Récemment, la Cour d’appel a rendu une décision d’intérêt en matière d’appel d’offres public, eu égard à l’analyse de la conformité des soumissions et plus précisément quant à la qualification d’une non-conformité comme majeure ou mineure.
Les faits et la décision de première instance
En 2015, la Municipalité de Mansfield-et-Pontefract publie un appel d’offres visant des services de collectes des ordures ménagères, des matières recyclables et des objets encombrants sur son territoire. L’une des clauses du devis exigeait que les soumissionnaires transmettent une garantie de soumission d’un montant de 5 000 $, ainsi qu’une lettre d’engagement d’un assureur à émettre un cautionnement d’exécution de 5 000 $ (ci-après la Lettre).
Location Martin-Lalonde (la demanderesse, ci-après Lalonde) et Entreprise R. Charrette (ci-après Charrette) sont les deux seuls soumissionnaires et le contrat est finalement adjugé à Charrette. La Municipalité écarte la soumission de Lalonde du fait que celle-ci n’était pas accompagnée de la Lettre requise. Lalonde conteste cette décision, étant d’avis que, d’une part, la Municipalité n’aurait pas dû octroyer le contrat à Charrette puisque non conforme aux conditions de l’appel d’offres et que, d’autre part, l’irrégularité qui affectait sa propre soumission devait être qualifiée de mineure, de sorte qu’elle n’aurait pas dû être rejetée.
En première instance, la Cour supérieure donne raison à Lalonde et condamne la Municipalité à verser à l’entreprise une somme de 108 360 $ pour compenser la perte de profits que Lalonde aurait pu espérer si le contrat lui avait été octroyé.
Décision de la Cour d’appel
Le 23 août 2024, la Cour d’appel confirme le jugement de première instance et rejette l’appel de la Municipalité. Les motifs de cette décision méritent d’être rapportés, puisque la Cour semble ajouter au cadre d’analyse jusque-là largement approuvé et utilisé par les tribunaux afin d’évaluer la conformité des soumissions.
Il est bien connu qu’en matière d’appel d’offres public, un organisme ne peut adjuger le contrat qu’à un soumissionnaire dont la soumission est conforme aux conditions prévues aux documents d’appel d’offres. Une soumission peut être jugée conforme, même si elle est affectée d’une irrégularité « mineure », mais doit être automatiquement rejetée si l’irrégularité est « majeure ».
Afin de qualifier d’une telle irrégularité, un cadre d’analyse a été établi et est couramment utilisé en jurisprudence1, consistant essentiellement à se demander si l’exigence des documents d’appel d’offres concernée par l’irrégularité, est essentielle ou non. Dans l’affirmative, la non-conformité doit être qualifiée de majeure et la soumission ne peut être retenue.
Cette démarche d’analyse, énoncée dans l’affaire Tapitec de 20172, consiste à étudier les trois critères suivants :
1. L’exigence est-elle d’ordre public?
2. Les documents d’appels d’offres indiquent-ils expressément que l’exigence constitue un élément essentiel?
3. À la lumière des usages, des obligations implicites et de l’intention des parties, l’exigence traduit-elle un élément essentiel ou accessoire de l’appel d’offres?
Si la réponse à l’une de ces trois questions est affirmative, alors l’irrégularité doit être qualifiée de majeure et la soumission ne peut être acceptée.
Or dans l’affaire Location Martin-Lalonde, la Cour d’appel pousse plus loin la réflexion, en mentionnant qu’une irrégularité à une condition essentielle de l’appel d’offres ne doit pas automatiquement être qualifiée de majeure. Elle propose une analyse supplémentaire portant sur la nature de l’irrégularité, au-delà de son caractère essentiel.
C’est ainsi qu’elle enseigne qu’il faut d’abord se questionner sur la gravité de l’erreur par rapport à l’exigence des documents d’appel d’offres, soit relativement à la « distance qui sépare l’exigence incluse dans le devis et l’offre présentée ». Ensuite, il faut évaluer la possibilité pour le soumissionnaire de corriger son erreur. Enfin, il faut soupeser le risque de préjudice aux autres soumissionnaires.
Compte tenu de ce volet d’analyse supplémentaire, la Cour d’appel confirme que bien que la Lettre constituait un élément essentiel des documents d’appel d’offres, l’omission de la transmettre était une irrégularité mineure. En l’espèce, l’omission de transmettre la Lettre n’était pas « grave » et pouvait aisément se corriger sans nuire à l’équité entre les soumissionnaires, la Cour mentionnant qu’il s’agissait « d’une soumission substantiellement conforme dont les irrégularités ne portaient que sur une question de forme, secondaire, et facilement remédiable. »3
Conclusion
En définitive, il nous semble que cet arrêt vient modifier, voire complexifier le cadre d’analyse de la qualification des irrégularités en matière d’appel d’offres public. Il est donc primordial que les représentants municipaux chargés de l’adjudication des contrats soient informés de cette évolution jurisprudentielle et restent à l’affût de l’application qui en sera faite à l’avenir par les tribunaux.
Par Me Guillaume Arcand
Avocat
Cain Lamarre
__________
[1] Ville de Montréal c. EBC inc., 2019 QCCA 1731
[2] Tapitec inc. c. Ville de Bainville, 2017 QCCA 317
[3] Municipalité de Mansfield-et-Pontefract c. Location Martin-Lalonde, par.52