Règlement no 2326 « a pour effet souhaité, notamment, de diminuer les matières résiduelles à la source5 ».

Finalement la Cour rejette l’argument relatif aux droits acquis en rappelant que ceux-ci doivent être attachés à un immeuble appartenant à Transcontinental, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, puisque le Règlement no 2326 affecte uniquement des droits personnels.

Le règlement ne porte pas atteinte à la liberté d’expression de manière injustifiable

Si la Cour d’appel, tout comme la Cour supérieure, reconnaît que le règlement municipal porte atteinte à la liberté d’expression, elle conclut toutefois que cette atteinte est raisonnable et justifiée dans une société libre et démocratique, conformément au test posé par l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Pour justifier cette atteinte à un droit protégé par la Charte, la Cour mentionne :

« [59] (…) il est difficilement contestable que, même si le Règlement 2326 vise à régir la distribution d’imprimés, il ait aussi l’effet accessoire de protéger l’environnement, à assurer la propreté des propriétés et à réduire la quantité de matières résiduelles à gérer, et que cette finalité soit urgente et réelle dans les circonstances. Comme disait le juge, si l’élimination de la « pollution visuelle » constitue une fin urgente et réelle, réduire la quantité des matières résiduelles se qualifie d’autant ».

La Cour reconnaît également que le Règlement no 2326 constitue une atteinte minimale à la liberté d’expression en rappelant que celui-ci « s’applique uniquement aux annonces de nature commerciale et donc pas aux annonces de nature politique ou autres messages d’intérêt public6».

Conclusion

Transcontinental a présenté une demande d’autorisation de pourvoi de l’arrêt de la Cour d’appel devant la Cour suprême du Canada7. Il est donc possible que nous puissions bénéficier au cours des prochains mois de l’éclairage du plus haut tribunal du pays sur les questions importantes soulevées dans ce dossier.

Entre-temps, il est à prévoir que d’autres municipalités adopteront des mesures similaires à celles de la Ville de Mirabel, comme le fait la Ville de Montréal depuis le 17 mai 2023 avec son Règlement visant la réduction des impacts environnementaux associés à la distribution d’articles publicitaires8. Dans un article portant sur la règlementation de la Ville de Montréal9, on rapportait que selon Transcontinental, la nouvelle règlementation entraînerait la fin du Publisac à Montréal.

On apprenait toutefois plus récemment10 que Publisac s’était tourné vers Postes Canada pour la distribution de ses imprimés puisque la société d’État, pour des raisons d’ordre constitutionnel, n’est pas assujettie à la règlementation municipale. La saga entourant la distribution du Publisac n’est donc pas terminée et nous invitons les lecteurs à rester à l’affût des prochains développements!


[1] 2023 QCCA 863, demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada le 29 septembre 2023, dossier 40924.
[2] 2022 QCCS 1350.
[3] Paragr. 25 du jugement.
[4] Paragr. 33 du jugement.
[5] Paragr. 41 du jugement.
[6] Paragr. 66 du jugement.
[7] Demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada le 29 septembre 2023, dossier 40924.
[8] Règlement 22-028 qui est en vigueur depuis le 17 mai 2023, mais qui fait également l’objet d’une contestation de la part de Média Transcontinental.
[9] Le Publisac sur demande dès 2023 à Montréal, Radio-Canada, le 11 avril 2022.
[10] Un dépliant en papier remplacera le Publisac, La Presse, le 26 avril 2023.

ÉCRIT PAR :

Me Louis Béland

Avocat au sein du cabinet DHC Avocats