Le 11 mars 2024, la Cour d’appel du Québec rendait deux décisions importantes dans les affaires Tassoni¹ et Galati² concernant le remboursement des frais d’avocats auxquels peuvent prétendre les élus·es municipaux dans un contexte d’éthique et de déontologie municipale.
Dans l’affaire Tassoni, la Cour d’appel devait interpréter l’article 604.6 de la Loi sur les cités et villes3 (LCV) afin de déterminer si la conseillère Tassoni avait droit au remboursement des honoraires qu’elle avait payés lors d’une enquête de la Commission municipale du Québec (CMQ) en matière de déontologie. Il est à noter que l’enquête menée par la division d’enquête de la CMQ, maintenant appelée la Direction des enquêtes et des poursuites en intégrité municipale (DEPIM), n’avait pas conduit à une citation en déontologie municipale dans ce cas-ci, l’enquêteur de la CMQ ayant plutôt clos le dossier après le refus de l’élue de régler l’affaire en plaidant coupable.
La Cour d’appel fait alors la distinction entre la division d’enquête de la CMQ (DEPIM) et sa division juridictionnelle, laquelle intervient uniquement après une citation en déontologie municipale, qui marque le début du processus juridictionnel. Selon la Cour, le droit au remboursement des frais de défense, comme prévu à l’article 604.6 LCV, ne s’applique qu’une fois le processus juridictionnel enclenché devant l’instance juridictionnelle de la CMQ qui constitue un « tribunal » au sens de l’article 604.6 LCV, contrairement à la DEPIM. La phase d’enquête préliminaire ne permet donc pas à l’élu d’obtenir un remboursement des frais d’avocat, même si celui-ci décide de se faire assister.
Projet de loi 57
Trente jours après la décision dans l’affaire Tassoni, le Projet de loi 574 a été présenté à l’Assemblée nationale par la ministre des Affaires municipales, Mme Andrée Laforest. Ce projet de loi, visant à offrir une meilleure protection aux élus·es, modifie les dispositions analysées par la Cour d’appel. Désormais, la loi inclut la possibilité de remboursement des frais d’assistance juridique d’un·e élu·e ou d’un employé municipal dans le cadre d’une enquête ou préenquête menée par la CMQ. Lorsque l’élu·e est appelé à comparaître dans une telle situation, il peut choisir de se faire assister par un procureur désigné par la municipalité ou par un avocat de son choix. Dans ce dernier cas, la municipalité est tenue de payer ou de rembourser les frais raisonnables et proportionnels à la nature de la procédure.
Le Muni-Express publié en lien avec le Projet de loi 575 souligne que les frais d’enquête ne concernent pas uniquement ceux liés à la CMQ, mais aussi les enquêtes d’autres organismes comme la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), le Tribunal administratif du travail (TAT), l’Autorité des marchés publics (AMP) ou encore le Directeur général des élections du Québec (DGEQ).
La modification législative est entrée en vigueur le 6 juin 2024, en même temps que le Projet de loi 57, précisant ainsi que les enquêtes sont désormais couvertes pour le remboursement des frais.
L’affaire Galati
Dans l’autre décision rendue le même jour que l’affaire Tassoni, soit l’affaire Galati, la Cour d’appel devait interpréter l’article 35 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale6 (LEDMM). Cette disposition permet à tout membre d’un conseil municipal de demander, aux frais de la municipalité, un avis juridique d’un conseiller à l’éthique et à la déontologie, sous certaines conditions.
Dans ce cas, l’élu municipal avait demandé une opinion juridique concernant une modification à l’article 300 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités7 (LERM), remettant en question sa double fonction de président du conseil des commissaires d’une commission scolaire et d’élu municipal. L’élu avait sollicité un avis juridique auprès d’un avocat spécialisé en éthique et en déontologie, mais la municipalité avait refusé de rembourser les frais engagés.
La Cour supérieure, saisie d’un pourvoi en contrôle judiciaire, avait rejeté la demande de remboursement, estimant que l’avis juridique pour lequel il demandait le remboursement des honoraires ne visait pas à éclairer l’élu « à titre préventif » sur une question potentiellement conflictuelle, mais plutôt sur une situation problématique déjà cristallisée. Mentionnons à cet égard que le paragraphe 1 du 3e alinéa de l’article 35 LEDMM prévoit que la municipalité doit payer les honoraires relatifs à l’avis juridique de l’élu, dans la mesure où « l’avis est demandé, à titre préventif, pour aider le membre du conseil à respecter les règles prévues au code d’éthique et de déontologie qui lui est applicable ».
La Cour d’appel infirme cette décision et statue que même si l’élu se trouvait déjà possiblement dans une situation conflictuelle, il avait droit à un avis juridique afin d’obtenir l’éclairage approprié lui permettant de rectifier une situation potentiellement illégale ou d’adopter une meilleure pratique pour l’avenir et que la municipalité devait en couvrir les frais.
Conclusion
Les modifications introduites par le Projet de loi 57, qui permettent le remboursement des frais d’avocats au stade de l’enquête devant la CMQ, ainsi que l’interprétation large de l’article 35 LEDMM en matière de frais relatifs aux avis juridiques pour les élus·es municipaux, constituent des avancées significatives en matière de protection des élus·es municipaux. Ces mesures visent à renforcer la démocratie municipale en assurant une protection juridique adéquate pour les élus·es confrontés à des enquêtes ou à des questions éthiques.
Par Me Louis Béland
Avocat et associé
DHC avocats inc.
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[1] Tassoni et De Cotis c. Ville de Laval et CMQ, 2024 QCCA 264.
[2] Galati c. Ville de Laval, 2024 QCCA 263.
[3] RLRQ chapitre C-19.
[4] Loi édictant la Loi visant à protéger les élus et à favoriser l’exercice sans entrave de leurs fonctions et modifiant diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal, LQ 2024, chapitre 24.
[5] Muni-Express no 9 – 28 juin 2024 : https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/muni-express-nouvelle-loi-pour-mieux-proteger-les-elus-57075
[6] RLRQ chapitre E-15.1.0.1.
[7] RLRQ chapitre E-2.2.