Un recours en expropriation déguisée est susceptible d’être entrepris lorsqu’une modification à la réglementation municipale a pour conséquence de priver un propriétaire de toute utilisation raisonnable de sa propriété. Plusieurs litiges ont vu le jour dans les dernières années en matière de protection environnementale. Or, le législateur a récemment modifié la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme1 (LAU), ce qui vient chambouler le cadre d’analyse juridique.
Le 18 juin 2024, la Cour d’appel du Québec rendait un jugement qui évoque ce changement de paradigme dans l’affaire Ville de Saint-Bruno-de-Montarville c. Sommet Prestige Canada inc2.
Dans cette affaire, des entreprises propriétaires d’un terrain boisé à Saint-Bruno-de-Montarville (municipalité) avaient conclu une entente avec la municipalité leur permettant d’effectuer un développement immobilier en échange du respect d’un grand nombre de contraintes visant à protéger l’intégrité du boisé. Or, un changement dans la composition du conseil municipal à la suite des dernières élections municipales est venu modifier la dynamique en place.
En effet, le nouveau conseil a adopté une série de modifications réglementaires ayant pour effet, selon les propriétaires, de rendre impossible tout projet de développement immobilier. La municipalité s’appuyait pour sa part sur l’article 113 (16°) de la LAU qui prévoit qu’un règlement de zonage peut « régir ou prohiber tous les usages, activités, constructions […] compte tenu […] de tout autre facteur propre à la nature des lieux qui peut être pris en considération pour des raisons de sécurité publique ou de protection de l’environnement ».
En première instance, le Tribunal arrive à la conclusion que les modifications réglementaires constituent une expropriation déguisée puisqu’elles ne laissent aucune utilisation raisonnable des lots aux propriétaires. Il ajoute que l’interprétation que donne la municipalité à l’article 113 (16°) de la LAU est trop large et que les propriétaires ont droit à une indemnisation. Le dossier est alors porté en appel.
Or, après la formation de l’appel, mais avant le jugement, le législateur provincial adopte la Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives3,laquelle introduit le nouvel article 245 de la LAU :
245. L’accomplissement d’un acte prévu par la présente loi ne crée aucune obligation pour celui qui l’accomplit d’indemniser, en vertu de l’article 952 du Code civil, une personne qui subit, par l’effet de cet acte, une atteinte à son droit de propriété sur un immeuble, pour autant qu’il demeure possible de faire une utilisation raisonnable de l’immeuble.
Un immeuble doit être considéré comme susceptible d’une utilisation raisonnable lorsque l’atteinte au droit de propriété est justifiée dans les circonstances, ce qui doit s’évaluer dans une perspective de proportionnalité en tenant compte, entre autres, des caractéristiques de l’immeuble, des objectifs prévus dans un plan métropolitain, dans un schéma ou dans un plan d’urbanisme et de l’intérêt public.
Une atteinte au droit de propriété est réputée justifiée aux fins du deuxième alinéa lorsqu’elle résulte d’un acte qui respecte l’une ou l’autre des conditions suivantes :
1° l’acte vise la protection de milieux humides et hydriques;
2° l’acte vise la protection d’un milieu, autre qu’un milieu visé au paragraphe 1°, qui a une valeur écologique importante, à la condition que cet acte n’empêche pas la réalisation, sur une superficie à vocation forestière identifiée au rôle d’évaluation foncière, d’activités d’aménagement forestier conformes à la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (chapitre A-18.1);
3° l’acte est nécessaire pour assurer la santé ou la sécurité des personnes ou la sécurité des biens.
Le présent article est déclaratoire.
La mention expresse qu’il s’agit d’un article déclaratoire lui donne un effet immédiat de sorte qu’il s’applique aux affaires en cours, mais pas aux jugements passés. Il est clair que cette disposition vise le cœur du litige devant la Cour d’appel.
Les parties reconnaissent l’importance de ce changement législatif, mais n’ont pas la même interprétation de sa signification sur l’issue du litige. Plus particulièrement, la notion de « valeur écologique importante » n’est pas définie dans la Loi.
La Cour d’appel n’est pas en mesure de se positionner sur la question, puisqu’aucun débat n’avait eu lieu sur le sujet en première instance. Une preuve additionnelle, voire une expertise, pourrait même s’avérer nécessaire afin de déterminer si le boisé protégé présente une « valeur écologique importante ». La Cour d’appel retourne donc le dossier en première instance afin de permettre à la Cour supérieure de trancher la question sous le nouveau cadre d’analyse.
La mention d’une preuve supplémentaire est intéressante, puisqu’elle laisse entrevoir la possible nécessité pour une municipalité de devoir justifier par expertise sa classification environnementale de certaines zones.
Ce dossier sera à suivre étant donné que l’interprétation que le Tribunal donnera à ce nouvel article de la LAU viendra assurément faire jurisprudence en matière d’expropriation déguisée dans un contexte de réglementation environnementale. L’adoption de ces nouvelles dispositions législatives vient donc ouvrir un nouveau chapitre en matière d’expropriation déguisée et l’interprétation que retiendront les tribunaux sera fort utile aux municipalités afin de bien évaluer les conséquences de l’adoption de réglementation environnementale.
Par Me Maryse Catellier Boulianne
Avocate
Morency Société d’avocats
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[1] RLRQ, c. A-19.1
[2] 2024 QCCA 804
[3] L.Q. 2023, chapitre 33