Tous ceux qui sont familiers avec le processus d’adjudication des contrats par appels d’offres publics connaissent le rôle essentiel de la détermination de la conformité des soumissions. En effet, un organisme public ne peut adjuger un contrat qu’au plus bas soumissionnaire conforme, sous réserve de certaines exceptions. Qu’arrive-t-il lorsqu’une soumission comporte un prix qui omet les taxes? Celle-ci doit-elle être déclarée non conforme?
Les réponses à ces questions sont aussi diverses que les soumissions qui les posent. Elles sont affectées par divers éléments, comme le moment où l’irrégularité est soulevée ou encore par les documents d’appel d’offres eux-mêmes. Nous vous proposons un tour d’horizon de la question.
Irrégularité lors de l’analyse des soumissions
Les irrégularités mineures concernent des objets secondaires ou accessoires d’une soumission et peuvent être facilement rectifiées. L’exemple ultime de telles irrégularités est l’erreur de calcul simple qui doit être corrigée par le donneur d’ouvrage. La question se pose alors à savoir si l’omission de l’inclusion des taxes peut être catégorisée comme une erreur de calcul.
Dans l’affaire Groupe Hexagone1, la Cour supérieure nous indique très clairement que d’omettre les taxes, alors que les documents d’appels d’offres sont clairs quant à l’obligation de les inclure, ne constitue pas une erreur de calcul. Cette omission est alors qualifiée d’erreur majeure, impliquant le rejet de la soumission.
Le Tribunal motive sa décision en précisant que le fait qu’un donneur d’ouvrage ait dû communiquer avec le soumissionnaire pour savoir si le prix comprenait les taxes ou non confirme qu’il ne peut s’agir d’une simple erreur de mathématiques, mais plutôt d’une question nécessitant une explication ou un raisonnement, ce qui ne peut justifier la modification d’une soumission après son ouverture2.
La Cour d’appel a précédemment tenu la même logique en indiquant que la personne responsable de l’analyse des soumissions, pour le compte d’un donneur d’ouvrage, ne peut corriger qu’une erreur de calcul facilement identifiable et ne laissant place à aucune interprétation, c’est-à-dire une erreur qui ne nécessite pas, de la part du correcteur, qu’il suppose ou présume de ce que le soumissionnaire a voulu dire3.
Suivant les critères énumérés ci-dessus par la Cour d’appel, nous sommes plutôt d’opinion que dans le cas spécifique de Groupe Hexagone, l’absence d’inscription à la section intitulée « taxes » constitue une erreur facilement identifiable et qui ne nécessite pas d’interprétation. Toutefois, il y a lieu de nuancer cette décision, puisque dans cette affaire, le soumissionnaire avait admis ne pas s’être conformé à l’exigence d’inclure les taxes dans le but exprès de présenter une soumission plus basse que celles des autres soumissionnaires qui incluraient les taxes.
Il serait intéressant de connaître la décision d’un tribunal dans une décision similaire où il y aura l’absence d’intention de tromper de la part du soumissionnaire. En fait, lorsque le donneur d’ouvrage est informé préalablement à l’adjudication du contrat, par le soumissionnaire, de son omission concernant les taxes, le donneur d’ouvrage ne peut pas lui adjuger le contrat sans les taxes, puisqu’il pourra être considéré de mauvaise foi4.
Il semble donc qu’il est possible de permettre la rectification dans une situation où l’erreur est manifeste. En effet, le courant jurisprudentiel majoritaire prévoit qu’une erreur apparente à la face même d’une soumission peut faire l’objet d’une correction si elle porte sur un objet secondaire5. À cet égard, bien que le prix d’une soumission semble à première vue être un objet principal de la soumission, nous pensons que l’application des taxes ne constitue pas une augmentation du prix soumissionné à proprement parler lorsqu’il est manifeste que ce dernier ne comprend pas les taxes et qu’elles seraient dues dans tous les cas.
De plus, les tribunaux soulignent de plus en plus l’importance de ne pas adopter une approche rigide et formaliste en ce qui concerne la correction des irrégularités mineures par le plus bas soumissionnaire, surtout lorsque l’écart entre les offres est favorable aux contribuables et que l’ordre des soumissionnaires n’est pas affecté6.
Irrégularité découverte après l’attribution du contrat
Lorsque l’irrégularité est soulevée après l’attribution du contrat, deux scénarios distincts se présentent en fonction de la clarté des documents d’appel d’offres.
Si les documents d’appel d’offres sont formulés de manière précise, laissant peu de place à l’interprétation quant à l’inclusion des taxes dans le prix de la soumission, le donneur d’ouvrage peut alors considérer que ces taxes sont comprises dans le montant proposé par l’entrepreneur. En conséquence, dans une telle situation, le donneur d’ouvrage ne serait pas tenu de payer un montant supplémentaire représentant les taxes.
En revanche, si les documents d’appel d’offres présentent des ambiguïtés susceptibles d’induire en erreur les soumissionnaires, le donneur d’ouvrage serait alors contraint de payer les taxes. En effet, tout donneur d’ouvrage tirant profit des imprécisions de ses documents d’appel d’offres, notamment en ce qui concerne les taxes, afin d’obtenir des contrats à des prix inférieurs à ceux attendus, agirait de mauvaise foi et devrait dès lors s’acquitter des taxes dues.
Un exemple illustrant cette situation est le cas de Progère Construction inc. c. Trois-Rivières (Ville de)7, où des contradictions évidentes dans les documents de soumissions ont conduit à une décision de justice en faveur de l’entrepreneur. En effet, malgré une formule de soumission mentionnant un prix incluant les taxes, les instructions aux soumissionnaires et les clauses administratives générales spécifiaient clairement que les taxes ne devaient pas être incluses dans les prix proposés. Dans ce cas, la Ville a été reconnue comme agissant de mauvaise foi pour avoir octroyé le contrat à un prix inférieur au montant réellement proposé par l’entrepreneur et a été contrainte de verser les taxes en plus du montant initial du contrat.
En somme,il est donc primordial que les soumissionnaires s’assurent que leurs propositions répondent pleinement aux exigences énoncées dans les documents d’appel d’offres, notamment en ce qui concerne l’inclusion des taxes. De même, les donneurs d’ouvrage doivent veiller à la clarté et à la cohérence de leurs documents tout au long du processus d’appel d’offres. Par conséquent, il est vivement conseillé d’effectuer une révision minutieuse des soumissions afin d’éviter toute irrégularité pouvant compromettre la validité de la proposition et, par extension, l’attribution du contrat. Dans cette optique, la consultation d’un avocat spécialisé est recommandée pour garantir la conformité juridique de l’ensemble du processus.
[1] Groupe Hexagone c. Ville de Lac-Mégantic, 2017 QCCS 5425.
[3] Marcel Martineau Électricien inc. c. Ville de St-Romuald, C.A. Québec, n° 200-09-000775-964.
[4] Services Ricova inc. c. Ville de Montréal, 2024 QCCS 80, para 130.
[5] 2744-1781 Québec inc. c. Québec (Procureure générale), 1999 CanLII 11241 (QC CS); 3916723 Canada inc. c. Hydro-Québec, 2006 QCCS 5502 (CanLII).
[6] Groupe Benoît c. Agence métropolitaine de transport, 2009 QCCS 406.
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Par Me Émilie Corriveau avec la collaboration de Laurie Marcoux
Respectivement, avocate et étudiante en droit
Dunton Rainville