L’adjudication de contrats municipaux et l’interdiction de discrimination selon le territoire : un principe devenu exception?

14 octobre 2021
Fédération québécoise des municipalités

14 octobre 2021

Le principe

Depuis fort longtemps, les lois[1] municipales veulent que les processus d’appel d’offres municipaux ne puissent faire de discrimination basée sur la province ou le pays d’origine des biens, services, assureurs, fournisseurs ou entrepreneurs.

Les exceptions

En 1997, ce principe d’interdiction de discrimination basée sur le territoire ou la provenance souffrait seulement de deux exceptions qui ne concernaient que certaines demandes de soumissions publiques :

  1. Il était possible de ne considérer que les soumissions présentées par des entrepreneurs ou fournisseurs ayant un établissement au Québec, ou ayant un établissement dans une province ou un territoire visé par un accord intergouvernemental de libéralisation des marchés applicable à la municipalité;
  2. Il était possible de ne considérer que les biens produits dans un territoire comprenant le Québec et une province ou un territoire visé par un accord de libéralisation.

En 2001, un amendement aux lois[2] municipales prévoyait la possibilité pour le législateur provincial de discriminer, par la voie d’un règlement, en fonction du territoire pour certaines catégories de contrats.

Deux amendements intervenus en 2010 et 2018 allaient sensiblement dans le même sens.[3]

Les amendements récents

Plus récemment[4], le législateur ajoute aux exceptions de non-discrimination basée sur le territoire ou la provenance, pour prévoir qu’une municipalité peut, dans une demande de soumissions publique ou dans un document auquel elle renvoie, discriminer de l’une ou l’autre des manières suivantes :

  1. Exiger, sous peine de rejet de la soumission, que des biens ou des services objets de la demande de soumission soient canadiens ou que des fournisseurs ou des entrepreneurs aient un établissement au Canada;[5]
  2. Considérer comme critère qualitatif d’évaluation, la provenance canadienne d’une partie des biens, des services, des fournisseurs, des assureurs ou des entrepreneurs;[6]
  3. Exiger, sous peine de rejet de la soumission, que l’ensemble des services d’ingénierie afférents à un contrat de conception et de construction d’une infrastructure de transport soient [offerts] par des fournisseurs provenant du Canada ou du Québec;[7]
  4. Exiger, sous peine de rejet de la soumission, qu’un contrat de service consistant à exploiter un bien public aux fins de fournir un service destiné au public soit [assuré] par un entrepreneur ou un fournisseur provenant du Canada ou du Québec;[8]
  5. Exiger que le cocontractant à un contrat d’acquisition de véhicules de transport en commun qui comporte une dépense égale ou supérieure au seuil décrété par le ministre confie jusqu’à 25 % de la valeur totale du contrat en sous-traitance au Canada et que cette sous-traitance inclue l’assemblage final de ces véhicules.[9]

Il est à noter que la Loi prévoit qu’il s’agit là de possibilités s’offrant aux municipalités. Ces mesures de discrimination fondées sur le territoire ou la provenance sont donc facultatives. Mais attention! Le législateur rend ces mesures obligatoires pour certains contrats[10] comportant une dépense égale ou supérieure à 20 000 000 $.

En plus de ce qui précède, le projet de loi 67[11] prévoit que toute municipalité peut, sans y être obligée, adopter une politique d’acquisition responsable qui tient compte des principes prévus à l’article 6 de la Loi sur le développement durable[12].

Or, la notion de développement durable réfère entre autres aux sphères environnementales, sociales ou économiques. Du même coup, l’achat local, entorse à la non-discrimination basée sur le territoire ou la provenance, s’en trouve favorisé.

Enfin, le même projet de loi prévoit à son article 124 ce qui suit :

« Le règlement de gestion contractuelle de tout organisme municipal devra contenir des mesures d’achat québécois aux fins de la passation de tout contrat qui comporte une dépense inférieure au seuil de la dépense et qui ne peut être adjugé qu’après une demande de soumissions publique. »

Il s’agit là d’une obligation pour les municipalités et non d’une simple possibilité s’offrant à elles. Notons que cette disposition est pour le moment temporaire, en ce qu’elle cesse théoriquement d’avoir effet le 25 juin 2024.

