Ce moyen de défense est un grand classique du droit de l’environnement. Un citoyen fait exécuter des remblais illégaux en rive et dans la zone inondable d’un plan d’eau, le tout en contravention flagrante de la réglementation municipale applicable à la protection des zones inondables, des rives et littoraux. La municipalité intervient et met le citoyen en demeure d’enlever les remblais et de remettre les lieux dans l’état où ils se trouvaient avant les travaux. Devant le refus d’agir du citoyen, la municipalité se voit forcée d’entreprendre un recours sur la base de l’article 227 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme qui permet de faire cesser un usage qui n’est pas conforme à sa réglementation de zonage. Bien sûr, entre le moment de la mise en demeure et la tenue du procès, il se sera écoulé quelques années pendant lesquelles la nature aura repris certains droits sur les aménagements réalisés. Notamment, la végétation aura colonisé les nouveaux remblais de sorte qu’au moment du procès, le défendeur a alors beau jeu de prétendre que défaire les aménagements causera un plus grand tort à l’environnement que si on les laisse en place.
C’est exactement ce que soutenait le défendeur dans l’affaire Municipalité de Sainte-Anne-de-Sorel c. Deguise1. Selon ce dernier, la municipalité demanderesse n’avait rien à « gagner » en demandant la restauration écologique des lieux puisque les travaux correctifs « perturberaient l’équilibre écologique qui se serait réinstallé depuis les travaux dérogatoires sans éliminer la totalité de l’empiètement ailleurs »2. Par conséquent, le défendeur demandait à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de refuser de rendre l’ordonnance de remise en état des lieux recherchée par la municipalité.
La Cour supérieure, sous la plume de la juge Thériault, refuse de se ranger aux arguments de la défense à qui elle rétorque :
« [67] Ceci étant, le Tribunal est d’avis que dans le présent cas de figure, le débat entourant le « gain environnemental » des travaux correctifs de restauration est en quelque sorte un faux-débat dans la mesure où cela suppose qu’il reviendrait à la Municipalité de justifier en quoi le respect de sa réglementation représente un tel « gain ». Le but de la réglementation en cause est précisément la protection de la rive, du littoral et de la plaine inondable, et le fait qu’on y ait dérogé ne saurait servir à opérer un renversement du fardeau de la preuve obligeant la Municipalité de se rabattre sur une alternative qui soit privilégiée par celui qui est en défaut, en l’occurrence par M. Deguise. Conclure le contraire reviendrait à reprocher à la Municipalité d’insister sur le respect de sa réglementation dès lors que celui qui y a contrevenu la place devant le fait accompli en prétextant qu’elle n’a rien à gagner d’un point de vue environnemental en réclamant la restauration. » [Nos soulignés]
De plus, la Cour ajoute qu’autoriser le maintien des aménagements effectués en contravention de la réglementation visant la protection des zones inondables « irait à l’encontre du principe fondamental interdisant à quiconque de se faire justice à soi‑même »3. Nous ajoutons que cela aurait été, en effet, lancer un bien mauvais message aux administrés qui auraient bien vu l’intérêt de placer leur municipalité devant un fait accompli en prétendant, ensuite, échapper aux conséquences de cette contravention à la réglementation sous prétexte que de remettre les lieux en état aurait un effet pire pour l’environnement. Heureusement, dans cette affaire, la Cour s’est bien gardée de s’aventurer sur un tel chemin. Au contraire, la Cour réaffirme l’importance pour tous de respecter la réglementation applicable, alors que la juge écrit:
« Contrairement aux prétentions de M. Deguise, le fait d’insister sur le respect de la réglementation applicable en exigeant les travaux correctifs de restauration, en l’occurrence la renaturalisation de la berge et le retrait de la quasi-totalité de l’empiètement, n’a rien d’intransigeant ou de dogmatique ou encore de théorique, ces travaux étant à la fois appropriés et proportionnés au vu des circonstances, car ils corrigent la dérogation sans compromettre la stabilité de son terrain et de sa résidence. À nouveau, conclure le contraire, entre autres au motif que les travaux correctifs de restauration imposent des frais additionnels à M. Deguise, reviendrait à cautionner sa stratégie du fait accompli. »4
Bref, on peut se réjouir de constater que les tribunaux peuvent rappeler à l’ordre les citoyens qui prennent des libertés avec la réglementation destinée à protéger l’environnement. Aussi, un tel jugement devrait encourager les municipalités à intervenir, lorsque requis, pour faire respecter leur réglementation.
Par Me Jean-François Girard
Avocat spécialisé en droit de l’environnement et en droit municipal
DHC Avocats
__________
[1] C.S. 765-17-002110-205, 14 novembre 2024, j. Thériault.
[2] Par. 69 du jugement.
[3] Par. 68 du jugement.
[4] Par. 70 du jugement.