Le 24 octobre 2024, la Cour supérieure du Québec a rendu un jugement ordonnant la prolongation d’un permis de construction afin de construire un bâtiment secondaire dédié à la culture de cannabis. Cette décision vient rappeler que, lorsqu’une nouvelle administration est élue, cette dernière ne peut agir comme elle l’entend et se doit de respecter les décisions de l’ancienne administration.
Dans cette affaire, une entreprise désire faire la culture industrielle de cannabis sur un terrain dans la municipalité de Rougemont. Elle travaille donc depuis plusieurs mois avec la municipalité afin d’obtenir un permis qui lui permettrait de construire des serres et un bâtiment secondaire.
La demanderesse obtient donc un premier permis de construction le 13 août 2021 lui permettant la construction conditionnellement au dépôt d’une demande d’installation septique et d’une étude de faisabilité au plus tard le 30 septembre 2021 à défaut de quoi le permis serait retiré.
Le 25 septembre 2021, l’entreprise dépose une étude de caractérisation du site pour implantation d’un système septique. La municipalité considère alors ce dépôt comme une demande de permis visant la construction d’une installation septique. Le 4 octobre 2021, la municipalité de Rougemont approuve l’émission d’un deuxième permis de construction au nom de l’entreprise afin de réaliser une modification du projet initial.
Lors des élections municipales de novembre 2021, une nouvelle administration, loin de partager la même opinion que l’ancienne quant à la culture du cannabis, se retrouve à la tête de la municipalité.
Le 26 janvier 2022, sans se douter de ce qui se profile à l’horizon, l’entreprise dépose un formulaire de demande de permis en lien avec la modification du projet. Le 13 mai 2022, la municipalité informe la demanderesse, à sa grande surprise, que sa demande du 26 janvier 2022 est refusée, car elle ne respecte pas la nouvelle réglementation.
La nouvelle réglementation est un règlement adopté le 4 avril 2022 et qui a pour conséquence d’interdire la production industrielle de cannabis dans la zone où la demanderesse voulait faire son projet.
Toujours dans son avis du 13 mai, la municipalité informe aussi l’entreprise qu’elle considère le premier permis caduc, car, selon elle, la documentation conditionnelle qui devait être fournie n’était pas complète et conforme. Entre le 16 mai 2022 et le 7 juillet 2022, la demanderesse va donc envoyer des lettres à la municipalité afin de faire prolonger son premier permis afin qu’elle puisse exécuter les travaux de construction.
Finalement, le 9 août 2022 la municipalité refuse la demande de prolongation, en lui redonnant le montant de 100$ qui devait couvrir les frais de la demande et en lui faisant parvenir un avis d’infraction lui demandant de cesser immédiatement les travaux.
La municipalité argumente que le recours judiciaire n’a pas été déposé dans un délai raisonnable, car, selon elle, la demanderesse a déposé son pourvoi 4 mois après la lettre du 13 mai l’informant de sa prise de position.
La Cour supérieure du Québec (ci-après la Cour) rappelle cependant qu’un délai excédant 30 jours ne doit pas automatiquement être considéré comme déraisonnable et qu’il faut tenir compte des critères suivants :
- la matière dont il s’agit ainsi que la nature et le fondement des droits appliqués ;
- la nature de l’organisme pour lequel la décision est contestée;
- la nature de la décision et ses conséquences;
- la nature du manquement invoqué;
- la justification du délai entre la décision et la procédure;
- l’injustice causée par le délai;
- le comportement du demandeur.
Considérant le changement complet et soudain de la position de la municipalité relativement au projet ainsi que l’esprit de collaboration antérieur de la municipalité et le délai d’un peu plus de 1 mois entre la demande de prolongation du permis et le refus de la municipalité, la Cour vient à la conclusion que jusqu’au 9 août 2022 la demanderesse pouvait raisonnablement s’attendre à un changement de décision de la défenderesse et, par conséquent, ce n’est qu’à ce moment que le délai devrait être comptabilisé.
La Cour rejette aussi les prétentions de la municipalité quant à la caducité du premier permis pour deux raisons.
Premièrement, il considère que la documentation fournie semble relativement suffisante et juge que si la municipalité n’était pas de cet avis il était de sa responsabilité d’en aviser rapidement l’entreprise. Or, la municipalité a non seulement attendu huit mois avant de donner un avis, mais en plus elle a indiqué, en réponse à la réception de la documentation, qu’une demande de permis pour l’installation sceptique serait créée.
Deuxièmement, la Cour souligne que dans la résolution unanime du 4 octobre 2021 on retrouve une mention indiquant que le projet est un remplacement d’un projet déjà approuvé pour la construction d’un bâtiment accessoire et d’une serre.
Pour ces raisons et parce que le premier permis a été octroyé avant l’adoption du règlement, la Cour conclut que la municipalité a agi de mauvaise foi et de manière abusive à l’égard de la demanderesse. Il ordonne donc à la municipalité de délivrer une prolongation pour la construction du projet de la demanderesse.
En conclusion, l’arrivée d’une nouvelle administration municipale est souvent porteuse d’un vent de changement, d’idées nouvelles et de projets nouveaux et ambitieux. Bien qu’il soit naturel de vouloir rompre avec certaines décisions de l’ancienne administration, il est essentiel de garder en tête qu’une gestion responsable implique de prendre en compte les décisions de ses prédécesseurs. Cette décision qu’a plaidée avec succès notre cabinet est donc un rappel pour tous de l‘importance du respect des décisions passées afin d’assurer une transition harmonieuse.
Par Me Xavier Boulanger
Avocat
Municonseil Avocats
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