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09 février 2022
Fédération québécoise des municipalités

9 février 2022

Le 9 janvier 2020, la Cour suprême du Canada[1] renvoie à la Cour d’appel du Québec une décision rendue par cette dernière le 11 janvier 2019[2]. La portée dudit renvoi consiste en la reconsidération par la Cour d’appel de sa décision, le tout, en fonction de l’éclairage nouveau de la décision de la Cour suprême du Canada, soit Montréal (Ville) c. Octane Stratégie inc.[3]

La Cour d’appel reconsidère l’affaire qui traite des principes de la restitution des prestations[4] entre les parties, impliquant la Ville de Saguenay (ci-après : la « Ville »), et du principe de la réception de l’indu[5]. Le pourvoi[6] est rendu le 7 avril 2021.

Les éléments factuels pertinents

Au soutien de son analyse en 2021, la Cour d’appel reprend la trame factuelle[7] élaborée par l’arrêt de 2019.

À la suite d’un appel d’offres, la Ville retient, par résolutions, les services de l’intimée Gémel inc. (ci-après : « Gémel »), pour les services d’ingénierie, et de Constructions Unibec inc. (ci-après : « Unibec ») pour la construction du centre multifonctionnel. En raison de l’organisation d’un populaire festival imminent, la Ville profite de l’occasion et décide de faire effectuer des travaux supplémentaires par Unibec. Ces travaux consistent à ramener à l’avant du bâtiment du centre multifonctionnel la surface asphaltée qui devait initialement être située à l’arrière, agrandir cette surface d’asphalte et, par le fait même, refaire le drainage du terrain. À la demande de la VilleGémel adresse à Unibec une directive de chantier en ce sens et lui offre de réaliser à forfait ces nouveaux travaux. Unibec transmet à la Ville une soumission, laquelle est acceptée par résolution du conseil exécutif.

Au cours des travaux, Unibec réalise qu’une grande quantité de sable doit être transportée afin de préparer la surface à asphalter. Selon elle, cette étape n’était pas prévue dans la directive de chantier de GémelUnibec avise le charger de projet de Gémel et ils conviennent, de vive voix, que l’ajout du sable se fera « en régie contrôlée »[8], soit « selon le coût du matériel et de la main-d’œuvre, et ce, de façon indépendante du contrat d’aménagement de la surface et des travaux de drainage »[9]. Au surplus, le technologue employé de la Ville promet le paiement pour la réalisation des travaux.

Suivant ces événements, Unibec transmet à la Ville une facture finale qui inclut le coût des travaux supplémentaires d’un montant de 148 652 $. La Ville refuse de payer et la situation est judiciarisée : Unibec réclame ce montant à l’égard de la Ville et la Ville introduit une demande en garantie contre Gémel.

Le jugement de première instance

Le jugement de première instance[10] accueille la demande de Unibec et condamne la Ville au paiement de 148 652 $, tout en ne reconnaissant pas la responsabilité de Gémel.

L’arrêt de la Cour d’appel du 11 janvier 2019

La Cour d’appel infirme le jugement de première instance, rejette la demande de réclamation de Unibec et rejette l’appel de la Ville quant au rejet de la demande en garantie contre Gémel. En 2019, la Cour d’appel avance respectueusement que le juge de première instance a commis « une erreur en droit et une erreur de fait manifeste et dominante en décidant que la Ville est liée par l’acceptation verbale de son employé et qu’elle doit payer Unibec pour les travaux exécutés en régie contrôlée »[11].

La Cour d’appel précise que les travaux supplémentaires étaient compris dans le contrat à forfait pour lequel Unibec a soumissionné et que l’entente verbale qu’elle allègue aurait modifié le contrat par sa nature[12]. La jurisprudence et la doctrine reconnaissent le principe suivant lequel un employé d’une municipalité ou d’une ville ne peut pas lier cette dernière, puisque celle-ci prend des décisions par l’intermédiaire de son conseil municipal[13].

Dans ces circonstances, la Cour d’appel considère qu’aucune restitution des prestations ne doit être ordonnée, puisque Unibec bénéficierait d’un avantage indu[14].

