Quand le conseil change d’avis…

22 juin 2021
Fédération québécoise des municipalités

22 juin 2021

Le 12 mai dernier, la Cour supérieure rendait une décision intéressante dans un dossier opposant l’entreprise 9266-7433 Québec inc. (ci-après : « l’entreprise ») et la municipalité de La Pêche (ci-après : « la municipalité ») en Outaouais[1]. Cette décision met à l’avant-plan la Loi sur les travaux municipaux[2] ainsi que les pouvoirs du conseil municipal de revenir sur ses décisions.

Le contexte

En 2012 et 2013, la municipalité fait l’acquisition de terrains appartenant à l’entreprise dans le but d’y prolonger une route reliant un secteur résidentiel au cœur commercial du quartier. L’entreprise cède ces terrains gratuitement à la municipalité puisque, projetant de vendre des lots adjacents au futur chemin pour en faire des constructions domiciliaires, elle y trouvait son compte.

L’acquisition par cession est autorisée par résolution du conseil municipal, laquelle résolution prévoit que la municipalité s’engage à construire le prolongement du chemin dans les deux ans suivant la signature de l’acte de cession notarié.

Dans les années suivantes, un contrat d’arpentage est octroyé, un appel d’offres a lieu pour des travaux d’abattage d’arbres et d’essouchement des lots, lesquels travaux ont lieu en 2017.

Lors de l’élection municipale de 2017, le maire et la plupart des conseillers sont remplacés.

Le 5 mars 2018, le nouveau conseil doit déterminer les montants alloués et la priorité accordée à différents travaux pour 2018 comme c’est la pratique de le faire à la municipalité. Le prolongement du chemin en question n’y est pas inclus. Quelques mois plus tard, le conseil adopte une résolution par laquelle il décide de ne plus prolonger le chemin.

L’entreprise entreprend donc un recours en injonction contre la municipalité afin de la forcer à finaliser la construction de chemin conformément à son engagement initial.

Les 3 principaux arguments de la municipalité et leur traitement par la Cour

La Loi sur les travaux municipaux

Pour défendre sa décision, la municipalité invoque la Loi sur les travaux municipaux qui prévoit que pour ordonner des travaux, une municipalité doit adopter un règlement et y prévoir l’appropriation des deniers nécessaires[3] ou procéder au moyen d’une résolution qui prévoit l’affectation des sommes nécessaires à partir d’une partie non autrement affectée du fond général, du fonds de roulement, etc[4].

La municipalité plaide qu’elle ne respectait pas cette Loi au moment de souscrire à l’engagement, rendant celui-ci invalide. Le tribunal rejette cet argument et considère que  « [c]ette loi ne s’applique pas à un contrat ou engagement de construire le prolongement d’un chemin dans le futur, surtout lorsque ce futur est assez éloigné pour permettre à la municipalité de prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer »[5]. Ainsi, selon le tribunal, c’est au moment de conclure un contrat avec une entreprise chargée de l’exécution des travaux que cette Loi trouve application[6], pas avant.

Cette prise de position est intéressante puisqu’elle va à l’encontre de la position préalablement prise par la Cour supérieure en 2018[7]. Le tribunal mentionne en effet en note de bas de page[8] ne pas se sentir lié par l’obiter dictum de cette décision.

La municipalité plaide également que les sommes n’étaient pas disponibles puisque prévues pour d’autres projets. La Cour tranche que pour évaluer la capacité de payer d’une municipalité, il faut tenir compte du budget total plutôt que les « préférences du conseil municipal »[9].

La Loi sur l’interdiction des subventions municipales

La municipalité prétendait également que l’engagement qu’elle avait souscrit de prolonger le chemin constituait une subvention illégale en vertu de la Loi sur l’interdiction des subventions municipales[10].

La Cour réfute cet argument et mentionne que cette Loi ne vise pas à interdire à une municipalité d’acquérir un terrain pour ses propres besoins même si cela « fait l’affaire » du tiers cédant[11].

L’indépendance du conseil

Enfin, la municipalité plaide que le nouveau conseil est libre de ne pas se conformer à un contrat conclu par l’ancien conseil.

L’idée même que la municipalité puisse revenir sur ses engagements contractuels irrite le tribunal. La Cour affirme que :

« L’élection d’un nouveau conseil ne permet pas à MLP de se dédire et de se libérer de ses obligations. Il répugne à l’ordre public qu’une municipalité revienne sur un engagement, hors les cas prévus à l’article 2025 du Code civil du Québec, simplement parce que de nouvelles personnes ont été élues. Si cela était permis, on devrait craindre que plus personne ne veuille contracter avec une municipalité. Un nouveau conseil municipal n’est pas lié par des décisions de nature purement politique et peut, s’il le juge à propos, abroger un règlement municipal adopté par un conseil antérieur. Il ne peut cependant se libérer d’obligations contractuelles.[12] »

Ce passage illustre bien que malgré l’indépendance du conseil, celui-ci ne peut pas toujours changer le passé.

Conclusion

Cette décision récente montre bien que la planification des travaux municipaux doit se faire dans une perspective de saine gestion à long terme puisqu’une fois mise en marche, le développement mis de l’avant dans un engagement formel dans un contrat de cession de terrains sera difficile à arrêter.


[1] 9266-7433 Québec inc. c. Municipalité de La Pêche, 2021 QCCS 2022. Au moment d’écrire ces lignes, le plumitif n’affiche toujours pas une demande d’en appeler de ce jugement.
[2] RLRQ, c. T-14.
[3] Article 1 de la Loi sur les travaux municipaux.
[4] Article 2 de la Loi sur les travaux municipaux, RLRQ, c. T-14.
[5] 9266-7433 Québec inc. c. Municipalité de La Pêche, par. 40.
[6] 9266-7433 Québec inc. c. Municipalité de La Pêche, par. 37.
[7] Lévesque c. Ville de Normandin, 2018 QCCS 2142, par. 19-20.
[8] Voir note de bas de page 11 dans la décision Lévesque c. Ville de Normandin.
[9] 9266-7433 Québec inc. c. Municipalité de La Pêche, par. 46.
[10] RLRQ c. I-15.
[11] 9266-7433 Québec inc. c. Municipalité de La Pêche, par. 41.
[12] 9266-7433 Québec inc. c. Municipalité de La Pêche, par. 35.

ÉCRIT PAR :

Mes Maryse Catellier Boulianne et Patrick Beauchemin

Avocats au sein du cabinet Morency avocats