26 mai 2021
En 2017, le gouvernement a adopté le projet de loi 122[1] qui a notamment introduit des dispositions à la Loi sur les cités et villes[2] (ci-après : « LCV ») ainsi qu’au Code municipal[3] (ci-après : « CM ») relativement au pouvoir général de taxation des villes et municipalités. Ces pouvoirs reprennent en réalité des dispositions introduites à la Charte de la ville de Montréal[4] en 2008[5] et à la Charte de la Ville de Québec[6] en 2016[7]. Ces pouvoirs font l’objet de très peu de jurisprudence et sont encore trop mal connus dans le monde municipal.
Le pouvoir général de taxation et ses limites
Ce pouvoir général de taxation s’ajoute aux pouvoirs de taxations déjà prévus aux autres lois municipales[8]. Ce pouvoir permet à une municipalité locale d’imposer sur son territoire, par règlement, toute taxe municipale, pourvu qu’il s’agisse d’une taxe directe et que ce règlement satisfasse à certains critères énoncés dans la loi. Cependant, l’article 1000.1 CM et 500.1 LCV prévoient une série de domaines pour lesquels une municipalité n’est pas autorisée à imposer une taxe. On y retrouve entre autres la fourniture d’un bien ou d’un service, le carburant, les ressources naturelles, l’énergie, etc.
Dans les débats parlementaires, le ministre Coiteux justifiait ainsi ces exemptions :
« Comme vous avez pu le constater, un pouvoir général de taxation ne permet pas à la ville d’empiéter sur les pouvoirs de taxation existants du gouvernement, et c’est pour ça qu’il prévoit donc, ce pouvoir général de taxation, une série de limites pour ne pas empiéter sur les autres champs de taxation. »[9]
L’objectif de ces limitations est donc d’éviter que les municipalités d’empiètent sur un champ fiscal déjà occupé par le gouvernement. Cela évite un niveau de taxation inégal selon les régions dans un même secteur d’activité de même qu’une concurrence entre les municipalités[10], une sorte de forum shopping régional. De plus, certaines limitations comme celle visant les ressources naturelles ont vraisemblablement pour but d’éviter qu’une municipalité impose une taxe à un citoyen d’une autre municipalité[11].
Les articles 500.2 LCV et 1000.2 CM prévoient de leur côté une série de personnes ou d’entités à qui les villes et municipalités ne peuvent imposer des taxes en vertu de ce pouvoir. On y retrouve entre autres les mandataires de l’État, les centres de services scolaires et les centres de la petite enfance. L’impact de ces limitations a fait l’objet d’une saga judiciaire.
Le pouvoir général de taxation et la Loi sur la fiscalité municipale : la saga
En 2018 la Cour supérieure rend une décision dans un litige qui opposait la Ville de Montréal à la Société québécoise des infrastructures (ci-après : « SQI »). La Cour y examine les dispositions des articles 151.8 et suivants de la Charte de la ville de Montréal[12]octroyant à la ville un pouvoir général de taxation, pouvoir qui a par la suite été repris dans la LCV et le CM.
En vertu de ce pouvoir, la Ville de Montréal avait adopté un Règlement concernant la taxe foncière sur les parcs de stationnement qui prévoyait l’imposition d’une taxe sur les immeubles non résidentiels comportant un parc de stationnement. La SQI, étant mandataire de la Couronne, s’est vue imposer une compensation tenant lieu de taxe. Elle s’est adressée aux tribunaux dans une procédure en répétition de l’indu pour en obtenir le remboursement.
La Cour supérieure souligne que lors de l’adoption du régime de compensation tenant lieu de taxes prévu aux articles 254 et suivants de la Loi sur la fiscalité municipale[13](ci-après : « LFM »), le pouvoir général de taxation en vertu duquel la Ville de Montréal a adopté son règlement n’existait pas. Cependant, à cette époque, les dispositions de la Charte de la Ville de Montréal permettant cette taxe prévoient une exclusion pour les mandataires de la Couronne au même titre que l’article 204 de la LFM[14].
La Cour supérieure donne raison à la SQI qui prétend qu’elle est exclue du régime de taxation générale en vertu de l’article 151.9 de la Charte de la ville de Montréal. Elle prétend également que le mécanisme de compensation tenant lieu de taxe ne peut être applicable puisque « le régime de taxation de l’article 151.8 de la Charte a tous les attributs d’un régime fiscal particulier et indépendant de la LFM, lequel prévoit les compensations tenant lieu de taxes »[15].
La Cour d’appel s’est prononcée sur la question le 3 mai dernier en rejetant l’appel de la Ville de Montréal. Elle confirme dans son jugement l’indépendance du pouvoir général de taxation du régime de la LFM :
« [26] Alors que l’article 204 (1°) LFM exempte de toute taxe foncière les immeubles de l’intimée qui sont portés au rôle et donc, en principe imposables, l’article 151.9 de la charte se situe en amont. Il n’autorise tout simplement pas l’appelante à utiliser son pouvoir général de taxation à l’endroit d’un mandataire de l’État. Or, si l’appelante n’a pas le pouvoir habilitant de taxer, elle n’a pas davantage le droit d’exiger une compensation tenant lieu de taxes, à moins bien sûr de considérer que cette faculté, qui découle de la LFM, lui serait implicitement octroyée. Or, comme nous l’avons vu, l’arrêt Plessis-Planet est venu fermer la porte à cette prétention. Il en va de même du législateur. »[16]
Cette question a été clarifiée dans la LCV et le CM au moment de l’adoption du projet de loi 122. L’exclusion du régime de compensation de la LFM est maintenant expressément prévue à la Loi[17]. Tant la Cour supérieure que la Cour d’appel interprètent cette décision législative comme une réponse au litige opposant la Ville de Montréal à la SQI.
