En raison du principe bien connu selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi », il n’est pas possible de justifier un comportement fautif par sa propre méconnaissance de la loi. Toutefois, il demeure que certaines sanctions ne sont applicables que sous différentes conditions. Dans cet article, nous nous intéresserons à la déclaration d’inhabilité d’un(e) élu(e).
En effet, la déclaration d’inhabilité d’un membre d’un conseil municipal pour avoir sciemment autorisé l’adjudication d’un contrat sans respecter les règles applicables1 ne pourra être prononcée que si l’élu(e) a eu conscience que sa façon d’agir constituait une infraction à la loi.
Le 21 août dernier, la Cour d’appel du Québec rendait une décision2 rejetant la demande de la Commission municipale du Québec (la « Commission ») de faire déclarer le maire de Grenville-sur-la-Rouge inhabile à exercer, durant une période de deux ans, ses fonctions de membre du conseil municipal pour avoir sciemment contribué à l’adjudication d’un contrat sans respecter les règles du Code municipal du Québec (le « CMQ »).
Dans cette affaire, la municipalité cherchait à acquérir du sable abrasif pour l’entretien hivernal des routes ainsi qu’un service de livraison. Un appel d’offres est lancé et, ultimement, deux contrats sont octroyés; le premier pour la fourniture de sable et le deuxième pour sa livraison. Ces contrats sont octroyés à deux entrepreneurs distincts, dont l’un n’a toutefois jamais soumissionné dans le cadre de l’appel d’offres.
Selon la preuve présentée par la Commission, le maire se serait immiscé dans le processus d’appel d’offres, en demandant à une adjointe administrative du service des travaux publics d’entrer en contact avec deux des cinq soumissionnaires afin d’obtenir de meilleurs prix. Selon lui, le prix des matériaux et du transport semblait excessif, dû notamment à une erreur de calcul de l’adjointe administrative quant aux distances à parcourir pour livrer le sable abrasif.
Il en résulte que, par l’effet de cette intervention, l’un des soumissionnaires initiaux, étant également actionnaire d’une seconde entreprise, soumet un nouveau prix au nom de celle-ci et décroche le contrat pour lequel aucune soumission n’avait initialement été déposée par cette seconde entreprise. De plus, un contrat pour la fourniture et le mixage du sable abrasif est accordé à l’un des soumissionnaires, alors que le mixage n’était aucunement prévu dans le cadre de l’appel d’offres.
La Cour d’appel est alors d’avis que l’intervention du maire porte atteinte au CMQ, notamment à la règle selon laquelle un contrat de plus de 25 000 $ doit être octroyé à la suite d’un appel d’offres, et non de gré à gré3. Le comportement du maire justifie-t-il toutefois qu’il soit déclaré inhabile à exercer ses fonctions d’élu pendant une durée de deux ans?
Il s’agit là du cœur du débat entre les parties. Or, pour que soit prononcée l’inhabilité du maire, la Commission doit nécessairement prouver que ce dernier a agi « sciemment ». Mais que signifie le terme « sciemment », dans ce contexte?
Pour la Cour d’appel, le terme « sciemment » tel qu’employé à l’article 938.4 du CMQ signifie :
« […] que le conseiller municipal visé par la demande de déclaration d’inhabilité doit avoir été conscient, au moment des faits pertinents, que ses gestes contrevenaient aux règles ou mesures applicables en matière d’attribution de contrats municipaux. »4
En effet, une erreur de bonne foi ou une simple négligence ne peut à elle seule entrainer une déclaration d’inhabilité5, qui est une sanction suffisamment sévère et ne devrait être prononcée qu’à l’égard d’un(e) élu(e) ayant eu conscience du non-respect des règles découlant de ses gestes au moment où il les a posés6. Dans le cas du maire de Grenville-sur-la-Rouge, il appert que ce dernier aurait plutôt voulu obtenir le meilleur prix pour la municipalité, en composant avec un processus d’appel d’offres qu’il considérait vicié et possiblement illégal. Il n’a tiré aucun avantage personnel des gestes qui lui sont reprochés et, ultimement, la preuve présentée n’a pas permis de démontrer qu’il aurait agi en toute connaissance de cause.
Dans cette affaire, seul le recours visant à faire déclarer l’élu inhabile à exercer ses fonctions était soulevé. Toutefois, lors de l’octroi illégal d’un contrat, comme ce fut le cas dans l’affaire ici étudiée, la déclaration d’inhabilité n’est pas la seule conséquence pouvant être engendrée. En effet, une municipalité ayant omis de respecter les règles relatives à un appel d’offres s’expose à divers recours, dont celui d’un soumissionnaire lésé, pouvant ultimement engager sa responsabilité dans les cas où une faute de la municipalité est démontrée.
Il demeure qu’afin d’éviter de faire l’objet d’une action en déclaration d’inhabilité, les élu(e)s doivent faire preuve de prudence lorsqu’ils participent au processus d’adjudication d’un contrat. Bien que le fardeau de prouver qu’un(e) élu(e) a « sciemment » effectué l’adjudication ou la passation d’un contrat sans respecter la loi soit difficile à rencontrer, nul n’est à l’abri d’une sanction d’inhabilité, laquelle entraine par ailleurs la privation du droit de se présenter à des élections municipales durant la période d’inhabilité7.

Par Me India Simard, avocate
Cain Lamarre
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[1] Code municipal du Québec, RLRQ c. C-27.1, art. 938.4; Loi sur les cités et villes, RLRQ c. C-19, art. 573.3.4;
[2] Commission municipale du Québec (Direction des enquêtes et des poursuites en intégrité municipale) c. Arnold, 2025 QCCA 1034;
[3] Code municipal du Québec, RLRQ c. C-27.1, art. 935, 936;
[4] 2025 QCCA 1034, préc. note 2, paragr. 20;
[5] Id., paragr. 51;
[6] Id., paragr. 5;
[7] Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités, RLRQ c. E-2.2, art. 66 al. 2.
