Que faire lorsque l’entrepreneur à qui la municipalité octroie un contrat suivant un appel d’offres public exécute le contrat de façon si lacunaire que la municipalité souhaite rompre le lien contractuel? Sous certaines conditions, la municipalité pourrait résilier le contrat.
La municipalité pourrait même produire une évaluation de rendement insatisfaisant à l’égard de l’entrepreneur afin d’être certaine de pouvoir écarter les futures soumissions de cet entrepreneur. En effet, si les formalités prescrites sont respectées, l’inscription sur la « liste grise » permet à la municipalité d’ignorer les soumissions de cet entrepreneur pour une période de deux ans.
La législation applicable en matière d’appel d’offres public vise à favoriser, entre autres choses, la libre concurrence et la transparence lors de l’adjudication de contrats. Elle oblige les adjudicataires à prévoir en amont les conditions d’adjudication des contrats et les conditions reliées à son exécution. Ce processus, souvent obligatoire selon le seuil de la dépense, permet une certaine sélection des potentiels cocontractants.
Or, une fois le contrat octroyé, la municipalité se retrouve-t-elle sans porte de sortie advenant une mauvaise exécution du contrat? Heureusement, la loi prévoit certains mécanismes à la municipalité pour se dégager, et par le fait même dégager l’entrepreneur, de ses obligations. Il s’agit d’une part de la résiliation du contrat, et d’autre part, de l’inscription de l’entrepreneur sur la « liste grise ».
Tout récemment, en novembre 2024, la Cour d’appel du Québec a rendu un arrêt traitant de ces deux pouvoirs dont disposent les municipalités.
Dans l’affaire Ville de Montréal c. Pavages D’Amour inc.1, suivant un appel d’offres public, la Ville de Montréal (ci-après : la « Ville ») avait octroyé des contrats de déneigement à Pavages D’Amour inc. (ci-après : « l’Entrepreneur ») pour le déneigement de plusieurs arrondissements, et ce, pour plusieurs saisons hivernales.
Dès le premier hiver, plusieurs problèmes surviennent dans l’exécution de deux (2) des contrats octroyés. Après plusieurs échanges entre la Ville et l’Entrepreneur, la Ville résilie ces deux contrats et inscrit l’Entrepreneur sur la liste des fournisseurs ayant un rendement insatisfaisant, soit la liste grise.
Sans surprise, l’Entrepreneur a entrepris des procédures judiciaires, notamment pour contester la légalité de la résiliation et pour faire déclarer invalide son inscription sur la liste grise.
Contestation de la résiliation
Dans les documents d’appel d’offres, la Ville avait prévu une clause qui lui permettait de résilier les contrats en cas de défaut de l’entrepreneur. Il appert de la preuve administrée à l’audience que la Ville a envoyé cinq (5) lettres à l’Entrepreneur dans une période de trois (3) mois pour l’informer des nombreux manquements dans l’exécution des contrats, des pénalités qui pourraient s’appliquer et pour lui demander de remédier aux défauts régulièrement soulevés. Parmi les manquements reprochés, il y avait le fait d’avoir endommagé plusieurs objets, dont du mobilier urbain, des arbres et des vélos, d’avoir délibérément poussé des déchets dans l’andain de neige et d’avoir des comportements dangereux.
À partir du moment où les lettres informent clairement l’Entrepreneur des insatisfactions de la Ville et qu’un délai raisonnable lui est offert pour y remédier, la Cour d’appel conclut que ces lettres peuvent être considérées comme des mises en demeure extrajudiciaires, et ce, même si l’expression « mise en demeure » n’apparait pas textuellement.
La Cour d’appel renverse donc le jugement de première instance et conclu que la résiliation des contrats était légale « puisque [l’Entrepreneur] avait été [mis] en demeure à la suite d’inexécutions répétées et injustifiées de certaines obligations qui n’étaient pas de peu d’importance ».
Par conséquent, la Ville ne peut être condamnée à verser des dommages à l’Entrepreneur que ce soit pour perte de profits futurs ou encore pour des pertes reliées à des dépenses faites dans le cadre de l’exécution des contrats, par exemple des pertes pour la location du garage dans lequel les équipements acquis pour l’exécution du contrat devaient être remisés.
L’inscription sur la Liste grise
La Loi prévoit la possibilité pour une municipalité de mettre un entrepreneur sur la liste grise. Une fois sur la liste grise, la municipalité peut refuser toute soumission de l’entrepreneur, et ce, pour une période de deux (2) ans. Ce pouvoir est prévu à l’article 935 (2.0.1°) du Code municipal du Québec2:
2.0.1. Une demande de soumissions publique peut prévoir que la municipalité se réserve la possibilité de refuser toute soumission d’un entrepreneur ou d’un fournisseur qui, au cours des deux années précédant la date d’ouverture des soumissions, a fait l’objet d’une évaluation de rendement insatisfaisant.
En 2013, le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire a publié le « Guide pour procéder à l’évaluation de rendement destiné aux organismes municipaux », lequel explique, notamment, les formalités à respecter pour produire une évaluation de rendement insatisfaisant.
Brièvement, il s’agit d’une attestation produite par une municipalité qui fait état du non-respect des engagements contractuels souscrits et de la mauvaise prestation de services fournis dans le cadre de l’exécution du contrat.
Dans l’affaire de la Ville de Montréal, le juge de première instance avait conclu que l’évaluation de rendement de l’Entrepreneur quant à l’exécution des contrats qui lui avaient été octroyés justifiait son inscription sur la liste grise, et par le fait même, le refus de sa soumission pour les fins du contrat de déneigement dans un autre arrondissement. La Cour d’appel confirme cette conclusion.
Bien entendu, l’application de ces pouvoirs doit s’apprécier au cas par cas. La décision de résilier un contrat octroyé suivant un appel d’offres public ne doit pas être prise à la légère. En ce qui concerne la liste grise, il s’agit d’un outil supplémentaire pour améliorer la sélection des contractants. Toutefois, il doit être utilisé conformément aux conditions prévues dans la Loi.
Par Me Sophie Bernier
Avocate
Morency, société d’avocats, s.e.n.c.r.l.
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[1] 2024 QCCA 1464.
[2] RLRQ, c. C-19.