Visions d’avenir

Nous sommes donc forcés de constater que le principe de non-discrimination basée sur le territoire ou la provenance s’est grandement érodé au fil du temps.

Si, à une certaine époque, le principe ne souffrait que de quelques exceptions confirmant la règle, il faut bien admettre que tel n’est plus le cas.

Les exceptions au principe de non-discrimination, jadis bien circonscrites, sont devenues ou bien la règle s’imposant aux municipalités en certains cas, ou bien une mesure facultative fortement favorisée dans d’autres.

Tout ceci nous laisse nous questionner : Le principe serait-il devenu l’exception? Il y a fort à parier que le législateur répondra à cette question lorsqu’il reconduira -ou non- la mesure transitoire qui a récemment forcé les municipalités à intégrer dans leurs règlements de gestion contractuelle des mesures d’achat québécois.


[1] Voir notamment l’article 936.0.4 du Code municipal du Québec (RLRQ, c. C-27.1) et l’article 573.1.0.4 de la Loi sur les cités et villes (RLRQ, c. C-19).

[2] 2001, c. 25, a. 55.

[3] 2010, c. 1, a. 21 et 2018, c. 8, a. 90.

[4] Projet de loi 67.

[5] Voir l’article 936.0.4.1, par. 1 CMQ et 573.1.0.4.1, par. 1 LCV; Aux fins d’un contrat de construction, d’un contrat d’approvisionnement ou d’un contrat de services mentionnés au huitième alinéa de l’article 936.0.4.1 CMQ (573.1.0.4.1 LCV) qui comportent une dépense inférieure au plafond décrété par le ministre à l’égard de chaque catégorie de contrat ou encore d’un contrat de tout autre service que ceux mentionnés au huitième alinéa de l’article 936.0.4.1 CMQ (573.1.0.4.1 LCV).

Les services dont il est question sont les suivants :

  • messagerie et de courrier, y compris le courrier électronique;
  • télécopie;
  • immobiliers;
  • informatiques, y compris ceux de consultation en matière d’achat ou d’installation de logiciels ou de matériel informatique et ceux de traitement de données;
  • entretien ou réparation d’équipement ou de matériel de bureau;
  • consultation en gestion, sauf les services d’arbitrage, de médiation ou de conciliation en matière de gestion des ressources humaines;
  • architecture ou d’ingénierie, sauf les services d’ingénierie afférents à un contrat unique de conception et de construction d’infrastructure de transport;
  • architecture paysagère;
  • essais, analyses ou inspection en vue d’un contrôle de qualité;
  • nettoyage de bâtiments, y compris l’intérieur;
  • réparation de machinerie ou de matériel;
  • assainissement;
  • enlèvement d’ordures;
  • voirie.

[6] Voir l’article 936.0.4.1, par. 2 CMQ et 573.1.0.4.1, par. 2 LCV; Aux fins d’un des contrats mentionnés au paragraphe 1°, lorsqu’elle utilise un système de pondération et d’évaluation des offres visé à l’article 936.0.1 ou à l’article 936.0.1.1 du Code municipal du Québec.

Le nombre de points maximal qui peut être attribué au critère d’évaluation du paragraphe 2° du premier alinéa ne peut être supérieur à 10% du nombre total des points de l’ensemble des critères.

[7] Voir l’article 936.0.4.1, par. 3 CMQ et 573.1.0.4.1, par. 3 LCV; Aux fins de tout contrat unique prévoyant la conception et la construction d’une infrastructure de transport.

[8] Voir l’article 936.0.4.1, par. 4 CMQ et 573.1.0.4.1, par. 4 LCV.

[9] Voir l’article 936.0.4.1, par. 5 CMQ et 573.1.0.4.1, par. 5 LCV.

[10] Contrat unique prévoyant la conception et la construction d’une infrastructure de transport, contrat de services par lequel une municipalité requiert qu’un entrepreneur ou un fournisseur exploite tout ou partie d’un bien public aux fins de fournir un service destiné au public et contrat d’acquisition de véhicules de transport en commun qui comporte une dépense égale ou supérieure au seuil décrété par le ministre.

[11] Sanctionné le 25 mars 2021.

[12] RLRQ, c. D-8.1.1.

ÉCRIT PAR :

Me Christopher-William Dufour Gagné

Avocat en droit municipal au sein du cabinet Morency Société d’avocats S.E.N.C.R.L.