Documents d’appel d’offres : l’obligation de porter plainte

10 septembre 2024
img-appel-offres-BulletinSAM


Par Me Marie-Michèle Paquin
Avocate, LL. B. et LL. M. | Service d’assistance juridique
Fédération québécoise des municipalités
_____

Le 25 mai 2019, une portion supplémentaire du mandat de l’Autorité des marchés publics (l’AMP) est entrée en vigueur, s’ajoutant aux pouvoirs initiaux et en vigueur depuis le début de la même année1. Cet ajout législatif a eu pour effet d’instaurer la procédure administrative, pour toutes les municipalités, de réception et d’analyse des plaintes quant au contenu des documents d’appel d’offres2. Récemment, la Cour supérieure du Québec confirmait que le défaut, pour un soumissionnaire, de formuler une plainte quant à son insatisfaction à l’égard d’un processus d’appel d’offres public constitue une fin de non-recevoir pour toute demande en dommages-intérêts subséquente.

Les faits

Dans l’affaire Transport Martin Forget inc. c. Municipalité de Saint-Alexis3, la Cour devait se pencher sur une réclamation dont l’assise factuelle est fréquente. En effet, la demanderesse, Transport Forget, était d’avis que sa soumission avait été illégalement considérée comme affectée d’une irrégularité majeure.

Dans ses documents d’appel d’offres, la Municipalité avait choisi d’inclure certaines conditions prérequises à la conformité des soumissions destinées à rehausser le standard de professionnalisme et de probité des soumissionnaires. L’une de ces conditions était l’exigence de fournir un numéro de dossier auprès de la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) ainsi qu’une attestation de conformité dudit dossier, à jour au moment de la soumission.

Après avoir initialement déclaré comme conforme la soumission de Transport Forget, la Municipalité réalisa, pour donner suite à des vérifications, que le numéro de dossier RBQ fourni était inexistant. La Municipalité écarte donc la soumission.

Selon Transport Forget, cette exigence n’est pas requise par la loi et constituait ainsi un critère injustifié, ne constituant aucunement un gage de compétence dans le domaine visé par l’appel d’offres. En effet, selon les informations publiées lors des faits sur le site internet de la RBQ, les travaux visés par l’appel d’offres (travaux de déneigement) figuraient dans la liste de travaux ne nécessitant pas de licence de la RBQ. Ainsi, Transport Forget avait choisi de ne pas payer la somme de 1 000 $ requise pour être conforme auprès de la RBQ, dans l’attente de confirmation de l’attribution du contrat.

Quant à la Municipalité, celle-ci plaidait que l’irrégularité devait être considérée comme majeure et entraîner le rejet de la soumission. En effet, tel qu’en faisait état la preuve administrée, la Municipalité désirait proscrire, par l’ajout de cette exigence, le manque de sérieux potentiel des soumissionnaires. Par ailleurs, celle-ci considérait que l’absence de dépôt, par Transport Forget, de plainte selon l’article 938.1.2.2 du Code municipal du Québec devait entraîner l’irrecevabilité du recours en justice.

Les points à retenir

D’un point de vue de la conformité de la soumission, cette décision s’ajoute au corpus jurisprudentiel existant selon lequel il revient aux municipalités de déterminer les conditions qu’elles jugent appropriées dans leurs documents d’appel d’offres. Les tribunaux ne peuvent habituellement pas s’immiscer dans cette autonomie administrative. Dans la présente affaire, la condition liée au dossier RBQ constituait, pour la Municipalité, un moyen approprié de vérifier la crédibilité des soumissionnaires. Le fait qu’une exigence ne soit pas d’ordre public n’est pas un critère pertinent pour déterminer si une exigence constitue une exigence de fond dans un devis d’appel d’offres. Donc, le soumissionnaire ne pouvait pas choisir de ne pas tenir à jour son dossier RBQ dans l’attente de voir si le contrat lui est bel et bien octroyé.

D’autre part, cette décision établit que les soumissionnaires qui considèrent qu’une exigence contenue dans un document d’appel d’offres limite indûment la saine concurrence entre soumissionnaires doivent formuler une plainte à cet effet. À défaut, tout recours subséquent en dommages-intérêts à l’encontre du donneur d’ouvrage pour rejet de la soumission en lien avec l’exigence reprochée sera déclaré comme irrecevable.

Pour la Cour, l’instauration du processus de plainte se voulait, pour le législateur, un moyen de protéger les petites municipalités à l’égard des recours judiciaires subséquents à l’ouverture des soumissions, surtout lorsqu’elles « sont appelées à exercer leur discrétion administrative au regard de la conformité des soumissions déposées par les entreprises intéressées à l’obtention du contrat proposé par appel d’offres public ». Dorénavant, « toute difficulté relative au principe d’égalité des soumissionnaires doit être résolue en amont du processus d’appel d’offres, par le système de plainte préalable dont la décision municipale sera révisable par l’Autorité des marchés publics. À défaut, sauf pour des motifs de fraude ou de mauvaise foi flagrante (ex. : collusion), aucun recours pour perte de profit ne sera recevable » (par. 38).

Finalement, nous rappelons aux municipalités l’importance de s’assurer que leurs documents d’appel d’offres respectent les exigences législatives à l’égard du processus de réception et de traitement des plaintes.

Pour toute question quant à la présente chronique ou pour une assistance juridique en matière de droit municipal, nous vous invitons à communiquer avec le Service de l’assistance juridique de la FQM.

__________

[1] Article 286 de la Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics (L.Q., 2017, c. 27).
[2] Articles 938.1.2.2. du Code municipal du Québec et 573.3.1.4. de la Loi sur les cités et villes.
[3] 2024 QCCS 2208 (14 juin 2024).