Décision récente en matière de protection du territoire agricole

05 avril 2023
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5 avril 2023

Le 4 août 2022, la Cour du Québec rend une décision en appel d’une décision du Tribunal administratif du Québec (ci-après : « TAQ ») dans l’affaire Carrières ABC Rive-Nord inc.1 (ci-après : « Carrières ABC »).

La décision de la Cour du Québec porte sur la portée de l’article 58,1 alinéa 2 de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (ci-après : « LPTAA ») et l’effet prévu à l’article 58.5 LPTAA.

Les deux questions tranchées par la Cour du Québec sont précisées ainsi au paragraphe 23 de la décision :

  1. Un avis sur la conformité au sens de l’article 58,1 alinéa 2 LPTAA contenu à la résolution d’un conseil municipal peut-il avoir l’effet prévu à l’article 58.5 de la même loi, soit de rendre la demande irrecevable ?
  2. Un avis sur la conformité au sens de l’article 58,1 alinéa 2 LPTAA transmis à la CPTAQ en dehors du délai de 45 jours prévu à cette disposition peut-il avoir l’effet prévu à l’article 58.5 de la même loi, soit de rendre la demande irrecevable ?

Le contexte de cette affaire est le suivant : Carrières ABC s’adresse à la Commission de protection du territoire agricole du Québec (ci-après : « CPTAQ »)2 pour obtenir différentes autorisations dans le but d’agrandir une carrière existante dans le territoire agricole de la Municipalité de Grenville-sur-la-Rouge (ci-après : « Municipalité »). Suivant le dépôt de la demande, la Municipalité transmet une résolution recommandant favorablement le projet de même qu’un avis de conformité émis par l’inspecteur.

À la suite de l’élection générale du 5 novembre 2017, le nouveau conseil abroge la première résolution, n’étant pas d’accord avec le projet. En 2018, la Municipalité modifie la réglementation empêchant pour l’avenir le projet de Carrières ABC.

En raison d’une orientation préliminaire défavorable de la CPTAQ, Carrières ABC réduit la superficie visée par sa demande d’autorisation. Une nouvelle orientation préliminaire de la CPTAQ indique alors une position favorable au projet. La Municipalité transmet une nouvelle résolution indiquant une non-conformité de la demande de Carrières ABC à sa règlementation de zonage, principalement en raison d’un problème de proximité avec une un puits d’alimentation en eau potable. Carrières ABC réduit à nouveau la superficie de sa demande pour répondre à cet « avis de non-conformité ».

La CPTAQ rend sa décision et autorise la demande sous certaines conditions. Elle considère notamment que le dernier amendement à la demande par Carrières ABC rend la demande conforme à la règlementation municipale. La Municipalité conteste cette décision devant le TAQ, notamment sur cette conclusion de conformité. La décision du TAQ3 renverse celle de la CPTAQ et rejette la demande de Carrières ABC. Celle-ci obtient la permission d’appeler devant la Cour du Québec4. La Cour du Québec accueille l’appel, infirme la décision du TAQ et retourne le dossier au TAQ pour que les autres motifs de contestation de la Municipalité soient traités par le celui-ci.

La première question devant la Cour du Québec

Cette première question semble à première vue pouvoir se régler aisément à la lecture de la Loi. En effet, le 2e alinéa de l’article 58.1 LPTAA prévoit clairement que :


« 58,1 […] La municipalité locale doit, dans les 45 jours qui suivent la réception de la demande, la transmettre à la commission en lui fournissant tous les renseignements exigés par celle-ci […] faire à cette dernière une recommandation et transmettre l’avis d’un fonctionnaire autorisé, relatif à la conformité de la demande à son règlement de zonage et, le cas échéant, aux mesures de contrôle intérimaire. […]»


Quant à l’article 58.5 LPTAA, il précise qu’une « demande est irrecevable si la commission a reçu un avis de non-conformité au règlement de zonage de la municipalité locale ou, le cas échéant, aux mesures de contrôle intérimaire. »

La Cour du Québec constate toutefois une pratique souple par la CPTAQ. En pratique, il était fréquent qu’une municipalité s’exprime uniquement par voie de résolution quant aux deux volets visés par l’article 58.1 LPTAA, soit la recommandation de la municipalité et la conformité de la demande à la réglementation.

