L’équité procédurale en matière de traitement d’une demande de dérogation mineure

16 novembre 2022
chronique-SAM

16 novembre 2022

Sans grande surprise, une municipalité qui est appelée à évaluer une demande de dérogation mineure est tenue de respecter les principes administratifs relatifs à l’équité procédurale. La Cour supérieure rappelle ce principe dans une décision rendue le 15 septembre dernier, dans Tobin c. Ville de Dunham1.

L’Honorable Johanne Brodeur, j.c.s. mentionne à ce sujet que :

« [19] La Municipalité a le devoir de respecter les principes d’équité procédurale dans l’étude des dossiers menant à une décision à portée individuelle prise en application d’un règlement à caractère discrétionnaire.

[20] Bien que la Municipalité détermine les droits du demandeur à obtenir la dérogation, il est indéniable que la décision a des conséquences directes sur le voisinage. L’article 145.6 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (“LAU”) et les articles 22 et 23 du Règlement, par l’établissement d’un processus d’étude de la demande, octroient aux intéressés des garanties procédurales. »

Les faits

Dans cette affaire, la demanderesse cherchait à annuler une résolution qui avait été adoptée par la municipalité et qui accordait une demande de dérogation mineure en matière de lotissement. La demanderesse était opposée au projet et prétendait, notamment, avoir été privée du droit d’être entendue.

Selon les faits mis en preuve, la demanderesse avait été informée que la date à laquelle la demande devait être traitée avait fait l’objet d’une remise. Toutefois, la nouvelle date ne lui avait pas été communiquée et la municipalité avait fait défaut de publier un nouvel avis public à cet effet.

Or, compte tenu de l’arrêté ministériel en vigueur du fait de la pandémie de COVID-19, le tribunal retient finalement que la requérante avait été en mesure de faire valoir sa position dans le cadre d’une consultation écrite préalable.

De plus, l’absence de préjudice à l’endroit de la demanderesse ainsi que le manque de démarches de sa part pour connaître la date de remise du dossier ont été retenus pour conclure que le traitement du dossier par la municipalité n’était pas de nature à justifier une annulation judiciaire de la résolution.

Le tribunal conclut en indiquant que le droit de se faire entendre, qui est prévu à la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, ne correspond pas à un processus contradictoire. Autrement dit, la municipalité n’avait pas l’obligation de tenir une audience et de convoquer les personnes intéressées lors du traitement d’une demande de dérogation mineure.

Quant à l’argument de la demanderesse voulant que la demande de dérogation n’ait pas été étudiée de façon sérieuse compte tenu de son traitement expéditif lors de la séance du conseil, il est également rejeté.

À ce sujet, il y a lieu de reprendre les extraits suivants de la décision :

« [37] Dans l’arrêt Bélanger c. GPR Investissements inc., la Cour d’appel s’exprime ainsi sur ce sujet : 

 […]

[37] Ensuite, et contrairement à ce que proposent les appelants, le peu de temps pris par les membres du conseil municipal lors de l’assemblée publique afin de voter la résolution approuvant les plans n’est pas une indication qu’ils n’ont pas exercé adéquatement leur discrétion. Les assemblées des conseils municipaux ne sont que l’étape lors de laquelle les décisions sont prises publiquement, alors que le travail est généralement fait en amont par chaque membre individuellement ou lors de réunions de travail. La rapidité avec laquelle une résolution est adoptée, comme ce fut ici le cas, n’est pas indicative de l’absence de sérieux dans la démarche faite par les élus municipaux préalablement à l’assemblée. 

[Nos soulignements]

[38] Cette affirmation trouve ici application.

