Contrats de services informatiques : gestion contractuelle 2.0

25 mars 2025
Le service d'Informatique municipale de la FQM

La saga entourant la plateforme transactionnelle SAAQclic nous inspire à revisiter les principes applicables en matière de gestion contractuelle dans le contexte des contrats de services informatiques conclus par une municipalité. Nous explorons les moyens par lesquels la municipalité peut préserver ses intérêts lors de l’attribution et de l’exécution d’un tel contrat.

La saga entourant la plateforme transactionnelle de la Société d’assurance automobile du Québec, SAAQclic, marquée par les dépassements de coûts et les problèmes d’implantation, continue de causer l’émoi, à tel point que le projet SAAQclic sera bientôt soumis à une commission d’enquête publique. Ces événements nous inspirent à revisiter les principes applicables en matière de gestion contractuelle dans le contexte des contrats de services informatiques conclus par une municipalité. Nous aborderons le sujet sous deux aspects : l’attribution du contrat et les responsabilités des parties lors de son exécution.

Première phase : l’adjudication
En règle générale, les règles gouvernant l’attribution des contrats publics s’appliquent au contrat de services informatiques. Ainsi, un tel contrat devra être adjugé suivant un appel d’offres public s’il comporte une dépense égale ou supérieure au seuil d’appel d’offres public (présentement établi à 133 800 $).

La Loi sur les cités et villes prévoit toutefois certaines particularités propres au contrat de services informatiques. Ainsi, un tel contrat fait partie de ceux qui peuvent faire l’objet d’une discrimination en faveur des services canadiens ou des fournisseurs ayant un établissement au Canada, même si la dépense est égale ou supérieure au seuil d’appel d’offres public1.

De plus, cette même Loi instaure une exception aux règles générales en ce qui concerne l’attribution d’un contrat dont l’objet découle de l’utilisation d’un progiciel ou d’un logiciel, dans quatre situations distinctes2. Il s’agit d’abord du contrat dont l’objet vise à assurer la compatibilité avec des systèmes existants. Cette exception permet ainsi à la municipalité de « confier l’entretien ou la mise à jour des logiciels existants à la firme les ayant fournis » à la municipalité3. La deuxième exception concerne la protection des droits exclusifs, ce qui permet à la municipalité de conclure de gré à gré un contrat de services informatiques avec un fournisseur unique. Les deux autres exceptions favorisent l’innovation en matière de logiciels, en permettant à la municipalité de conclure un contrat de gré à gré, dans un objectif de recherche et de développement ou encore pour la production d’un concept original.   Soulignons que, lorsque le contrat comporte une dépense égale ou supérieure au seuil d’appel d’offres public et vise la fourniture de services professionnels, la municipalité doit utiliser un système de pondération et d’évaluation des offres. Bien que la notion de « services professionnels » ne soit pas définie dans les lois municipales, elle ne se limite pas aux seuls services rendus par les membres d’un ordre professionnel régis par le Code des professions4. Cette notion peut s’étendre à d’autres types de services impliquant des connaissances particulières et une autonomie d’exécution. Chaque situation est unique, mais il arrivera souvent que le contrat de services informatiques réponde à cette définition et nécessitera le recours à système de pondération et d’évaluation des offres.

Précisions que le présent exposé s’intéresse aux règles en vigueur au moment de sa rédaction. Après l’entrée de la nouvelle Loi sur les contrats des organismes municipaux, l’attribution d’un contrat de services informatiques nécessitera un examen attentif des dispositions de cette Loi.

Deuxième phase : l’exécution
Une fois le contrat adjugé, le temps est venu pour le fournisseur de se mettre au travail. À ce moment, des difficultés peuvent survenir si le client n’est pas pleinement satisfait du résultat. Se pose alors la question de définir l’étendue des obligations du fournisseur de services informatiques. Plus particulièrement, est-il tenu de livrer un résultat précis et fonctionnel, ou simplement de prendre tous les moyens raisonnables pour arriver à un tel résultat? Selon la jurisprudence, la réponse se trouvera généralement dans le texte même du contrat de service5. Si le fournisseur promet de livrer, à une date donnée, un système comprenant des caractéristiques précises, décrites dans un devis, le fournisseur sera généralement obligé de fournir un tel résultat et ne pourra se dégager de son obligation qu’en cas de force majeure.

À l’opposé, si le mandat du fournisseur est « général, vague et vise un objectif global à atteindre », alors, il sera généralement tenu à une obligation de moyen, c’est-à-dire qu’il devra prendre tous les moyens raisonnables pour arriver au résultat souhaité6. Pour cette raison, il est préférable d’inclure au contrat une description complète et détaillée des services attendus ou des caractéristiques du système attendu, ainsi que les délais impartis. À cette étape, il pourrait même être avisé de retenir les services d’un consultant au moment d’élaborer le devis destiné à l’appel d’offres.

La municipalité devrait aussi prendre garde à la tendance de certains fournisseurs de services informatiques d’inclure dans leur contrat une clause de limitation de responsabilité limitant le montant des dommages-intérêts pouvant être réclamés par le client en cas de défaut du fournisseur. Une telle limitation pourrait, par exemple, empêcher la municipalité de réclamer les dépassements de coûts résultant du défaut du fournisseur. La Cour suprême a conclu qu’une telle clause est valide si le contrat a été librement négocié et que le fournisseur n’a pas commis de faute lourde ou intentionnelle7. Enfin, il est bien connu que l’implantation d’un nouveau système informatique peut être source de perturbations. Il y a donc lieu de prévoir, dès l’élaboration du contrat, des mesures permettant de faciliter la transition. Ainsi, le fournisseur devra prendre le temps de former adéquatement le personnel de la municipalité afin qu’il soit en mesure d’utiliser efficacement le nouveau système. En contrepartie, l’implantation d’un nouveau système informatique comporte généralement une phase de tests ou d’essais qui impliquent le client. La municipalité devra collaborer activement avec le fournisseur à cette étape cruciale de l’exécution du contrat.

Advenant qu’un différend se judiciarise, une difficulté consistera à trouver un expert qui maîtrise parfaitement son domaine et qui soit capable de le vulgariser dans des termes que les avocats et le juge comprendront. Mais ça, c’est une autre histoire…


Par Me Jean-Philippe Le Pape
Avocat
Morency, Société d’avocats
__________

[1] Art. 573.1.0.4.1 al. 1, par. 1° et al. 8; Code municipal du Québec, art. 936.0.4.1, al. 1, par. 1° et al. 8.
[2] Art. 573.3 al. 1 par. 6°. Code municipal du Québec, art. 938, al. 1 par. 6°.
[3] A. LANGLOIS, Les contrats municipaux par demandes de soumission, 4e éd., p. 142.
[4] J. HÉTU et Y. DULESSIS, Droit municipal : Principes généraux et contentieux, par. 9.87 et 9.95.
[5] 2911663 Canada Inc. c. A.C. Line Info Inc., 2004 CanLII 14095 (CA).
[6] Technologies Trellisys Inc. c. Rousseau Métal inc., 2009 QCCQ 107.
[7] Code civil du Québec, article 1474; 6362222 Canada Inc. c. Prelco Inc., 2021 CSC 39.