Dans le cadre de l’adjudication d’un contrat par voie d’appel d’offres, il est bien connu que les règles applicables sont beaucoup plus rigides. Il est toutefois reconnu que les parties doivent agir de bonne foi tout au long du processus de l’octroi de contrat ainsi que lors de sa gestion. Dans une récente décision de la Cour supérieure1, la Cour rappelle les principes applicables de l’obligation de bonne foi en matière d’appel d’offres.
Dans cette affaire, la Ville de Montréal (« Ville ») publie, le 27 mars 2017, un appel d’offres public pour la collecte et le transport de matières recyclables dans cinq arrondissements, dont l’arrondissement Côtes-des-Neiges–Notre-Dame-de Grâce (« CDN–NDG »). Les documents d’appel d’offres contiennent des annexes faisant état du portrait de la situation pour chaque arrondissement.
La Ville s’aperçoit qu’elle a commis une erreur et qu’elle a indiqué, dans l’annexe faisant état de l’arrondissement CDN–NDG, les chiffres correspondant à l’état de l’arrondissement de Lasalle dont les besoins en matière de collecte et de transport de matières recyclables étaient moindres. La Ville publie, le 30 mars 2017, l’addenda numéro un pour corriger les informations quant à l’arrondissement CDN-NDG.
Le 18 avril 2017, Services Ricova inc. (« Ricova ») dépose une soumission pour quatre des cinq arrondissements, dont celui de CDN-NDG. Toutefois, la soumission ne tient pas compte de l’addenda numéro un. Par conséquent, lors de l’ouverture des soumissions par la Ville, cette dernière constate que la soumission de Ricova est beaucoup plus basse que celle des autres soumissionnaires et que de son estimation des coûts du contrat. Le 22 août 2017, la Ville octroie le contrat à Ricova. Ainsi, le contrat débute le 16 décembre 2017.
Dès le début du contrat, Ricova éprouve des difficultés à rendre les services et rencontre la Ville afin de trouver une solution. Lors de la rencontre du 30 janvier 2018, les parties conviennent que Ricova transmettra un avis de résiliation considérant son incapacité à rendre les services. Elle devra toutefois rendre les services jusqu’à ce que la Ville octroie un nouveau contrat par voie d’appel d’offres.
La Ville lance un nouvel appel d’offres, mais considérant les délais administratifs, elle ne pourra octroyer le nouveau contrat qu’en août 2018 au plus bas soumissionnaire conforme2. Considérant que Ricova ne parvient pas à fournir un service de qualité, elle se voit imposer des pénalités par l’arrondissement CDN-NDG. Aussi, vu les plaintes des citoyens, le conseil municipal décide d’octroyer un contrat de gré à gré temporaire à Derichebourg jusqu’à ce que le contrat soit adjugé en août 2018. Il est décidé par la Ville que le coût de ce contrat temporaire de gré à gré sera imputable à Ricova. Ensuite, le 21 août 2018, la Ville résilie le contrat avec Ricova et octroie un nouveau contrat à Derichebourg pour la période restante du contrat qui était intervenu avec Ricova.3
En mai 2019, Ricova intente une action en justice contre la Ville. Elle demande que lui soient remboursées les pénalités qui ont été perçues, que lui soient remboursées les sommes que la Ville lui avait chargées pour les services rendus par les cols bleus, que lui soit remboursé le cautionnement d’exécution et finalement que lui soient remboursés les dommages perçus par la Ville relativement à la différence de prix entre la valeur du contrat de Ricova et les contrats conclus avec Derichebourg.
La Cour supérieure conclut que Ricova a effectivement commis une erreur inexcusable en ne tenant pas compte de l’addenda numéro 1 lors du dépôt de sa soumission. Afin d’être en mesure de passer outre cette erreur inexcusable, la Cour doit déterminer si la Ville a manqué à son obligation de bonne foi.
Dans son analyse, le juge fait état des principes suivants reconnus par la Cour d’appel :
« 109.1. En présence d’une erreur inexcusable, un soumissionnaire est tenu de respecter son offre de services, même si celle-ci, en définitive, s’avère désavantageuse.
109.2. L’erreur inexcusable du soumissionnaire peut devenir excusable lorsque le donneur d’ouvrage commet un dol ou manque à son obligation de bonne foi.
109.3. Ce sera le cas lorsque le donneur d’ouvrage accepte une soumission sachant que celle-ci est entachée d’une erreur ou encore lorsqu’il n’a pas l’intention de lui accorder le contrat et l’accepte aux seules fins de faire assumer par le soumissionnaire l’écart entre le prix soumis et le coût du contrat qu’elle a l’intention d’accorder à un tiers.
109.4. La seule disparité de prix entre le premier et le deuxième soumissionnaire n’est pas suffisante pour conclure à une erreur du soumissionnaire.
109.5. Pour qu’une erreur soit connue du donneur d’ouvrage, elle doit sauter aux yeux à la lecture des soumissions.
109.6. L’exigence de bonne foi ne va pas jusqu’à imposer à un donneur d’ouvrage de signaler une erreur dont il ignore l’existence.
109.7. C’est au moment de l’octroi du contrat B que se soulève l’évaluation de la bonne foi des parties au moment de la naissance de ce second contrat. »
Ainsi, le juge conclut que la Ville n’a pas manqué à son obligation de bonne foi lors de l’octroi du contrat, car notamment la Ville ne s’était pas empressée de profiter de l’erreur de Ricova ou avait l’intention de la tromper.
Quant à la gestion du contrat, la Cour considère que la Ville n’a pas agi en contravention de son obligation de bonne foi et qu’elle était en droit d’exiger les pénalités qu’elle avait imposées à Ricova pour les mauvais services rendus. La Cour a aussi considéré que la Ville était en droit de demander que lui soient remboursés les frais des services rendus par les cols bleus (sauf les taxes) et le coût du contrat temporaire octroyé à Derichebourg.
Toutefois, la Cour a ordonné que la Ville rembourse à Ricova la somme représentant la différence de prix entre la valeur du contrat de Ricova et le contrat conclu avec Derichebourg à la suite de l’appel d’offres publié en août 2018. En effet, le juge considère que la Ville n’a pas rempli son obligation de bonne foi qui inclut un devoir de renseignement et une obligation de cohérence, car elle n’a jamais informé Ricova, avant que cette dernière transmette son avis de résiliation, que de telles sommes allaient lui être exigées.
Ainsi, cette décision nous rappelle l’importance pour un soumissionnaire de bien prendre connaissance des documents d’appel d’offres avant de transmettre une soumission dans le cadre d’un processus d’appel d’offres, car de grandes conséquences financières peuvent en découler.
[1] Services Ricova inc. c. Ville de Montréal, 2024 QCCS 80.
[2] Qui est la société Derichebourg Canada Environnement inc. (« Derichebourg »).
[3] Soit pour la période du 27 août 2018 au 31 octobre 2020.
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Me Caroline Sauro
Avocate en droit municipal
PFD Avocats (bureau de Saint-Jérôme)