Glissement jurisprudentiel à propos de la discrétion des municipalités en matière de protection de l’environnement

08 mars 2023
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8 mars 2023

Pendant plusieurs années, les tribunaux ont fait preuve d’une grande déférence à propos des décisions des municipalités, particulièrement lorsqu’il était question de protection de l’environnement. La Cour suprême, dans l’arrêt Spraytech, a consacré le rôle de fiduciaire de l’environnement des municipalités, confirmant au passage la compétence de la Ville d’Hudson pour adopter un règlement interdisant les pesticides à usage esthétique sur son territoire1. Dans l’arrêt Sibeca, qui avait comme toile de fond la protection du mont Pinacle à Frelighsburg, la Cour suprême déclarera que « la protection de l’environnement naturel du territoire municipal ne peut constituer un but illégitime pour un conseil municipal »2. On reconnaissait alors aux municipalités une grande autonomie décisionnelle, lesquelles devaient même disposer d’une « marge de manœuvre considérable »3 pour répondre aux besoins de leur population.

Cela dit, ces dernières années, nous constatons l’émergence d’un courant de décisions jurisprudentielles qui ont battu en brèche certaines décisions discrétionnaires de municipalités. En voici un court florilège.

  • Dans la décision Municipalité de Lac-Beauport c. Communauté métropolitaine de Québec (2018 QCCS 929), le règlement de contrôle intérimaire de la Communauté métropolitaine de Québec visant à restreindre le développement immobilier dans le bassin versant du lac Saint-Charles, pour en protéger la qualité, fut annulé en partie par le tribunal, notamment parce que les normes réglementaires disputées ne reposaient pas sur des fondements scientifiques valables. Une telle décision est à certains égards surprenante, dans la mesure où la jurisprudence avait déjà reconnu qu’il n’est pas nécessaire à un conseil municipal de trancher la controverse scientifique et que les craintes légitimes de sa population, sur un enjeu d’environnement ou de santé humaine, peuvent guider les décisions du conseil4.
  • Dans Corporation d’investissement Montarville c. Ville de Saint-Bruno de Montarville (2020 QCCS 228), la Cour supérieure s’est montrée d’avis que suivant les promesses et représentations de la Ville intervenues en 1981, celle-ci ne disposait plus de la discrétion, en 2016, pour refuser d’ouvrir une rue et de prolonger les infrastructures pour permettre la desserte du terrain du promoteur, de sorte que la Ville fut tenue de prolonger la rue et de permettre le raccordement aux infrastructures en application de la théorie de la préclusion promissoire.
  • La Cour d’appel, dans l’arrêt Ville de Mont-Saint-Hilaire c. 9193-4463 Québec inc., (2021 QCCA 1685), a imposé à la Ville de Mont-Saint-Hilaire d’adopter les règlements de concordance requis pour se conformer au schéma d’aménagement pour une zone de son territoire alors que le conseil municipal avait clairement privilégié une approche qui ne favorisait pas le développement de ce secteur. La Cour d’appel, confirmant au passage la Cour supérieure sur ce point, en conclura même que la Ville a fait preuve de mauvaise foi dans ce processus, ce qui est une conclusion relativement rare dans le monde municipal.
  • La Cour supérieure a récemment cassé l’avis de motion adopté par le village de Tadoussac dans l’affaire Microbrasserie de Tadoussac inc. c. Guérin (2022 QCCS 2141) se montrant d’avis que le Village de Tadoussac a agi de mauvaise foi en adoptant l’avis de motion d’un règlement interdisant la tenue de spectacles dans la zone où la microbrasserie exploite un bar, puisque l’adoption de ce règlement n’avait que pour but de bloquer le projet de cette dernière. Malgré les prétentions de la municipalité, le Tribunal conclura que « ce n’est pas l’intérêt public qui était recherché par le règlement contesté, la problématique de stationnement, de bruit et l’aspect visuel de la baie de Tadoussac n’étant que des prétextes pour bloquer le projet de la Microbrasserie » (par. 187).
  • Plus inquiétante, encore, est la décision de la Cour d’appel dans l’arrêt Dupras c. Ville de Mascouche (2022 QCCA 350) alors que la Cour y a soutenu qu’un règlement restreignant l’usage d’un terrain à des fins de protection du couvert forestier pouvait conduire au versement d’une indemnité au propriétaire se disant lésé par la règlementation qui l’empêchait dorénavant de construire quelque bâtiment résidentiel dans le boisé concerné. De l’avis de la Cour, la modification du zonage affectant le terrain boisé de Mme Dupras, qui a fait en sorte que les usages résiduels permis sont insuffisants pour constituer une utilisation raisonnable du terrain, a entraîné une situation d’expropriation déguisée lui donnant droit à une indemnité. Ce qui est remarquable de ce jugement, c’est que même si la Cour reconnaît que le règlement a été adopté conformément aux pouvoirs habilitants de la Ville, il y a lieu à compensation.

Bref, s’il fut un temps où la jurisprudence était constante à reconnaître la marge de manœuvre dont disposent normalement les municipalités, il y a lieu de constater que certaines décisions récentes sont venues mettre un bémol dans le concert des décisions qui avalisaient les interventions municipales en matière de règlementation d’urbanisme. Sans dire que la situation est préoccupante, on peut s’interroger à savoir si nous n’assistons pas à un certain glissement de la jurisprudence en ce domaine.

Malgré ce qui précède, il n’en demeure pas moins que les municipalités détiennent encore un large pouvoir afin d’apprécier un état de situation particulier et prendre des décisions en conséquence pour leur territoire, dans une optique d’intérêt général de leur population. Aussi, nous sommes d’avis qu’il sera toujours bien avisé de faire reposer toute modification de la réglementation municipale sur un justificatif raisonné, préférablement appuyé par des connaissances scientifiques, sociales, économiques ou autres qui supportent la décision du conseil5. Dans un tel contexte, la démonstration que la décision du conseil fait partie des issues raisonnables possibles6 s’en trouve généralement facilitée, ce qui tend à permettre la reconnaissance de la validité des règlements ainsi adoptés.


[1] 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), [2001] 2 R.C.S. 241.

[2] Entreprises Sibeca Inc. c. Frelighsburg (Municipalité), [2004] 3 R.C.S. 304, par. 38.

[3] Id., par. 24.

[4] À ce sujet, voir White c. Châteauguay (Ville de), 2014 QCCA 1121, infirmé par Rogers Communications Inc. c. Châteauguay (Ville), [2016] 1 R.C.S. 467 sur d’autres motifs. Voir, aussi, 9038-9503 Québec inc. c. Municipalité régionale de comté de Montmagny, 2019 QCCS 3605, alors que la Cour supérieure déclare que dans le processus d’élaboration d’un règlement, il n’existe aucune obligation légale pour les autorités municipales d’avoir recours à une expertise afin d’établir le diagnostic d’une situation problématique.

[5] À titre illustratif, dans l’affaire Wallot, la Cour supérieure a conclu à la validité d’un règlement visant la restauration écologique des bandes riveraines anthropisées au pourtour du lac Saint-Charles notamment dans la mesure où les dispositions de ce règlement étaient justifiées par les conclusions d’un rapport scientifique qui démontrait que ces mesures réglementaires favoriseraient une meilleure santé écologique du lac. Wallot c Québec (Ville de), EYB 2010-172101 (C.S.), par. 36-37, 43, 45 et 47, confirmé par Wallot c Québec (Ville de), EYB 2011-192104 (C.A.).

[6] Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), [2012] 1 R.C.S. 5.

ÉCRIT PAR :

Me Jean-François Girard

Avocat-associé, DHC Avocats