22 novembre 2023
En avril dernier, la Cour supérieure rendait une intéressante décision dans l’affaire Transport André Leroux inc. c. Ville de Salaberry-de-Valleyfield.1
À l’aube de l’hiver qui approche, cette décision, concernant une réclamation d’un entrepreneur en contexte de contrat de déneigement issu d’un processus d’appel d’offres, mérite certainement notre attention.
Dans cette affaire, la Ville de Salaberry-de-Valleyfield (ci-après : « Ville ») lance un appel d’offres en 2013 pour le déneigement de ses voies publiques. Au terme du processus d’appel d’offres, c’est Transport André Leroux inc. (ci-après : « Entrepreneur ») qui s’avère être le plus bas soumissionnaire conforme, et donc, qui se voit octroyer le contrat par la Ville.
Toujours est-il qu’un important litige survient entre cet Entrepreneur et la Ville au sujet, notamment, de l’application de certaines clauses du contrat intervenu.
En effet, l’Entrepreneur poursuit la Ville pour une somme globale de 305 232,93 $. Cette réclamation comporte, d’une part, un volet de solde contractuel, et d’autre part, une réclamation pour du travail additionnel effectué en marge du contrat, mais non prévu à ce dernier aux dires de l’Entrepreneur.
Relativement au solde contractuel, l’Entrepreneur prétend que la Ville aurait dû tenir compte dans le calcul des accumulations de précipitations visées par le contrat; non seulement des précipitations de neige, mais aussi de toutes autres formes de précipitation, telles que le verglas et la pluie.
Il prétend à ce titre que le contrat intervenu est ambigu quant à la nature des précipitations qui doivent être comptabilisées aux fins de la facturation.
À ce sujet, la Cour rejette la réclamation de l’Entrepreneur.
Elle rappelle d’abord les principes d’interprétation suivants :
[30] Enfin, le contrat conclu à la suite d’un appel d’offres constitue un contrat d’adhésion. En effet, l’élaboration des documents contractuels demeure, la plupart du temps, l’œuvre unilatérale du donneur d’ouvrage qui soumet à l’intention des contractants des formules, incluant toutes les conditions relatives aux contrats.
[31] Aussi, de façon générale, la jurisprudence a tendance à donner une interprétation des documents d’appel d’offres favorable aux soumissionnaires, lorsqu’il y a lieu d’interpréter la portée des exigences établies par le donneur d’ouvrage. Dans le cas où l’interprétation est requise, les tribunaux peuvent tenir compte du comportement des parties notamment quant à l’interprétation qu’elles avaient dans le passé pour une situation identique2.
Par ailleurs, la Cour réitère un principe important : il n’y a pas lieu d’interpréter un contrat qui ne souffre d’aucune ambigüité. Dans le contexte précis de cette affaire, la Cour est justement d’avis que le contrat n’a pas à être interprété, puisqu’il n’est pas véritablement ambigu, contrairement à ce qu’invoque l’Entrepreneur :
[43] Elle doit échouer pour trois raisons. D’abord, les Contrats ne souffrent pas d’ambiguïté au point où l’on doive se livrer à un exercice d’interprétation.
[…]
[47] Selon lui, les Contrats présentent une ambiguïté en ce qu’il y est fait mention de précipitation totale qui, par définition, équivaut à la somme de la pluie et de l’équivalent en eau de la neige. Or, les Contrats utilisent le centimètre comme unité de mesure, une unité propre au calcul des hauteurs de neige alors que la précipitation totale est habituellement rapportée en millimètres. Une telle ambiguïté mène à différentes interprétations possibles.
[…]
[49] Le Tribunal ne partage pas ce point de vue.
[50] En réponse à la question que pose Lelièvre, le Tribunal est d’avis que les Contrats sont clairs et que seules les hauteurs de neige doivent être comptabilisées dans le calcul de la précipitation totale.
La Cour allant plus loin dans sa réflexion ajoute que si tant est qu’une ambiguïté affectait les documents d’appel d’offres, l’Entrepreneur aurait dû se renseigner au moment d’élaborer sa soumission et avant la présentation de cette dernière :
[28] Par ailleurs, l’arrêt Bail de la Cour suprême consacre l’obligation de renseignement qui incombe au donneur d’ouvrage et qui consiste à révéler au contractant tout renseignement pertinent à la formation et à l’exécution du contrat à moins que le contrat ou les documents d’appel d’offres ne restreignent cette obligation.
[29] La rigueur de l’obligation de renseignement qui échoit au donneur d’ouvrage est toutefois atténuée par l’obligation de se renseigner qu’a tout contractant ou tout soumissionnaire lorsqu’il établir les conditions monétaires de sa soumission. Aussi, en présence d’une situation qu’il considère comme ambiguë dans les documents d’appel d’offres, un soumissionnaire a l’obligation de se renseigner auprès du donneur d’ouvrage avant de tirer des conclusions qui pourraient se révéler fausses3.
La Cour enseigne également que le comportement adopté par les parties par le passé peut servir à interpréter le contrat :
[31] […] Dans le cas où l’interprétation est requise, les tribunaux peuvent tenir compte du comportement des parties notamment quant à l’interprétation qu’elles avaient dans le passé pour une situation identique.
Or, en l’espèce, les parties ont déjà appliqué le contrat par le passé, en tenant compte uniquement des précipitations de neige. En ce sens, la Cour est d’avis que seules les précipitations de neige doivent être comptabilisées aux fins de la facturation.
En ce qui a trait au deuxième volet de la réclamation de l’Entrepreneur, ce dernier prétend essentiellement que la présence de véhicules stationnés sur les voies publiques lui a occasionné du travail supplémentaire non prévu au contrat et, qu’à ce titre, il a droit d’être indemnisé par la Ville pour ce travail.
L’Entrepreneur ajoute à cet égard que la Ville fait défaut de faire respecter sa réglementation relative au stationnement.
La Cour rejette cette réclamation vu l’existence de la clause suivante à même les documents d’appel d’offres :
L’Entrepreneur doit subir, sans compensation, de la part de la Ville, les inconvénients et les frais qui peuvent résulter des travaux d’excavation dans les rues, du stationnement des véhicules en bordure de la chaussée, de la circulation ou de tout autre événement semblable.
C’est précisément ce qui nous fait dire qu’il serait à propos, pour les Municipalités et donneurs d’ouvrage en général, en contexte de contrat de déneigement ou d’entretien de voies publiques, de prévoir dans leurs documents d’appel d’offres une clause similaire, et ce, pour éviter toute ambiguïté et réclamation potentielle à leur encontre.
Cette décision nous rappelle donc l’importance qu’il faut accorder à la rédaction soignée des documents d’appel d’offres. On évite ainsi des interprétations favorables aux soumissionnaires et, ultimement, des réclamations potentielles de ces derniers.
[1] 2023 QCCS 1320
[2] Paragraphes 30 et 31 de la décision
[3] Paragraphes 28 et 29 de la décision
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