La peine d’emprisonnement pour un citoyen de Saint-Constant

24 septembre 2024
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En août 2024, la Cour d’appel rend jugement après que la Ville de Saint-Constant s’est portée appelante d’un jugement de la Cour supérieure ayant reconnu le citoyen Michel Vachon coupable d’outrage au tribunal. La question en litige est la suivante : peut-on condamner une personne à une peine d’emprisonnement pour outrage au tribunal pour violation d’une ordonnance de ne pas faire? La
Cour d’appel répond à cette question par l’affirmative. 

Le 27 août 2024, après une longue saga judiciaire, la Cour d’appel s’est prononcée dans le dossier d’un citoyen de la Ville de Saint-Constant (Ville), l’intimé Michel Vachon.

Cet appel fait suite au jugement de la Cour supérieure du 22 février 2023, lequel a reconnu l’intimé coupable de six chefs d’outrage au tribunal et l’a condamné à 4 500 $ de dommages punitifs.

L’appel répond à la question suivante : peut-on condamner une personne à une peine d’emprisonnement pour outrage au tribunal pour violation d’une ordonnance de ne pas faire?

Les faits se résument ainsi : après avoir envoyé de nombreuses mises en demeure et déposé des plaintes formelles à l’égard de l’intimé, la Ville demande au tribunal de rendre une ordonnance d’injonction afin qu’il cesse de harceler ses employés. Une injonction interlocutoire est rendue et reconduite en octobre 2019, ordonnant notamment à l’intimé de « ne pas harceler, importuner, suivre délibérément ou intimider quelque élu, fonctionnaire ou employé de la demanderesse, de quelque façon que ce soit et par quelque moyen que ce soit ».

Or, les 23 octobre 2020 et 18 octobre 2022, l’intimé est reconnu coupable d’outrage au tribunal en raison de son défaut d’avoir respecté les conclusions de l’injonction interlocutoire. Il se voit ordonner le paiement d’amendes de l’ordre de 5 000 $ ainsi que 50 heures de travaux d’utilité sociale.

C’est à la suite d’un procès de quatre jours que, le 20 septembre 2021, l’injonction permanente prononcée par le tribunal reprend l’ordonnance d’octobre 2019 et, additionnellement, interdit à l’intimé de se présenter aux réunions du conseil ou à d’autres événements ou activités de la Ville.

À nouveau, l’intimé est cité à comparaître pour répondre à des accusations d’outrage au tribunal, notamment pour avoir frappé au visage une employée de la Ville. Il est déclaré coupable le 22 février 2023.

C’est là que la question en litige qui nous intéresse intervient : devant la Cour supérieure, l’appelante réclame une peine d’emprisonnement plutôt que des travaux d’utilisé sociale. Le juge refuse d’accorder une telle peine, considérant que l’emprisonnement ne serait pas possible à son avis lorsque l’outrage au tribunal concerne un ordre de ne pas faire quelque chose (en l’espèce, ne pas harceler et ne pas se présenter aux rencontres et activités, etc.). Selon lui, il s’agit là d’une mesure de punition qui n’est pas permise par la loi.

C’est donc sur la peine prononcée par la Cour supérieure que la Ville se porte appelante, soulevant essentiellement trois arguments :

  • Le juge de première instance n’a pas respecté le principe de la gradation des peines;
  • Il n’a pas considéré que les peines précédentes constituaient un plancher;
  • Il a fait une lecture erronée de la jurisprudence en concluant que l’emprisonnement n’était pas une sanction envisageable.

Le 27 août 2024, la Cour d’appel rend jugement. Elle rappelle que la norme de contrôle est la suivante : le juge de première instance doit avoir ordonné une « peine manifestement non indiquée ou entachée d’une erreur de principe ayant une incidence sur la peine » pour que la Cour d’appel intervienne. Le tribunal rappelle l’article 62 du Code de procédure civile :

62. Les seules sanctions qui peuvent être prononcées pour punir l’outrage au tribunal sont les suivantes : 

1° le paiement, à titre punitif, d’un montant qui n’excède pas 10 000 $ si l’outrage est le fait d’une personne physique, ou 100 000 $ s’il est le fait d’une personne morale, d’une société ou d’une association ou d’un autre groupement sans personnalité juridique, auquel cas le jugement est exécuté conformément au chapitre XIII du Code de procédure pénale (chapitre C-25.1);

2° l’exécution par la personne même ou par ses dirigeants, de travaux d’utilité sociale dont la nature, les conditions et la durée sont établies par le tribunal.

