5 juillet 2023
Par les temps qui courent, les avis unilatéraux d’augmentation de prix émanant des fournisseurs et les réclamations d’extras par les entrepreneurs sont monnaie courante. Ils sont, pour ainsi dire, devenus la norme.
En pareil contexte, il devient particulièrement pertinent de se rappeler la notion de contrat à forfait, lequel est décrit comme suit à la Loi1 :
« 2109. Lorsque le contrat est à forfait, le client doit payer le prix convenu et il ne peut prétendre à une diminution du prix en faisant valoir que l’ouvrage ou le service a exigé moins de travail ou a coûté moins cher qu’il n’avait été prévu.
Pareillement, l’entrepreneur ou le prestataire de services ne peut prétendre à une augmentation du prix pour un motif contraire.
Le prix forfaitaire reste le même, bien que des modifications aient été apportées aux conditions d’exécution initialement prévues, à moins que les parties n’en aient convenu autrement. »
La Cour supérieure rendait il y a quelques mois une décision2 particulièrement intéressante sur ce type de contrat et faisait bien le tour de la question.
La Cour y réitère notamment qu’en matière de contrat à forfait, le principe veut que l’entrepreneur supporte les risques liés aux conditions inhérentes à l’exécution du contrat.
Le jugement en cause fait par ailleurs bien ressortir que ce principe souffre tout de même de quelques exceptions.
Les changements au projet initiés par le maître d’ouvrage
Dans cette décision, la Cour rappelle qu’il existe deux (2) types de contrat à forfait, soit le contrat à forfait absolu et le contrat à forfait relatif.
Dans le cadre du premier, le maître d’ouvrage ne peut changer le projet en cours de route sauf avec l’accord de l’entrepreneur. En contrepartie, l’entrepreneur doit effectuer les travaux convenus, quelles que puissent être les difficultés rencontrées.
Quant au deuxième, le maître d’ouvrage peut modifier le projet en cours de route. L’entrepreneur assume alors les risques relatifs à la partie du contrat qui demeure inchangée, mais n’assume pas les risques (par exemple : difficultés rencontrées, augmentation du coût des matériaux et de la main-d’œuvre) inhérents aux changements demandés par le maître d’ouvrage.
Les changements apportés au projet en cours de route constituent donc, dans une certaine mesure, une forme d’exception au principe voulant que l’entrepreneur assume les risques liés aux conditions inhérentes à l’exécution du contrat.
L’écart substantiel dans les conditions d’exécution
Une autre exception est abordée dans cette décision : l’écart substantiel dans les conditions d’exécution, par exemple les conditions de sol. La démonstration de cet écart appartient à l’entrepreneur.
En pareil contexte, des clauses dites de révision de prix sont normalement prévues aux contrats (généralement constitué des documents d’appel d’offres) et trouvent généralement application. Le respect des formalités prescrites pour invoquer ces clauses est de mise. À défaut de s’y conformer, l’entrepreneur risque de perdre ses droits et recours.
Dans la décision en cause, l’entrepreneur qui réclame les coûts liés à un volume d’excavation dépassant presque du double ce qui était indiqué aux plans et devis se voit accorder une partie de sa réclamation justement vu les conditions d’exécution présentant un écart substantiel et puisqu’il a suivi la procédure prévue au contrat.
Le manquement à l’obligation de renseignement
L’entrepreneur peut également faire valoir une réclamation à l’encontre du maître d’ouvrage pour compenser les imprévus qui résultent du manquement du maître d’ouvrage à son obligation de renseignement.
On peut affirmer sans crainte de se tromper que l’obligation de renseignement s’est intensifiée au fil du temps.
La jurisprudence apprécie l’étendue de l’obligation de renseignement au moyen des critères suivants :
(1) la connaissance, réelle ou présumée, de l’information par la partie débitrice de l’obligation de renseignement;
(2) la nature déterminante de l’information en question; et
(3) l’impossibilité du créancier de l’obligation de se renseigner soi-même, ou la confiance légitime du créancier envers le débiteur.
Il faut donc retenir de cette décision et des principes qu’elle rappelle que tout imprévu ne donne pas droit à un recours de l’entrepreneur à l’encontre de la Municipalité. De fait et sauf exception, l’imprévu en contexte de contrat forfaitaire fait en quelque sorte partie du marché. La matérialisation du risque ou de l’imprévu dans le cadre de tels contrats ne fait pas naître forcément de recours pour autant. Il convient de garder ces principes à l’esprit lorsque vient le temps d’évaluer le bien-fondé d’une réclamation d’extras.
[1] Code civil du Québec (RLRQ c CCQ-1991).
[2] Groupe civicam inc. c. Ville de Montréal, 2022 QCCS 2717
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