3 mai 2023
L’actualité récente l’a malheureusement bien démontré : la protection de la sécurité des citoyens dans les bâtiments dangereux est un enjeu d’actualité auquel les municipalités sont de plus en plus confrontées et pour lequel elles sont appelées à intervenir. Bien qu’il s’agisse du remède de dernier recours (parfois même comparé à la « peine de mort » d’un bâtiment), la démolition des constructions pouvant mettre en danger des personnes, vétustes, ou encore affectées par une explosion ou un incendie peut être obtenue en l’absence d’autre remède utile. C’est ce que le législateur prévoit à l’article 231 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU).
Quelles sont les solutions de rechange disponibles pour les propriétaires, locateurs ou locataires de ces bâtiments dangereux pour éviter la conséquence ultime qu’est la démolition? La décision Ville de Montréal c. 9411-8585 Québec inc. rendue le 12 avril 2023 par la Cour supérieure donne certaines réponses à cette question, tout en signalant que la démolition ne peut être évitée à tout prix. Voyons ce qu’il en est.
Dans cette affaire, la Ville de Montréal a saisi le tribunal afin d’obtenir une injonction permanente pour procéder à la démolition de plusieurs bâtiments; le bâtiment St-Hubert et le bâtiment Viger, joints par un passage au mur mitoyen entre ceux-ci et exploités comme un tout à titre d’hôtel. Il est admis entre les parties que la démolition du bâtiment St-Hubert est requise puisqu’il présente des risques importants d’effondrements. Le litige, quant à la démolition, porte exclusivement sur le bâtiment Viger.
Le fardeau de la Ville de Montréal était de démontrer que celui-ci est dans un état tel qu’il peut mettre en danger des personnes ou qu’il a perdu la moitié de sa valeur par vétusté, incendie ou explosion et que la démolition est le seul remède utile. La jurisprudence constante en la matière nous confirme également que « la simple perte de valeur par vétusté ne pourra, à elle seule, mener à la démolition. Encore faut-il que cette perte de valeur par vétusté mette en danger la sécurité des personnes »1.
En prenant en considération ces éléments et la preuve versée au dossier, le tribunal tire les conclusions suivantes :
[56] [L]a dangerosité et vétusté des Bâtiments St-Hubert scellent vraisemblablement le sort du Bâtiment Viger pour les fins de l’article 231 LAU.
[57] Le même constat vaut en ce qui a trait à la perte de valeur des Bâtiments […] Puisque les parties admettent que les Bâtiments St-Hubert doivent être démolis, leur valeur est manifestement nulle. Il en résulte que les Bâtiments, qui forment une seule et même construction au sens de l’article 231 LAU, ont inévitablement perdu plus de la moitié de leur valeur par vétusté.
Il fait également siens les propos de la juge Catherine Mandeville dans l’affaire Projets Knightsbridge inc. c. Montréal (Ville de) (arrondissement Plateau Mont-Royal) :
[37] [L]’appréciation de l’utilité des correctifs proposés ne doit pas tenir compte que du critère économique. Cependant, la faisabilité et le coût de telles mesures doivent certainement être considérés.
À la lumière de l’importance des travaux requis pour préserver le bâtiment en cause, des coûts afférents à ceux-ci, inconnus à ce stade d’ailleurs, et, au surplus, de l’admission des parties qu’elles n’entendent pas assumer ceux-ci, la Cour retient que la démolition de l’ensemble des bâtiments est le seul moyen réaliste d’effectuer la démolition du bâtiment St-Hubert, lequel présente une menace indéniable pour la sécurité du public.
Il se dégage de cette décision qu’un tribunal saisi d’une demande de démolition selon l’article 231 de la LAUdoit s’assurer non seulement de l’existence d’un remède alternatif à la démolition, mais également de sa faisabilité. Dans ce contexte, les coûts du remède doivent être considérés par la Cour afin que cette solution de rechange ne soit pas qualifiée d’irréaliste.
Il est utile de rappeler que, face à un fardeau de preuve important, les municipalités ont intérêt à agir rapidement lorsqu’elles constatent un défaut d’entretien d’un bâtiment. Un tel défaut, comme on le sait, mène trop souvent à la vétusté des bâtiments. À ce titre, les municipalités doivent adopter un règlement sur l’occupation et l’entretien des bâtiments au plus tard le 1er avril 2026 selon les modifications apportées par le projet de loi 692.
Pour toute information concernant les recours des municipalités en matière de démolition d’immeubles, n’hésitez pas à communiquer avec l’équipe de DHC Avocats.
[1] Municipalité de Lac-des-Plages c. Jodoin, 2010 QCCS 3450, para. 178
[2]Loi modifiant la Loi sur le patrimoine culturel et d’autres dispositions législatives, LQ 2021, ch.10.
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