Si la personne refuse d’obtempérer à l’ordonnance ou à l’injonction, le tribunal peut, en sus de la peine imposée, prononcer l’emprisonnement pour la période qu’il fixe. La personne ainsi emprisonnée doit être périodiquement appelée à comparaître pour s’expliquer et l’emprisonnement peut être prononcé de nouveau jusqu’à ce qu’elle obéisse. En aucun cas, l’emprisonnement ne peut excéder un an.

Le tribunal se prononce ensuite ainsi : 

« [21] Comme le souligne à juste titre le juge, […] le législateur a spécifiquement exclu l’emprisonnement comme sanction de nature punitive. Elle caractérise l’emprisonnement en matière d’outrage au tribunal, visée au 2e alinéa de l’article 62 C.p.c., comme une mesure civile d’exécution des ordonnances et injonctions et ajoute que la “mécanique de coercition que prévoit le deuxième alinéa de l’article 62 du nouveau Code le confirme. 

[22] Cependant, en expliquant le rôle de l’emprisonnement, la Cour, toujours dans l’affaire Lacroix, ne fait pas de distinction entre la violation d’une ordonnance de faire et celle de ne pas faire. De plus, aucune telle distinction ne ressort du texte de l’article 62 C.p.c. […]. 

[…] 

[24] L’article 62 C.p.c. prévoit spécifiquement que la personne emprisonnée pour refus d’obtempérer à une ordonnance du tribunal ou à une injonction doit être convoquée périodiquement ‘pour s’expliquer’. Bien que le législateur ne précise pas en quoi consiste une telle explication, on peut raisonnablement penser qu’à tout le moins, il a envisagé un scénario dans lequel le contrevenant, après avoir eu l’occasion de réfléchir davantage, explique qu’il est prêt à se conformer aux ordonnances du tribunal. L’opportunité d’expliquer signifie qu’une personne ainsi détenue, qu’elle ait contrevenu à une ordonnance de faire ou à une ordonnance de ne pas faire, a la possibilité d’obtenir sa libération si elle est en mesure de convaincre le juge de sa volonté de véritablement s’y conformer. […] 

[…]

[27] Contrairement à ce que le juge a décidé, la Cour conclut que l’emprisonnement peut remplir la même fonction coercitive que l’ordonnance en question en est une de faire ou de ne pas faire. Par conséquent, le juge a commis une erreur de principe qui justifie l’intervention de la Cour. Le troisième moyen sera donc accueilli.”

Ainsi, la Cour d’appel confirme que non seulement un justiciable reconnu coupable d’outrage au tribunal peut avoir à payer des amendes et à effectuer des travaux communautaires, mais il peut également se retrouver en prison.

Elle se prononce ensuite sur les deux autres moyens d’appel et indique notamment que « compte tenu de la gravité des gestes de l’intimé, du nombre de récidives et des nombreux chefs d’accusation en cause, une peine d’emprisonnement de 30 jours est appropriée. »

L’intimé est donc condamné à une peine d’emprisonnement de 30 jours.

Le 29 juillet 2024, soit deux jours après le jugement de la Cour d’appel, la requête de l’intimé pour suspendre l’exécution de cette décision est rejetée.

Bref, ce qu’il faut retenir de ce jugement de la Cour d’appel est que dans l’éventualité où un citoyen fait défaut de respecter une ordonnance de ne pas faire quelque chose, suivant une demande d’injonction d’une municipalité, cette dernière peut demander que soit ordonnée une peine d’emprisonnement pour outrage au tribunal. Il faut cependant garder en tête que le tribunal ne l’ordonnera que dans des cas d’une certaine gravité.
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Par Me Sarah-Maude Dumont
Avocate
Morency, Société d’avocats