Les limites des clauses pénales dans vos appels d’offres

22 mars 2023
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22 mars 2023

Le 9 décembre 2022, la Cour d’appel du Québec (ci-après : la Cour) a rendu sa décision dans l’affaire Ville de Québec c. Constructions BSL inc..1 La Cour y tranche quatre pourvois et sept pouvoirs incidents formés à la suite de la décision rendue par l’honorable juge Bellavance en 2019. Tous ces pourvois avaient en commun la même trame de fond : les dépassements de coûts et de délais dans le cadre d’un chantier de construction d’une passerelle autoportante au-dessus de la rivière Saint-Charles. L’entrepreneur général a d’abord été poursuivi par ses sous-traitants et a, par la suite, appelé en garantie le donneur d’ouvrage, soit la Ville de Québec, qu’il considérait être le véritable responsable des dépassements de coûts et de délais.

La Cour a confirmé la décision du juge Bellavance en reconnaissant l’existence de fautes de la Ville, laquelle n’avait pas rempli à l’égard du donneur d’ouvrage et, indirectement, des sous-traitants, son obligation de renseignements. La Ville, lors du lancement de l’appel d’offres, n’avait pas clairement établi ses exigences de conception. Selon la preuve présentée en première instance, les normes d’ingénieries imposées ont eu des effets imprévisibles et insoupçonnés chez les soumissionnaires; ces derniers ont bénéficié d’un délai insuffisant durant la période d’appel d’offres pour se rendre compte des difficultés et de la complexité du projet et, enfin, certaines normes d’ingénierie imposées par le consultant de la Ville se sont avérées incompatibles ou impossibles à respecter. Bien que la Cour reconnaisse que les soumissionnaires aient un devoir de se renseigner, dans le cas présent, même un examen minutieux des plans et devis initiaux n’aurait pu leur permettre de déceler les difficultés, voire les erreurs de conception de l’ouvrage.

Conséquemment, la Ville a commis des fautes en ne finalisant pas adéquatement son projet au moment de lancer l’appel d’offres et en privant les soumissionnaires de renseignements déterminants, lesquels renseignements n’étaient pas disponibles aux soumissionnaires lors de la préparation de leur soumission. Autrement dit, les fautes de la Ville constituent une cause importante des dépassements de coûts, mais aussi de délais.

Pourtant, la Ville avait imposé une pénalité pour retard à son entrepreneur général. Les documents d’appel d’offres contenaient une clause pénale interprétée par la Ville comme lui permettant d’exiger une pénalité dès lors que l’entrepreneur général faisait défaut d’exécuter les travaux dans les délais contractuels, et ce, sans qu’elle ait à établir un quelconque préjudice subi par ce défaut d’exécution. Pour la Ville, le retard dans l’exécution des travaux justifiait à lui seul la pénalité imposée, et ce, sans égard au responsable de ce retard.

La Cour n’adhère pas à ce raisonnement. Pour reprendre ses propos : « la Ville ne pouvait certes pas ignorer sa propre faute au moment de réclamer la pénalité contractuelle2 ». La Ville n’est pas étrangère au retard du chantier, elle en est même une cause importante. Elle savait, depuis longtemps, que le délai contractuel ne serait pas respecté. Elle n’a pas non plus subi de préjudice en raison du retard. Dans les faits, la preuve a démontré qu’au bout du compte, la Ville s’en est tirée avec « un pont très robuste pour le prix d’une passerelle pour piétons ». Tous ces éléments mis ensemble rendent impossible l’utilisation par la Ville de la clause pénale prévue aux documents d’appel d’offres.

Il faut donc en retenir que la seule inclusion d’une clause pénale aux documents d’appel d’offres ne suffit pas à exiger le paiement d’une pénalité. Une clause pénale n’est, après tout, qu’une façon d’établir des dommages-intérêts conventionnels en substitution aux dommages-intérêts judiciaires. Qu’ils soient conventionnels ou judiciaires, le paiement de ces dommages-intérêts répond aux mêmes règles de responsabilité civile. Le donneur d’ouvrage n’aura pas à faire la preuve des dommages qu’il a subis, mais il doit, à tout le moins, faire la preuve d’une inexécution fautive, c’est-à-dire un défaut du débiteur de la pénalité. Qui plus est, le contractant à qui la pénalité est imposée peut toujours contester l’existence d’un préjudice, comme dans l’affaire précitée, et il reviendra alors au créancier de la pénalité d’en faire la preuve. De manière générale, l’absence de préjudice fait échec à un recours fondé sur une clause pénale3.


[1] 2022 QCCA 1682.
[2] Par. 323.
[3] Par. 322 et Bacon St-Onge c. Conseil des Innus de Pessamit, 2021 QCCA 1765.

ÉCRIT PAR :

Me Stéphanie Turcotte

Avocate au sein du groupe de pratique en droit municipal et environnement Cain Lamarre s.e.n.c.r.l.