9 août 2023
Qu’advient-il lorsqu’un donneur d’ouvrage soupçonne la présence d’éléments pouvant venir influencer le prix d’une soumission, mais qu’il n’en est pas certain? C’est la situation sur laquelle a récemment dû se pencher la Cour d’appel du Québec. Le 14 juin dernier, celle-ci rendait une décision dans l’affaire Sintra inc. c. Ville de Montréal1 dans laquelle il était question de la possibilité que des rails de tramway se trouvent sous la chaussée.
Dans cette affaire, la Ville de Montréal (ci-après : « Ville ») connaissait la possibilité que les rails d’un ancien tramway se trouvent sous la chaussée, mais n’en était pas certaine à 100 %. Lors de la préparation des documents d’appel d’offres, la Ville décide d’inclure la mention suivante au devis technique « L’entrepreneur doit aussi inclure [dans le prix fourni pour l’item ‘Préparation du lit’] les coûts pour l’enlèvement et la disposition des rails de tramway se trouvant dans la chaussée. » De plus, elle a ajouté à un fascicule la mention suivante « [i]l est entendu qu’aucune rémunération spéciale n’est accordée à l’entrepreneur pour l’enlèvement des rails et des traverses […] ».
Il s’avère, dans les faits, que le soumissionnaire choisi a dû effectuer le retrait de 906,5 mètres de voies ferrées sous la rue Saint-Jacques. L’entreprise réclamait des frais supplémentaires pour cet enlèvement imprévu, ce qui a donné naissance au litige. Parmi les arguments soulevés par le soumissionnaire, on prétend que la Ville de Montréal aurait failli à son obligation de renseignement.
En effet, le donneur d’ouvrage a une obligation légale de fournir aux soumissionnaires toute l’information nécessaire pour la préparation de leur soumission. Cette obligation trouve son origine dans le principe de bonne foi contractuelle et a été mise en lumière il y a près de 30 ans par la décision de principe de la Cour suprême Banque de Montréal c. Bail Ltée2. La Cour d’appel rappelle que « le but de l’obligation de renseignement est de pallier les inégalités informationnelles entre les parties »3. Les soumissionnaires ont l’obligation corolaire de se renseigner.
Dans sa récente décision, la Cour d’appel soutient que la Ville de Montréal n’avait pas l’obligation de faire des études poussées pour déterminer s’il y avait véritablement des rails sous la chaussée. Elle ajoute :
« Si la jurisprudence reconnaît que l’obligation de renseignement peut imposer à une municipalité qui s’adjoint les services d’experts pour monter son appel d’offres la responsabilité de fournir à l’entrepreneur non seulement les informations qu’elle possède, mais aussi toute information qu’elle devrait détenir, cela ne va pas jusqu’à imposer à la Ville d’accomplir une partie des travaux visés par l’appel d’offres pour détenir ces informations. »
La Cour d’appel a considéré que le soumissionnaire « ne pouvait ignorer le risque des voies ferrées qui se trouvent sous la chaussée de la rue ». Étant donné que cette possibilité était annoncée dans les documents d’appel d’offres, le tribunal a conclu que c’est aux soumissionnaires d’assumer ce risque et d’ajuster leur prix en conséquence. En effet, la Cour considère que l’obligation d’enlever les rails était « déterminé ou déterminable » au sens de l’article 1373 du Code civil du Québec « même si la présence des rails ou leur quantité n’est pas connue »4. En conclusion, les donneurs d’ouvrage doivent mettre toutes les informations pertinentes qu’elles détiennent dans les documents d’appels, mais leur obligation de renseignement ne va pas jusqu’à effectuer des études poussées ou des travaux pour confirmer une hypothèse.
[1] 2023 QCCA 793.
[2] [1992] 2 R.C.S. 574.
[3] Supra note 1, paragraphe 14.
[4] Supra note 1, paragraphe 13
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