Le 13 juin 2024, la Cour supérieure du Québec a rendu un jugement (à l’égard duquel les parties n’ont pas fait appel), rejetant une demande introductive d’instance ayant pour objet de forcer la Ville concernée à délivrer un permis pour la réalisation d’un projet de stationnement étagé et afin qu’il soit déclaré que les mesures provisoires et la réglementation afférente adoptées par la Ville soient déclarées inopposables.
Essentiellement, cette décision traite dans un premier temps des conditions qui doivent être rencontrées pour qu’une demande de permis de construction ne cristallise un droit pour le demandeur dans le contexte d’une modification réglementaire, et dans un second temps des circonstances dans lesquelles les tribunaux peuvent invalider (ou déclarer inopposables) des règlements municipaux dûment adoptés.
1. Résumé des faits dans l’affaire 9222-9293 Québec inc. c. Ville de Québec1
La demanderesse souhaite réaliser un projet de stationnement étagé au centre-ville. À cet effet, une demande de permis est déposée à l’automne 2022. La Ville avise alors la demanderesse que le traitement de sa demande est complété et qu’elle doit payer la totalité du permis ou un montant minimum afin d’obtenir le résultat de l’analyse. Elle paiera seulement le montant minimum.
Dans le cadre de cette demande, la Ville constate des lacunes à sa réglementation en matière de stationnement étagé au centre-ville.
Ainsi, le comité exécutif de la Ville annonce son intention de modifier le règlement de zonage, afin de retirer l’usage de stationnement des usages permis dans la zone concernée. Une résolution de contrôle intérimaire est adoptée, créant un gel de la délivrance de tout permis qui sera non conforme à la modification envisagée du programme particulier d’urbanisme.
De manière concomitante, la demanderesse est informée des mesures prises par la Ville, et reçoit le rapport d’analyse de sa demande de permis indiquant que le projet ne peut être recommandé et énonçant les motifs à cet effet.
Dans les semaines suivantes, la Ville adopte un règlement modifiant le plan d’urbanisme, puis modifie son règlement de zonage pour le rendre conforme au plan d’urbanisme.
Il est également à noter que par la suite, la Ville procédera à plusieurs modifications réglementaires, dans plusieurs zones, pour prohiber la réalisation de projets de stationnements étagés comme celui de la demanderesse.
Cette dernière s’adresse donc à la Cour afin d’ordonner à la Ville de délivrer le permis de construction, prétendant y avoir droit à la suite de sa demande, ou, dans un deuxième temps, de rendre inopposables à son projet les modifications réglementaires adoptées par la Ville. Elle invoque que la Ville, en modifiant sa réglementation, était de mauvaise foi, et que les mesures adoptées ne l’étaient pas dans l’intérêt public, mais uniquement pour bloquer le projet.
La Ville, évidemment, plaide le contraire. Elle soutient que la demande de permis de la demanderesse a été l’occasion de constater une lacune dans sa planification et dans sa réglementation et que, ce faisant, elle a corrigé rapidement cette lacune dans la zone où est situé l’immeuble de la demanderesse et ensuite dans plus de 140 autres zones situées dans les secteurs centraux de la Ville.
2. La décision
La Cour supérieure donne raison à la Ville sur toute la ligne.
– Émission du permis
Afin de pouvoir prétendre à un droit acquis à l’émission de son permis, la demanderesse devait prouver que sa demande était « substantiellement complète et conforme » au moment où la Ville a adopté sa résolution de contrôle intérimaire.
Elle devait donc prouver qu’elle avait obtenu toutes les approbations nécessaires, que son projet était conforme à la réglementation, et qu’elle avait acquitté l’ensemble des droits exigibles pour le permis.
En l’espèce, le Tribunal conclut que la demanderesse n’avait pas déposé une demande substantiellement complète et conforme pour plusieurs motifs. Dans un premier temps, elle n’a pas obtenu toutes les autorisations nécessaires pour la réalisation du projet. De plus, le projet ne respectait pas les normes applicables quant aux marges (ce qui n’était pas ici un détail, une simple erreur ou une omission mineure). Enfin, la demanderesse a seulement payé les frais minimums requis par la Ville pour le traitement du dossier, et non les frais pour l’émission du permis en tant que tel.
L’ensemble de ces éléments permet au Tribunal de conclure que la demanderesse n’avait pas un droit acquis au permis.
– Opposabilité des mesures provisoires et des modifications réglementaires
La Cour, en matière d’analyse de la légalité d’un règlement municipal, rappelle tout d’abord que l’exercice auquel se livre le Tribunal doit prendre en compte le large pouvoir discrétionnaire des municipalités en matière de législation déléguée. La Cour doit faire preuve de retenue dans le cadre du contrôle de la légalité d’un règlement municipal.
En définitive, la Cour doit déterminer si le règlement contesté est raisonnable eu égard au processus qui a mené à son adoption, et s’il s’inscrit dans un éventail raisonnable d’issues possibles. Si tel est le cas, la Cour doit se garder d’intervenir.
Dans le cas présent, pour écarter l’application des mesures provisoires et la réglementation modifiée par la Ville, la demanderesse devait prouver la mauvaise foi du conseil de Ville dans l’adoption du règlement et l’absence de raisonnabilité du règlement.
La Cour retient plutôt la bonne foi de la Ville. Cette dernière a constaté une lacune dans sa réglementation qu’elle a voulu corriger en utilisant les outils urbanistiques à sa disposition. Or, la Cour rappelle que le fait d’utiliser des mesures telles que celles prises par la Ville, à la découverte d’une lacune réglementaire dans le cadre d’une demande de permis, ne constitue pas en soi une preuve de mauvaise foi.
Ici, en fonction de la preuve qui lui est présentée, la Cour conclut que la demanderesse n’a pas été en mesure de prouver la mauvaise foi de la Ville, ni le caractère déraisonnable de la réglementation adoptée, qui est plutôt en accord avec l’intérêt public et orientée en fonction de préoccupations urbanistiques légitimes.
3. CONCLUSION
En somme, ce n’est pas parce qu’une demande de permis est déposée que le demandeur de permis a nécessairement un droit à l’émission de celui-ci. Encore faut-il que la demande soit substantiellement complète et conforme.
De plus, il est possible pour une municipalité d’adopter des mesures afin de limiter les demandes de permis en période de changements réglementaires. Cette approche peut permettre d’éviter des projets en contradiction avec la modification réglementaire visée.
Attention, pour mettre en application une telle approche, une procédure bien précise doit être suivie afin de limiter ces demandes de permis en toute légalité.
Par Me Patrick Bérubé
Avocat
Tremblay Bois Avocats
Texte rédigé en collaboration avec Me Marc-André Beaudoin.
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[1] 2024 QCCS 2209