La question des droits acquis en matière d’usages est complexe, et souffre de nombreuses exceptions et subtilités. Pourtant, à la base, tant la jurisprudence que la codification qui en est faite par l’article 113 al.2(18) de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, RLRQ, c. A-19.1, en énoncent des critères précis. Dans une décision récente, la Cour supérieure fait un rappel de ces critères et s’attarde sur la distinction entre l’intensification et le changement d’un usage.
Dans l’affaire Zahouani1, la Cour siège en appel d’une décision rendue par la Cour municipale de Montréal. L’appelant a été déclaré coupable de deux constats d’infraction pour des logements se trouvant au sous-sol de son immeuble, interdits par la réglementation municipale.
L’appel porte uniquement sur l’argument de droits acquis que faisait valoir l’appelant en première instance. En effet, la preuve démontre qu’il offrait déjà un logement à la location au sous-sol de son immeuble avant l’entrée en vigueur de la réglementation l’interdisant. La Ville, quant à elle, considère que les droits acquis ont été perdus lorsque l’appelant a subdivisé son logement, doublant ainsi le nombre de logements au sous-sol. Il est important de préciser que la superficie occupée au sous-sol par les logements n’a pas été modifiée.
En première instance, la Cour municipale s’est montrée d’avis qu’il y avait effectivement eu perte de droits acquis. Elle appuie ce raisonnement sur la prémisse voulant qu’en augmentant le nombre de logements, le propriétaire a opéré un changement d’usage qui a pour effet de causer la perte des droits acquis.
Ces conclusions se verront renversées par la Cour supérieure. Celle-ci débute l’analyse par un rappel pertinent des 6 critères permettant de déterminer si un usage est protégé par droits acquis2 :
(1) il était légal avant qu’il ne soit formellement interdit;
(2) il était exercé, l’intention de l’exercer étant insuffisante;
(3) il n’a pas été interrompu pendant au moins six mois et existe toujours au moment où les faits générateurs du litige ont pris naissance;
(4) il est demeuré de même nature, qu’il se soit intensifié ou non;
(5) aucun règlement municipal n’interdit son remplacement par un autre usage dérogatoire, étendu ou modifié; et
(6) il est rattaché à l’immeuble plutôt qu’à son propriétaire.
Une fois ce rappel effectué, la Cour se concentre sur le quatrième critère, qui est au cœur des questions en litige. En premier lieu, le Tribunal rappelle qu’en principe, un changement d’usage nécessite un type d’activités différent, l’ajout de nouvelles activités ou encore une modification telle que l’usage perd son lien avec l’usage initial3. Ce n’est pas le cas en l’espèce. La Cour convient toutefois que le changement peut découler d’une intensification telle qu’elle modifie la nature même des activités4.
Cette deuxième approche découle de l’objectif des dispositions concernant les droits acquis, soit de concilier les droits d’un propriétaire de disposer de son terrain à sa guise en ceux de la communauté de vivre dans le respect des normes établies. Ainsi, la Cour énonce que le critère permettant de déterminer si l’intensification justifie la cessation du droit acquis est celui des « effets de l’usage accru sur la collectivité5 ». En appliquant ces principes aux faits de l’espèce, non contestés, la Cour conclut que la subdivision d’un logement pour en créer deux dans la même superficie ne constitue pas une intensification suffisante pour causer la perte de droits acquis.
Ainsi, puisqu’elle conclut que l’usage ainsi intensifié n’a pas pour autant été modifié, la Cour supérieure conclut à la présence de droits acquis et prononce un acquittement à l’endroit de l’appelant pour les deux constats visés par l’appel.
Cette affaire sert de rappel intéressant à deux égards. Dans un premier temps, elle réitère les critères clairs permettant de conclure à la présence de droits acquis. Deuxièmement, et de façon plus importante, elle clarifie à quel moment l’intensification d’un usage protégé cause un changement d’usage, et ainsi une perte des droits acquis.
Enfin, il est à noter que dans cette affaire, la réglementation municipale n’imposait aucune limite à l’intensification d’un usage. Avant d’en appliquer les conclusions à toute situation, il est donc important de consulter d’abord les dispositions de la réglementation en vigueur portant sur les droits acquis. Il n’est en effet pas rare que les municipalités prévoient des limites entourant l’intensification d’un usage. À défaut pour le propriétaire d’avoir considéré ces particularités, il est risqué de se buter au cinquième critère réitéré dans Zahouani.
Par Me Martin Racine
Avocat
PFD Avocats
__________
[1] Zahouani c. Ville de Montréal, 2025 QCCS 425 (« Zahouani »).
[2] Id., par. 21.
[3] Id., par. 23.
[4] Id., par. 24.
[5] Id., par. 25.