Droits acquis prévus dans une transaction

09 octobre 2024
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La décision Municipalité de Saint-Joseph-du-Lac c. Verger des Cèdres ltée1 conclut une longue saga
judiciaire entre les parties relativement à l’exercice de droit acquis et le respect de la réglementation municipale. L’une des questions sur laquelle se penche le tribunal est la suivante : les défendeurs ont-ils perdu leur droit acquis parce qu’ils n’ont pas respecté les conditions de mise en application de ce droit prévues à une transaction conclue avec la Municipalité? Le tribunal conclura que oui.

Dans la décision Municipalité de Saint-Joseph-du-Lac c. Verger des Cèdres ltée, un long litige judiciaire entre les parties, la Municipalité de Saint-Joseph-du-Lac (la Municipalité) et quelques défendeurs, notamment le Verger des cèdres Ltée, culmine en un jugement rendu par la Cour supérieure en août 2024.

Ce litige avait initialement été soulevé en 2009, lorsque les défendeurs se font reprocher plusieurs non-conformités à la réglementation municipale. Il y a alors signature d’une entente entre les parties (la Transaction), par laquelle la Municipalité reconnaît l’existence de certains droits acquis relatifs à l’usage commercial effectué sur les lots en litige, soit l’exploitation d’une entreprise de mécanique, soudure et sablage de véhicules. Cette Transaction est homologuée par la cour en 2014 et assujettit cette reconnaissance à certaines conditions auxquelles les défendeurs doivent se conformer, notamment, l’obtention de permis de construction, l’exécution de certains travaux et la limitation de l’usage dérogatoire protégé par droit acquis à un seul bâtiment (le Bâtiment G) sur les lots visés.

Or, suivant une inspection municipale, la Municipalité réalise que les conditions prévues à la Transaction ne sont pas respectées. La question qui se pose est donc la suivante : « les défendeurs ont-ils perdu le droit acquis parce qu’ils n’ont pas respecté les conditions de mise en application de ce droit prévues à la Transaction? »

La Municipalité soutient que le non-respect de la Transaction permet de conclure à l’extinction du droit acquis relatif à l’usage exercé sur le lot. Selon elle, les défendeurs ont abandonné l’usage commercial : « puisqu’aucune de ces obligations n’a été respectée, les défendeurs ont simplement abandonné l’usage auquel la Municipalité avait reconnu un droit acquis conditionnel et doivent cesser tout usage non agricole2 ».

De leur côté, les défendeurs soutiennent que le Bâtiment G, visé par le droit acquis, a toujours servi à des activités commerciales et qu’ils n’ont donc pas perdu le droit acquis en vertu de la Transaction de continuer ses activités.

Soulignons par ailleurs que la procédure entreprise vise plusieurs autres éléments en raison du non-respect de plusieurs dispositions réglementaires par les défendeurs, par exemple, la présence de nombreuses nuisances sur le terrain selon la Municipalité.

Suivant une longue analyse de la crédibilité et la fiabilité des témoignages qu’elle a entendus, la Cour revient à la question qui nous intéresse et son analyse ne laisse aucun doute quant au fait que la Municipalité pouvait assujettir la reconnaissance de droits acquis à certaines conditions : 

[97] Toutefois, la reconnaissance par la Municipalité de ce droit d’usage en faveur du bâtiment G est assujettie à l’accomplissement de certaines conditions préalables par Verger des Cèdres, Jean-Charles Legault, Simon Legault et la Société Jean-Charles et Raymond Legault, lesquelles sont plus amplement décrites aux articles 7, 13, 14 et 15 de la Transaction.

Le tribunal doit cependant toujours déterminer s’il y a effectivement eu renonciation à l’exercice des droits acquis par les défendeurs.

La Cour supérieure indique qu’en « reconnaissant ce droit d’usage qui déroge au zonage agricole qui s’applique au Lot 843, la Municipalité accepte par la Transaction de créer un zonage propre au Lot 843, mais délimité et assujetti aux termes et conditions de la Transaction3 » et résume ainsi l’état de la situation :

[110] De l’avis du Tribunal, en concluant la Transaction, les parties conviennent de limiter les activités commerciales à l’intérieur du Bâtiment G et de l’aire d’entreposage, à l’exclusion de tout autre endroit sur les Lots 843 et 847. D’ailleurs, à l’article 12 de la Transaction, Verger des Cèdres, Jean-Charles et Simon Legault s’engagent à ne pas effectuer aucune réparation ailleurs qu’à l’intérieur du Bâtiment G.

[111] Toutefois, la reconnaissance par la Municipalité du droit d’usage dans la Transaction était conditionnelle à l’accomplissement de certaines conditions préalables, soit la détermination de l’emplacement de l’aire d’entreposage et de stationnement, la mise aux normes du Bâtiment G et de s’assurer que l’immeuble soit desservi par une installation sanitaire autonome approuvée.

Or, puisque le tribunal conclut que les conditions déterminées n’ont pas été respectées dans les délais prévus, « les défendeurs signataires de [la Transaction] ont perdu le bénéfice d’exercer le droit à l’Usage réparation et sablage sur les Lots 843 et 847.4 »

En effet, la Transaction prévoyait que l’usage commercial dérogatoire faisant l’objet d’un droit acquis ne pouvait être effectué que dans le Bâtiment G situé sur les lots visés par le recours. Cependant, la preuve au dossier ainsi que l’analyse de la crédibilité et la fiabilité effectuée par le tribunal mène ce dernier à conclure que l’usage commercial a été effectué pendant une période d’au moins 12 mois dans le Bâtiment O, et non dans le Bâtiment G. Puisque la réglementation municipale stipule que le droit acquis est perdu s’il a été abandonné ou interrompu pendant une période de 12 mois, le tribunal conclut qu’il y a eu abandon d’un usage dérogatoire au sens de ladite réglementation.5

La Cour supérieure conclut donc que les défendeurs doivent cesser l’usage commercial qui leur avait été permis, sous certaines conditions, dans la Transaction homologuée dix ans plus tôt.

Bref, il importe de retenir de ce jugement qu’une municipalité est en droit de conclure une entente par laquelle elle assujettit l’exercice d’un droit acquis à certaines conditions. Dans l’éventualité où lesdites conditions ne sont pas respectées par les titulaires des droits acquis, elle peut alors prétendre que les titulaires ont renoncé à ces droits acquis, sous réserve de la définition réglementaire de l’abandon d’un droit acquis. Ainsi, la municipalité qui se retrouve dans cette situation peut intenter un recours en vertu de l’article 227 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme afin de faire cesser l’usage abandonné.


Par Me Sarah-Maude Dumont
Avocate
Morency, Société d’avocats
__________

[1] 2024 QCCS 2899.
[2] Ibid, paragraphe 103.
[3] Ibid, paragraphe 106.
[4] Ibid, paragraphe 144.
[5] Ibid, paragraphe 278.