Adjudication des contrats pour un regroupement de municipalités

25 mai 2022
Fédération québécoise des municipalités

25 mai 2022

a Cour d’appel du Québec a récemment rappelé que les villes ou municipalités du Québec sont des créatures de la loi et qu’elles doivent exercer les pouvoirs qui leur sont attribués dans les limites des lois qui leur sont applicables, notamment par la Loi sur les cités et villes RLRQ, ch. C-19 (« LCV ») et la Loi sur les compétences municipales, RLRQ, ch. C-47.1 (« LCM »). Elles peuvent, dans certaines circonstances, se regrouper afin d’exercer certaines de leurs compétences conjointement.

Lorsque de tels regroupements sont convenus, de quelle façon les municipalités doivent-elles régir leurs relations contractuelles?

Le 20 octobre 2020, la Cour d’appel dans l’affaire MRC de Vaudreuil-Soulanges c. Location Rivoca inc.1 a abordé la question du pouvoir des municipalités de se regrouper afin d’exercer leur compétence en matière d’environnement. La Cour analyse une situation où la MRC de Vaudreuil-Soulanges (« MRC ») et la Ville de Laval (« Ville ») se regroupent pour créer un organisme à but non lucratif (« OBNL »), qui se nomme Tricentris, lequel est chargé d’acheminer vers un centre de tri les collectes effectuées par une entreprise privée en vue de leur conditionnement et de leur mise en marché2.

Dans les faits, la MRC et la Ville se regroupent, en commun avec d’autres municipalités, pour créer Tricentris afin d’exercer leur compétence quant aux matières recyclables3. À cette fin, la Cour reconnait que les municipalités peuvent créer un OBNL pour assurer la protection de l’environnement et, par le fait même, lui confier l’organisation et la gestion, pour son compte et donc sur son territoire, des activités afférentes4. Les articles 93 et 94 LCM permettent effectivement à une municipalité de créer un OBNL afin de lui déléguer cette responsabilité et, en vertu de l’article 90 LCM, elle possède la compétence pour lui accorder une aide financière pour la réalisation de ces activités. Toutefois, la Cour conclut que la preuve démontre que Tricentris ne constitue pas un organisme municipal5 au sens de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, RLRQ, ch. A-2.1, de sorte que l’exception prévue à l’article 573.3 LCV est inapplicable.

La Cour rappelle que les municipalités peuvent, dans certains cas et à certaines conditions, constituer une personne morale6 aux fins de l’exercice de leurs compétences, ou encore déléguer celle-ci à d’autres organismes7 ou à d’autres municipalités8. L’objectif de ce principe est de promouvoir la revalorisation du pouvoir local, en laissant aux municipalités le choix de s’associer entre elles pour fournir des services9. Lorsqu’une municipalité désire se mettre en commun avec une ou plusieurs autres municipalités pour exercer une compétence qui lui est attribuée, le véhicule prévu par la Loi si elle souhaite créer une personne morale constitue la régie intermunicipale10, laquelle obtient la compétence sur le territoire de toutes les municipalités faisant partie de l’entente11.

Cependant, la régie intermunicipale est soumise aux mêmes règles d’octroi des contrats12 que les municipalités qui la composent, et ce, afin d’assurer la protection des fonds publics13. Dans les faits du présent arrêt, les contrats attribués à Tricentris ont été accordés de gré à gré pour un montant excédant 1 million de dollars pour chacun des contrats, et ce, sans appels d’offres publics. Pour ce motif, la Cour conclut que les contrats attaqués ont été conclus illégalement14.

La Cour d’appel termine son analyse de façon assez explicite en rappelant que les municipalités qui se « rassemblent sous le chapeau d’entreprise privée, soit-elle à but non lucratif, afin d’exercer indirectement certaines de leurs compétences, et ce, dans le but d’éluder des règles d’ordre public dont l’objet est d’assurer la protection des citoyens des municipalités membres, aurait dû inciter à la vigilance »15. De telles façons de régir les relations contractuelles sont à proscrire.


[1] MRC de Vaudreuil-Soulanges c. Location Rivoca inc. 2021 QCCA 1535.

[2] Idem. par. 12.

[3] Idem. par. 15.

[4] Idem., par. 33.

[5] Idem, par. 36.

[6] Voir par exemple : LCM., art. 11, 17-17.5, 93, 111-111.4, 116 et 126.4; LCV., art. 465.1-465.17.

[7] Voir par exemple : LCM, art. 7.1, 9, 15, 20, 22, 34, 64, 84, 94, 117 et 126.2; LCV, art. 29.9.1- 29.10.1.

[8] LCV, art. 468.1 et s.; LCM art. 108.

[9] PATRICK KENNIFF, « Les récentes réformes législatives en droit municipal québécois : Bilan et perspectives d’avenir », (1981) 12 R.D.U.S. 1, p. 24.

[10] Préc. note 1, par. 25.

[11] LCV art. 468.15 ; Code municipal du Québec (« CMQ »), RLRQ, ch. C-27.1 art. 584.

[12] LCV 468.51 ; CMQ art. 620.

[13] Préc. note 1, par. 30.

[14] Idem.par. 42.

[15] Idem. par. 40.

ÉCRIT PAR :

Mes Anne-Florence Noël et Martin Bouffard

Avocats chez Morency, Société d’avocats S.E.N.C.R.L.