Le régime des droits acquis en droit municipal québécois fait couler beaucoup d’encre et demeure un sujet générateur de nombreuses questions de droit, par exemple : le régime des droits acquis peut-il protéger l’emplacement de bâtiments et constructions dérogatoires suivant l’abandon d’un usage dérogatoire? C’est la question sur laquelle s’est penchée la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Wigwam gestion et développement immobilier inc. c. Municipalité d’Aumond.1
La notion de droits acquis en est une qui peut s’avérer difficile à comprendre et empreinte d’une certaine complexité. L’une des distinctions qu’il est important de faire est qu’il existe, notamment, des droits acquis relatifs aux usages et des droits acquis relatifs aux bâtiments. Dans le premier cas, les droits acquis permettent de continuer un usage sur un terrain, même si une nouvelle disposition de zonage l’interdit. Dans le second cas, un bâtiment peut demeurer en place bien qu’il soit non-conforme à la nouvelle réglementation en vigueur s’il était conforme lors de sa construction, que ce soit par rapport à son implantation ou au respect de la réglementation en matière de construction, par exemple.
Il convient donc de se demander : s’il y a extinction des droits acquis relatifs à l’usage sur un terrain, cela entraîne-t-il l’extinction des droits acquis relatifs à la conformité des bâtiments sur le même terrain?
C’est la question à laquelle répond la Cour d’appel dans l’arrêt qui nous intéresse. Les faits sont essentiellement les suivants : en 1950, des bâtiments sont construits sur un terrain situé dans la municipalité d’Aumond (la Municipalité) et en 1975, l’exploitation d’un camping y est entamée. Ces bâtiments et cet usage sont alors conformes à la réglementation en vigueur.
En 1991, la Municipalité adopte un règlement de zonage indiquant que dans la zone dans laquelle se situe ce terrain, l’usage de camping est interdit. L’usage se poursuit alors sur droits acquis. Cependant, l’exploitation de ce camping cesse dans les années 2010, faisant s’éteindre le droit d’usage protégé par droits acquis.
Puis, en 2016, l’une des appelantes (« Wigwam ») acquiert des lots dont certains se trouvent sur l’ancien terrain du camping. En 2017, une inspectrice de la Municipalité indique à Wigwam qu’elle devra retirer certains bâtiments de la bande riveraine et en déplacer d’autres.
Wigwam dépose alors en 2020 une demande en jugement déclaratoire visant à faire reconnaître les droits acquis sur les constructions dérogatoires.
C’est là que se pose la question qui nous intéresse : le fait d’avoir renoncé à l’exploitation d’un camping, laquelle était permise en raison des droits acquis, indique-t-il qu’il y a également eu renonciation aux droits acquis qui permettaient l’existence et l’emplacement de ces bâtiments dérogatoires à la réglementation en vigueur?
En première instance, la juge de la Cour supérieure considère que « les chalets sont des accessoires servant à faciliter ou améliorer l’usage principal. Ils sont le prolongement logique et normal de la pourvoirie.2 » Ainsi, selon elle, les bâtiments ne peuvent bénéficier de droits acquis, puisqu’il y a eu renonciation à l’usage protégé par droits acquis.
Or, les appelants soulèvent que la juge a confondu les droits acquis à un usage dérogatoire et ceux liés à une construction ou un bâtiment dérogatoire et soutiennent que les droits peuvent exister de façon indépendante l’un de l’autre. La Cour d’appel leur donne raison et renverse cet aspect de la décision de la Cour supérieure.
La Cour d’appel se prononce ainsi :
La Cour est d’avis que les chalets bénéficient d’un droit acquis qui n’a pas été perdu quand le droit d’usage de la pourvoirie s’est éteint. Leur usage actuel ne pose pas de problème puisqu’il est conforme aux normes en vigueur. Les appelants n’invoquent d’ailleurs aucun usage dérogatoire.
[35] L’article 113 alinéa 2(18)a) de la LAU3 prévoit qu’un usage protégé par un droit acquis peut être perdu s’il est abandonné, cesse ou est interrompu. C’est ici le cas avec l’usage de pourvoirie. Toutefois, la juge a commis une erreur en concluant que cette perte d’usage entraînait celle des droits acquis pour les constructions dérogatoires, soit les chalets. Les droits acquis des bâtiments dérogatoires peuvent survivre même si les droits d’usage pour l’exploitation d’une pourvoirie se sont éteints.
L’appel est donc accueilli et la Cour d’appel déclare que les bâtiments existants sont protégés par droits acquis.
Ce qu’il faut retenir de cet arrêt est que, dans l’éventualité où un droit d’usage protégé par droits acquis s’éteint, cela n’entraîne pas automatiquement l’extinction des droits acquis relatifs à la conformité des bâtiments sur le terrain sur lequel cet usage se trouvait. Il y a donc lieu d’analyser séparément les différents droits acquis afin de vérifier lesquels sont toujours valides. Il faut également consulter attentivement les dispositions relatives aux droits acquis dans le règlement de zonage et le règlement de construction de votre municipalité.
Par Mes Matthieu Tourangeau et Sarah-Maude Dumont
Avocats
Morency Société d’avocats
__________
[1] 2024 QCCA 1265.
[2] Paragraphe 19 de la décision de la Cour d’appel.
[3] Loi sur l’aménagement et l’urbanisme.