La CPTAQ n’en tenait pas trop rigueur à la municipalité et considérait que cette résolution était valable pour les deux volets. Or, l’un de ces deux volets peut entraîner une conséquence fatale pour la demande. En effet, en cas d’indication dans la résolution d’une non-conformité au règlement de zonage ou aux mesures de contrôle intérimaire, la demande est irrecevable et la CPTAQ n’ouvre pas de dossier ou doit procéder à la fermeture du dossier en transmettant une lettre de fermeture du dossier au demandeur.

La Cour du Québec rétablit toutefois le droit applicable. Elle conclut que pour qu’un avis relatif à la non-conformité d’un projet à l’égard de la règlementation de zonage d’une municipalité puisse avoir l’effet d’irrecevabilité de la demande prévu à l’article 58.5 LPTAA, il ne peut émaner que d’un fonctionnaire autorisé de cette municipalité. Une résolution se prononçant sur la conformité n’a donc aucun effet sur la recevabilité d’une demande auprès de la CPTAQ.

Il est donc primordial pour la municipalité de distinguer les deux actions à prendre lors de la réception d’une demande portée devant la CPTAQ. D’abord, le fonctionnaire autorisé analyse la conformité au règlement de zonage ou aux mesures de contrôle intérimaire. Il ne doit y avoir aucune intervention du conseil municipal à cette étape. Cet exercice n’implique aucune discrétion.

Ensuite, le conseil doit adopter une résolution dans laquelle il indique à la CPTAQ sa recommandation à l’égard du projet visé. Cette recommandation doit être motivée conformément à l’article 58.2 LPTAA. Elle doit ainsi tenir compte des critères prévus à l’article 62 LPTAA, soit les critères analysés par la CPTAQ. Elle doit également tenir compte des dispositions du règlement de zonage et des mesures de contrôle intérimaire. Enfin, si la demande porte sur une nouvelle utilisation à des fins autres que l’agriculture, la recommandation doit comprendre une indication des espaces appropriés disponibles ailleurs dans le territoire de la municipalité locale et hors de la zone agricole qui pourraient satisfaire la demande.

La deuxième question devant la Cour du Québec

La Cour du Québec y répond au paragraphe 84 de la décision. Le non-respect du délai de 45 jours par la municipalité ne l’empêche pas de transmettre sa recommandation ou l’avis sur la conformité à la CPTAQ. Un avis de non-conformité transmis après l’expiration du délai de 45 jours n’aura toutefois pas l’effet prévu à l’article 58.5 LPTAA, soit de rendre irrecevable la demande dont le dossier a déjà été ouvert à la CPTAQ à la fin du délai de 45 jours. Le dossier suivra son cours devant la CPTAQ, bien qu’en pratique, il risque vraisemblablement d’être irréalisable, malgré une autorisation de la CPTAQ, en raison de sa non-conformité à la réglementation municipale.

La Cour du Québec ajoute également une exception à ce principe. Lors d’une modification substantielle ou significative du projet visé par la demande émanant du demandeur, la CPTAQ pourrait décider de permettre à la municipalité de transmettre un nouvel avis de son fonctionnaire autorisé sur la conformité au règlement de zonage ou aux mesures de contrôle intérimaire. Il y aura certainement du développement en jurisprudence sur cette exception visant à préciser les cas où la CPTAQ demanderait un nouvel avis sur la conformité.

Précisons que cette décision de la Cour du Québec fait actuellement l’objet d’une demande en pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure, mais que les conclusions de la Cour du Québec sur les deux (2) questions dans le présent article ne sont pas remises en question.


[1] Carrières ABC Rive-Nord inc. c. Tribunal administratif du Québec, 2022 QCCQ 5267. Cette décision fait maintenant l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure (no. 700-17-018919-224). Bien que ce pourvoi porte uniquement sur le renvoi au TAQ ordonné par la Cour du Québec, il se pourrait que cette décision apporte un éclairage supplémentaire sur la 2e question analysée par la Cour du Québec. L’audition est fixée dans cette affaire en septembre 2023

[2]Carrières ABC Rive-Nord inc., 2020 CanLII 10736 (QC CPTAQ).

[3] Grenville-Sur-La-Rouge (Municipalité) c. Commission de protection du territoire agricole, 2021 CanLII 152098 (QC TAQ).

[4]Carrières ABC Rive-Nord inc. c. Tribunal administratif du Québec, 2021 QCCQ 5945.

ÉCRIT PAR :

Me Matthieu Tourangeau

Avocat au sein du cabinet Morency, société d’avocats, S.E.N.C.R.L.