La liberté d’expression des employés municipaux versus leur obligation de loyauté

01 février 2019
Fédération québécoise des municipalités

1 février 2019

Imaginez qu’un employé des travaux publics, occupant la fonction de délégué syndical, décide de dénoncer ce qu’il considère être une « mauvaise » gestion financière de la municipalité.

Imaginez que cet employé explique à un journaliste, dans une entrevue donnée en direct à la radio sans autorisation de son employeur, qu’il coûterait bien moins cher à la municipalité de faire faire ses projets récurrents d’entretien, tel le déneigement, par les employés des travaux publics, plutôt que par des sous-traitants.

Imaginez qu’il écorche au passage le directeur général et le conseil de la municipalité, responsables de l’administration financière de la municipalité.

Manifestement, les propos de cet employé contreviennent à son obligation de loyauté envers la municipalité, son employeur, en plus d’être susceptibles de la discréditer et de porter atteinte à sa réputation.

Dans une telle situation, quels sont les recours de la municipalité face à cet employé? La municipalité peut-elle lui imposer une sanction disciplinaire, par exemple une suspension sans traitement pendant plusieurs jours?

Au risque de vous surprendre, la réponse est plus nuancée qu’on pourrait le croire spontanément. Pourquoi?

A priori, les employés d’une organisation jouissent d’une liberté d’expression tout en ayant un devoir de loyauté envers leur employeur. Ce sont deux droits dont l’exercice doit être équilibré.

Les tribunaux reconnaissent que la liberté d’expression est une composante essentielle des relations de travail et que c’est souvent grâce à cette liberté d’expression que les travailleurs vulnérables sont en mesure de gagner l’appui du public dans leur recherche de meilleures conditions de travail. Les tribunaux reconnaissent également que les travailleurs ont le droit de s’impliquer dans la vie publique.

Dans la mesure où ces travailleurs ne sont pas cadres (ex. : directeur des travaux publics1), qu’ils ne portent pas atteinte à la réputation de l’employeur et qu’ils ne mettent pas en circulation des informations confidentielles, les tribunaux hésitent à les sanctionner.

La liberté d’expression n’est donc pas absolue : elle a notamment pour limite l’obligation de loyauté des employés envers leur employeur, qui les oblige à faire preuve d’une certaine retenue dans leurs commentaires à son égard et les empêche de le dénigrer (par exemple).

Cela étant dit, les représentants syndicaux peuvent aller plus loin car, contrairement aux autres employés, ils bénéficient d’une immunité (relative) pour les fautes qu’ils peuvent commettre lorsqu’ils agissent dans le cadre de leur mandat syndical.

Cette immunité les place à l’abri de sanctions disciplinaires lorsque, dans le cadre de leurs fonctions syndicales, ils prennent la parole publiquement pour défendre les intérêts des membres de leur syndicat.

Dans un tel contexte, le droit de parole syndical l’emporte donc sur l’obligation de loyauté à l’endroit de l’employeur.

Ainsi, un délégué syndical a le droit de s’exprimer publiquement à titre de dirigeant syndical, à la radio, sur des enjeux syndicaux légitimes, et ce, sans qu’une autorisation de l’employeur soit nécessaire.

C’est ce qu’a récemment rappelé le Tribunal administratif du travail saisi d’une affaire similaire à celle décrite plus haut ayant mené à la suspension disciplinaire de 10 jours sans traitement de M. Yvan Larochelle2, employé du ministère des Transports du Québec qui occupait les fonctions de vice-président de la section locale 401 du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ).

Mais attention! L’immunité des représentants syndicaux est circonscrite aux commentaires faits en lien avec les conditions de travail chez l’employeur. Elle ne s’étend pas aux commentaires faits à titre personnel.

En ce sens, en juillet 2018, la Cour supérieure a confirmé, dans l’affaire Renaud Bray3la suspension et le congédiement disciplinaires imposés à un employé et délégué syndical ayant revendiqué son droit de porter le carré rouge au travail. L’employé avait notamment incité les citoyens, clients, anciens employés et artistes à critiquer Renaud Bray et à porter plainte parce que l’entreprise interdisait le port du carré rouge à ses employés.

Le juge Thomas M. Davis a noté que le mouvement du carré rouge ne présentait aucune relation avec les conditions de travail chez Renaud Bray. Dans ce contexte, le droit à la liberté d’expression n’est pas absolu ; il faut reconnaître le droit de l’employeur de demeurer neutre à l’égard de situations dans lesquelles il n’est pas en cause.

[1] Voir HÉTU et DUPLESSIS, Droit municipal, Principes généraux et contentieux, Les fonctionnaires municipaux, paragr. 5.59 et la décision rapportée Jean c. Ville de Val-Bélair (C.M.Q. nos CMQ-54409 (7297-99) et 54481, 6 décembre 1999. Dans cette affaire, la Commission municipale du Québec a jugé que le fait pour un cadre de dénoncer publiquement le comportement de son maire sans vérifier ses allégations et sans tenir compte des conséquences de son geste était irresponsable et justifiait son congédiement. Selon la Cour, le devoir de loyauté d’un cadre supérieur, en l’espèce un directeur des travaux publics, est beaucoup plus important que celui d’un simple employé car il participe activement à la gestion de la municipalité. Ainsi, pour un cadre supérieur, l’obligation de loyauté a préséance sur la liberté d’expression.
[2] Larochelle et Gouvernement du Québec, Direction des relations professionnelles, Conseil du Trésor, 2018 QCTAT 207.
[3] Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 574 (SEPB-CTC-FTQ) c. Sylvestre, 2018 QCCS 2987.