[…]

[40] Le Tribunal considère que le processus de traitement de la demande par Dunham se situe à la limite inférieure du spectre de l’acceptabilité en matière de rigueur et de transparence. Néanmoins, Tobin n’a pas démontré que les principes d’équité procédurale, dans l’étude du dossier, n’avaient pas été respectés ou qu’elle avait subi un préjudice sérieux découlant des lacunes. Dans les circonstances, la procédure suivie est équitable. »

[Références omises]

Les propos qui précèdent rejoignent le principe énoncé par la Cour supérieure deux ans plus tôt dans la décision Toke c. Municipalité de Rawdon2La Cour supérieure avait alors exercé son pouvoir discrétionnaire et annulé la résolution au motif que la municipalité avait fait défaut de motiver suffisamment sa décision de rejeter une demande de dérogation mineure, le tout en application du principe de l’équité procédurale3.

Plus particulièrement, le tribunal avait tranché à savoir qu’un citoyen qui avait décidé de ne pas se présenter à une séance du conseil, au motif qu’il était suffisamment certain que sa demande serait approuvée, ne pouvait réclamer l’annulation de la décision rendue en sa défaveur a posteriori.

Dans cette décision, le tribunal avait d’ailleurs conclu que le citoyen avait eu l’occasion de présenter son point de vue et de soumettre aux membres du conseil la documentation utile au soutien de sa position, le tout de façon à respecter la règle de l’audi alteram partem4.

Le tribunal écrivait notamment :

« [83] Dans sa demande du 12 novembre 2018 46, Toke a eu l’occasion de la présenter complètement et de référer aux documents de son choix afin de justifier en quoi elle rencontrait les critères applicables et qu’elle était justifiée. 

[84] Il pouvait également participer à la réunion du conseil municipal lors de laquelle serait traitée sa demande, ce qu’il a omis de faire. Il allègue avoir été suffisamment confiant de l’approbation de sa demande qu’il n’a pas jugé nécessaire de se présenter à la réunion. Ce choix lui appartenait.

[85] Le Tribunal conclut que la Municipalité n’avait aucune obligation de fournir au demandeur une occasion de se faire entendre dans le cadre de sa demande de dérogations mineures. »

Conclusion et principes à retenir

Compte tenu de la jurisprudence applicable, il est important que les membres du conseil donnent l’occasion aux personnes intéressées de faire valoir leur point de vue et fassent preuve de transparence relativement au processus de traitement d’une demande de dérogation mineure.

Cette obligation juridique trouve sa source dans la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, qui prévoit :

« 145.6. Le greffier ou le greffier-trésorier de la municipalité doit, au moins 15 jours avant la tenue de la séance où le conseil doit statuer sur la demande de dérogation mineure, faire publier, aux frais de la personne qui demande la dérogation, un avis conformément à la loi qui régit la municipalité.

L’avis indique la date, l’heure et le lieu de la séance du conseil et la nature et les effets de la dérogation demandée. Cet avis contient la désignation de l’immeuble affecté en utilisant la voie de circulation et le numéro d’immeuble ou, à défaut, le numéro cadastral et mentionne que tout intéressé peut se faire entendre par le conseil relativement à cette demande. »

Finalement, dans l’affaire précitée impliquant la ville de Dunham, la Cour supérieure a clairement statué sur le fait que deux considérations doivent impérativement transparaître de la résolution du conseil qui porte sur une demande de dérogation mineure, soit :

  • L’obligation d’avoir permis aux intéressés de faire valoir leur point de vue;
  • L’avis du comité consultatif d’urbanisme5.

[1] 2022 QCCS 3366
[2] Toke c. Municipalité de Rawdon, 2020 QCCS 2795
[3] À noter que la Cour confirme qu’un conseil n’aura généralement pas à motiver une décision de rejeter une demande de dérogation mineure (para. 45), sous réserve toutefois de faits particuliers qui ont été rencontrés dans ce dossier
[4] Entendre l’autre côté
[5] Tobin c. Ville de Dunham, 2022 QCCS 3366, par. 55

ÉCRIT PAR :

Mes Christophe Bruyninx et Rino Soucy

Avocats chez DHC Avocats