Éclairage de la Cour suprême du Canada : Montréal (Ville) c. Octane Stratégie inc.

L’arrêt Montréal (Ville) c. Octane Stratégie inc. (ci-après : « Octane ») comporte les deux questions en litige suivantes[15] :

  1. Le régime de la restitution des prestations s’applique-t-il en matière municipale?
  2. La restitution des prestations s’impose-t-elle en l’espèce et, dans l’affirmative, sur quel fondement?

La majorité des juges de la Cour suprême répondent par l’affirmative pour la première question. La seconde est celle qui nous intéresse davantage pour la compréhension du pourvoi qui oppose Unibec à la Ville. Dans l’arrêt Octane, le défendeur a exécuté des prestations au bénéfice de la Ville de Montréal et en réclame le paiement, le tout, sans avoir obtenu une résolution du conseil municipal confirmant l’octroi d’un contrat.

L’éclairage qu’apporte l’arrêt Octane concerne l’application du régime de la réception de l’indu, lequel peut entraîner la restitution des prestations, c’est-à-dire la remise des parties dans l’état initial. Selon les juges majoritaires, trois conditions doivent être remplies afin de donner ouverture à la réception de l’indu, les conditions s’exposent en ces termes[16] :

  1. Il doit y avoir un paiement;
  2. Ce paiement doit avoir été effectué en l’absence de dette entre les parties;
  3. Il doit avoir été fait par erreur ou pour éviter un préjudice.

La portée du renvoi

L’objectif du renvoi devant la Cour d’appel est de reconsidérer l’affaire soumise à la lumière de l’éclairage nouveau[17] qu’apporte l’arrêt Octane. Cet arrêt ne modifie pas le droit applicable concernant l’absence d’autorité d’un fonctionnaire municipal[18] à l’égard de la relation contractuelle. Elle explique alors qu’elle ne doit pas examiner une seconde fois l’entente verbale entre Unibec et l’un des employés de la Ville pour déterminer si le contrat a valablement été modifié ou non.

Conclusion : la non-restitution des prestations

La Cour d’appel reprend donc les trois critères de la réception de l’indu élaborés par l’arrêt Octane. Le premier critère est le paiement, soit la prestation de services par Unibec, et il est reconnu par les parties. En ce qui a trait au deuxième critère, la Cour d’appel retient la position de la Ville. Elle conclut qu’Unibec avait une dette envers la Ville, soit les obligations convenues au contrat octroyé pour les travaux de rehaussement et de préparation de la surface à asphalter. Étant donné que l’un des critères de la réception de l’indu n’est pas satisfait, Unibec n’a donc pas droit à la restitution des prestations fondée sur la réception de l’indu[19].

Suivant les nombreuses décisions rendues, Unibec a porté le pourvoi en appel devant la Cour suprême du Canada, laquelle a rejeté l’appel[20].


[1] Construction Unibec inc. c. Ville de Saguenay CSC 2020 CanLII 212.

[2]  Ville de Saguenay c. Construction Unibec inc.2019 QCCA 38.

[3] Montréal (Ville) c. Octane Stratégie inc., 2019 CSC 57.

[4] Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 1699.

[5] Idem, art. 1491-1492.

[6] Ville de Saguenay c. Construction Unibec inc2021 QCCA 560.

[7] Idem. par. 10.

[8] Note préc. 2, par 18.

[9] Idem.

[10] Construction Unibec inc. c. Saguenay (Ville de) 2016 QCCS 4816.

[11] Note préc. 2, par 53.

[12] Idem par. 40-42.

[13] Idem par. 35-37.

[14] Note préc. 6, par 48 ; Note préc. 4.

[15] Note préc. 3, par 31.

[16] Idem par. 68.

[17] Note préc. 6, par. 57.

[18] Idem par. 59.

[19] Idem par. 78.

[20] Construction Unibec inc. c. Ville de Saguenay CSC 2022 CanLII 696.

ÉCRIT PAR :

Mes Anne-Florence Noël et Matthieu Tourangeau

Avocats chez Morency Société d’avocats S.E.N.C.R.L.