27 septembre 2023
Les appels d’offres font couler beaucoup d’encre dans la jurisprudence. Il s’agit d’un processus qui peut s’avérer complexe et empreint de nombreuses formalités à respecter. En présence d’irrégularités, notamment dans les documents d’appel d’offres, dans les soumissions, dans le processus ou lors de l’ouverture publique des soumissions, il est possible, dans certains cas, de devoir annuler le processus d’appel d’offres et de le reprendre, de devoir rejeter une soumission ou même, ce que l’on ne souhaite jamais, de devoir payer des dommages-intérêts à un soumissionnaire qui aurait été écarté de façon erronée. Bref, il est toujours important pour un donneur d’ouvrage d’être prudent et diligent.
L’ouverture publique des soumissions est une composante essentielle du processus d’appel d’offres. L’article 935 du Code municipal du Québec prévoit ce qui suit à cet égard :
« 935. […]
4. Toutes les soumissions doivent être ouvertes publiquement en présence d’au moins deux témoins, aux date, heure et lieu mentionnés dans la demande de soumissions.
5. Tous ceux qui ont soumissionné peuvent assister à l’ouverture des soumissions.
6. Lors de l’ouverture des soumissions, doivent être divulgués à haute voix :
1° Le nom des soumissionnaires, y compris, le cas échéant, le nom de ceux ayant transmis une soumission par voie électronique dont l’intégrité n’a pas été constatée, sous réserve d’une vérification ultérieure;
2° Le prix total de chacune des soumissions, sujet à cette même vérification. […] »
Que faire, toutefois, si une soumission est ouverte par inadvertance avant l’ouverture officielle ou si l’ouverture n’est pas réalisée conformément aux critères de la loi?
D’ores et déjà, il faut souligner que l’égalité entre les soumissionnaires est l’un des principes fondamentaux du processus d’appel d’offres.
En présence d’un défaut de respecter les règles relatives à l’ouverture publique des soumissions, la transparence du processus est affectée et il devient difficile de garantir l’intégrité du processus vis-à-vis du public1. Selon la Cour d’appel du Québec, dans l’affaire Constructions Bé-Con inc.2, il s’agit d’une violation substantielle d’une règle fondamentale du processus d’appel d’offres public.
Bien que certaines décisions rendues par d’autres tribunaux3, antérieurement à celle de la Cour d’appel du Québec, puissent avoir justifié certaines irrégularités dans un contexte d’ouverture publique des soumissions, il nous apparaît que les motifs de l’arrêt rendu dans l’affaire Constructions Bé-Con inc. sont clairs quant à l’obligation de respecter à la lettre les critères de l’ouverture publique des soumissions.
Dans cette affaire, le dépôt de la soumission d’un soumissionnaire (Grenier) est enregistré par un horodateur, par erreur, après l’heure fixée pour la réception des soumissions. Dû à cette irrégularité, la soumission n’est pas ouverte lors de l’ouverture officielle. Suivant la constatation de l’erreur de l’horodateur, la soumission est ouverte en privé dans le bureau du responsable de l’appel d’offres.
Les passages suivants de l’arrêt sont révélateurs :
« [44] Plutôt que s’en remettre au processus public d’ouverture des soumissions, la responsable du dossier prend connaissance, en privé dans son bureau, des soumissions cachetées. La bonne foi de Travaux publics et de son personnel n’est aucunement mise en doute ici, mais il demeure qu’on a fait un accroc sérieux à la procédure d’ouverture publique des soumissions. Il fallait préconiser en tout temps un processus public, en convoquant à nouveau les quatre soumissionnaires pour les informer de l’imprécision de l’horodateur, de son effet sur les deux soumissions cachetées et, surtout, pour procéder en leur présence à l’ouverture de la soumission de Grenier reçue dans le délai.
[45] Quelles conséquences, s’il en est, emporte cet accroc aux règles d’appel d’offres?
[46] Le défaut par Travaux publics d’avoir procédé à une ouverture publique de la soumission de Grenier constitue une violation substantielle d’une règle fondamentale du processus d’appel d’offres public auquel elle est assujettie.
[47] Comme la Cour suprême le rappelle dans Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transports et Voirie) “le caractère fructueux du processus dépend de son intégrité et de son efficacité commerciale”. […]
[48] L’ouverture privée d’une soumission affecte la transparence du processus d’appel d’offres et empêche d’en garantir l’intégrité vis-à-vis du public.
[49] La soumission de Grenier aurait dû être déclarée irrecevable. C’est le sort réservé aux soumissions qui ne satisfont pas aux exigences essentielles du processus d’appel d’offres. Par exemple, dans le présent dossier, la soumission de Construction BSL a été reçue à 14 h 2, soit deux minutes après l’heure fixée pour la clôture des soumissions, et elle a été déclarée irrecevable. La violation est si grave que l’on présume qu’elle affecte la transparence et l’équité des appels d’offres. Cette même présomption doit être rattachée à la violation du processus d’appel d’offres que constitue l’ouverture en privé d’une soumission. En conséquence, le contrat aurait dû être attribué à l’intimée, le plus bas soumissionnaire conforme.
[50] Le marché des travaux publics représente une activité économique importante et le non-respect des règles essentielles qui en assurent la transparence et l’intégrité doit être sanctionné rigoureusement.
[51] Il est vrai que Grenier a déposé sa soumission dans le délai imparti, que celle-ci était conforme, comme il sera démontré ci-après, et que, n’eût été la faute de Travaux publics, elle aurait obtenu le contrat. Dans les circonstances, Travaux publics lui aurait été redevable des dommages subis, comme l’est toute personne qui, par sa faute, cause un dommage à autrui. »
[Nos soulignements]
Ces principes étant précisés, nous n’avons pas répertorié de décision où un tribunal devait se prononcer sur une situation où une soumission est ouverte, par inadvertance, avant l’ouverture officielle. On peut penser à la simple erreur d’un fonctionnaire qui ouvre une enveloppe, lors de l’ouverture du reste du courrier reçu, sans se rendre compte qu’il s’agit d’une soumission. À notre avis, il est vraisemblable qu’une telle situation pourrait être considérée comme une violation importante d’une règle du processus d’appel d’offres.
Dans une telle situation, à moins de pouvoir avertir le soumissionnaire à temps afin qu’il dépose une nouvelle soumission dans le délai, il nous apparaît prudent de juger la soumission irrecevable et supporter le risque que le soumissionnaire lésé, par cette erreur du fonctionnaire, réclame des dommages pour le préjudice subi.
[1] Canada (Procureur général) c. Constructions Bé-Con inc., 2013 QCCA 665, paragr. 46-48.
[2] Idem.
[3] Notamment : Himalaya Construction inc. c. Stanstead (Municipalité du canton de), 2006 QCCQ 12875 ou 2862-3775 Québec Inc. c. Sept-Îles (Ville), 2004 CanLII 43002.
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