Cette saga judiciaire nous permet de constater que bien que ce « nouveau » pouvoir général de taxation permet aux villes et municipalités de diversifier leurs sources de financement, ce n’est pas pour autant une panacée puisqu’il comporte d’importantes limitations.
Prudence et précision
Pour bien utiliser le pouvoir général de taxation, il importe de faire preuve de prudence et de précision. En 2019, la Cour d’appel s’est prononcée dans le cadre d’un recours contestant la validité de tels règlements. L’entreprise Plessis Panet inc. contestait la règlementation de la Ville de Montréal pour trois motifs soit (1) qu’il s’agissait d’une forme déguisée de tarification au sens de la LFM, (2) qu’elle lui imposait un fardeau démesuré et (3) que la taxe était arbitraire, déraisonnable et abusive[18].
La Cour y reconnaît que le pouvoir général de taxation n’a pas besoin d’être lié à un bénéfice pour le contribuable ni à des travaux, biens ou services[19]. Elle cite l’article de doctrine de Me Axel Fournier :
« Par ailleurs, rien n’empêche une municipalité de taxer la disponibilité d’un service ou d’un bien indépendamment de sa fourniture. On peut ainsi penser à une taxe sur les espaces de stationnement non résidentiels offerts sur le territoire de la municipalité. Dans la mesure où la taxe est indépendante de la fourniture ou non du service de stationnement, mais porte plutôt sur la superficie ou le nombre d’unités de stationnement, elle respecterait les restrictions de l’article 500.1 LCV (1000.1 C.m.). »[20]
La distinction entre la taxation d’un service et la taxation de la disponibilité d’un service est subtile, mais elle fait toute la différente pour les municipalités. Dans cette affaire, le recours de Plessis-Panet inc. a été rejeté.
Il est donc crucial de définir avec attention et de bien conceptualiser la réglementation imposant une telle taxe. Au besoin, consulter vos procureurs. Ces distinctions peuvent permettre aux municipalités d’utiliser les taxes comme un important levier, notamment en matière d’environnement, comme l’illustre l’auteur Axel Fournier :
« Quelques types de taxes ou de redevances ont été suggérés par les autorités ministérielles en commission parlementaire lors de l’adoption du projet de loi 122. L’écofiscalité fait partie des solutions proposées à cette occasion par le ministre Martin Coiteux. En effet, il s’agit d’un mode de taxation ou de redevances qui ne prélève pas une somme sur la fourniture d’un bien ou d’un service, mais plutôt sur un sous-produit du bien ou du service, soit le polluant. »[21]
L’auteur souligne également la possibilité de taxer les caractéristiques d’un immeuble autres que sa valeur, par exemple[22].
En réalité les possibilités sont quasi-infinies. Il suffit de faire aller son imagination tout en gardant en tête qu’en matière fiscale, le diable est dans les détails!
[1] Loi visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs, LQ 2017, c. 13.
[2] RLRQ c. C-19, article 500.1 et suivants.
[3] RLRQ c. C-27.1, article 1000.1 et suivants.
[4] RLRQ c. C-11.4, articles 151.8, 151.9 et 151.10 (maintenant abrogées).
[5] Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant Montréal, LQ 2008 c.19.
[6] RLRQ c. C-11.5.
[7] Loi accordant le statut de capitale nationale à la Ville de Québec et augmentant à ce titre son autonomie et ses pouvoirs, LQ 2016 c. 31.
[8] Axel Fournier, « Les nouveaux pouvoirs de taxation des municipalités », dans Barreau du Québec, Service de la formation continue, Développements récents en droit municipal (2019), vol. 456, Montréal (Qc), Yvon Blais, 2019, en ligne : https://edoctrine.caij.qc.ca/developpements-recents/456/369022501 p. 110.
[9] Assemblée nationale, Journal des débats, 41e législature, 1re session, 1er juin 2017, volume 44, numéro 133, en ligne : http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/CAT-41-1/journal-debats/CAT-170601.html#15h30 (page consultée le 9 avril 2021).
[10] Axel Fournier, supra note 8, p. 130.
[11] Axel Fournier, supra note 8, p. 113.
[14] De pareilles exceptions existent aujourd’hui aux articles 500.2 LCV et 1000.2 CM.
[15] Société québécoise des infrastructures c. Ville de Montréal, 2018 QCCS 5323, par. 100.
[16] Article 1000.3 CM et 500.3 LCV. Voir également. Ville de Montréal c. Société québécoise des infrastructures, 2021 QCCA 731, par. 26.
[17] Articles 1000.2 CM et 500.2 LCV in fine.
[18] Plessis-Panet inc. c. Ville de Montréal, 2019 QCCA 1264, par. 10.
[19] Plessis-Panet inc. c. Ville de Montréal, 2019 QCCA 1264, par. 31.
[20] Axel Fournier, supra note 8, p. 133 cité dans Plessis-Panet inc. c. Ville de Montréal, 2019 QCCA 1264, par. 40.
[21] Axel Fournier, supra note 8, p. 148.
[22] Axel Fournier, supra note 8, p. 148.
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