L’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après la « CDLP ») prévoit une protection contre les mesures pouvant être prises à l’égard d’un salarié reconnu coupable d’infraction pénale ou criminelle. Cette protection peut amener son lot de difficultés de gestion aux employeurs québécois. L’article 18.2 de la CDLP prévoit ce qui suit : « Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon. » Dans une décision récente , le Tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT ») a accueilli la plainte d’un employé qui contestait son congédiement en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (ci-après la « LNT ») et de l’article 18.2 de la CDLP. L’employeur avait congédié le salarié après qu’il eut été reconnu coupable de deux infractions d’agression sexuelle, lesquelles avaient été médiatisées. Dans le cadre de cette affaire, le TAT a finalement ordonné à l’employeur de réintégrer le salarié dans son emploi, avec tous ses droits et privilèges, incluant le salaire perdu depuis le congédiement.
Les faits ayant mené à la décision
Dans cette affaire1, le salarié avait été congédié par son employeur le 15 janvier 2024, soit dans les jours suivant sa déclaration de culpabilité à deux chefs d’infraction d’agression sexuelle.
Le salarié a alors déposé une plainte à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après la « CNESST ») en soutenant que son congédiement était discriminatoire et contraire à l’article 18.2 de la CDLP2. Il demandait donc d’être réintégré dans son emploi et d’obtenir une indemnité pour le salaire perdu.
Le salarié travaillait chez l’employeur depuis 2016 et occupait un poste de conseiller aux ventes. Il était le vendeur avec le plus d’expérience et le plus performant. L’employeur, un concessionnaire automobile, vendait des véhicules neufs et d’occasion.
Le 14 septembre 2022, le salarié avait été accusé d’avoir agressé sexuellement deux jeunes femmes avec qui il avait été photographié lors d’une soirée, dans le cadre de son enterrement de vie de garçon. Le salarié, son cousin et un collègue étaient sortis dans des bars de Québec alors que le salarié portait des vêtements féminins colorés dans le cadre des festivités. Certaines personnes l’avaient arrêté dans la rue pour discuter et afin d’être photographiées avec lui. C’est dans ce contexte que le salarié avait commis des attouchements sexuels non consensuels sur une femme, puis sur une connaissance de celle-ci, alors qu’elles se faisaient photographier avec celui-ci. La situation a ensuite dégénéré en bagarre.
Les événements ont par la suite rapidement fait l’objet d’une couverture médiatique, puisque la violente scène avait été filmée.
Suivant les accusations du 14 septembre 2022, l’employeur avait pris la décision de suspendre le salarié de ses fonctions, sans salaire, pour une durée indéterminée et jusqu’à ce que la poussière retombe. Il a par la suite réintégré le salarié dans ses fonctions le 30 janvier 2023 et celui-ci est demeuré en poste jusqu’à sa déclaration officielle de culpabilité, le 11 janvier 2024.
Les arguments des parties
L’employeur argumentait que le salarié mettait à risque les clientes de l’entreprise avec qui il avait des contacts quotidiens et fréquents. De plus, l’employeur soutenait que la médiatisation des événements et la connaissance du public des antécédents du salarié portaient atteinte à la réputation, l’image et la crédibilité de l’entreprise. Selon l’employeur, les femmes sont vulnérables et il existait donc un risque de récidive de la part de l’employé, celui-ci devant parfois être seul avec les clientes lors d’essais routiers d’un véhicule. L’employeur soutenait donc que les infractions d’agression sexuelle commises par le salarié avaient un lien avec son emploi de vendeur, ce qui justifiait de le congédier.
De son côté, le salarié plaidait qu’aucun lien objectif n’avait été démontré entre ces infractions criminelles et son emploi de vendeur et que subsidiairement, si un tel lien objectif existait, celui-ci était minime et insuffisant pour le priver de la protection de ses droits prévus à l’article 18.2 de la CDLP.
L’analyse du TAT
Le TAT rejette les arguments de l’employeur. Il est d’avis que les infractions commises par le salarié n’ont pas une incidence préjudiciable, tangible, concrète et réelle sur sa capacité d’exercer ses fonctions et qu’il ne présente pas de risque pour la clientèle. Le TAT est d’ailleurs d’avis que les valeurs de respect et l’importance du service à la clientèle chez l’employeur ne créent pas automatiquement un lien entre les infractions commises et l’emploi de vendeur du salarié.
En ce qui concerne l’argumentaire de l’employeur relatif à l’atteinte à la réputation de l’entreprise, le TAT conclut que l’employeur n’a pas fait la preuve d’éléments objectifs reliant l’infraction et le poste de vendeur du salarié, en ce qu’aucune preuve concrète et objective d’atteinte à la réputation de l’entreprise ne lui a été faite.
Le TAT est donc d’avis que la preuve présentée ne démontre pas en quoi les condamnations du salarié ou la médiatisation de celles-ci rendent ce dernier inapte ou moins apte à occuper son poste de vendeur chez l’employeur. Le TAT conclut alors qu’il n’y a pas de lien objectif entre les infractions et l’emploi de vendeur. Il ordonne donc la réintégration du salarié dans son poste de vendeur.
À retenir
Cette décision rappelle l’importance pour tous les employeurs québécois d’être prudents avant de congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle.
Dans l’éventualité où un employeur voudrait congédier un employé déclaré coupable d’une infraction criminelle, quelle qu’elle soit, celui-ci devra démontrer au tribunal que l’infraction commise a un lien objectif avec son emploi en démontrant en quoi la condamnation rend le salarié en question inapte ou moins apte à occuper son poste. Il ne s’agit pas d’une preuve simple et évidente qui pourrait reposer uniquement sur des généralités ou des préjugés. L’employeur devra généralement prouver un risque étroitement associé à l’exécution sûre et efficace des tâches du salarié. La protection prévue par la CDLP doit être interprétée largement afin d’éviter de la rendre purement théorique et la simple gravité de l’infraction commise ne sera pas suffisante pour remplir ce fardeau.
Un bon exemple fourni par le TAT dans cette décision concerne un pompier déclaré coupable de voies de faits graves. Le simple fait que ce pompier ait posé un geste contraire à sa mission (porter assistance aux gens) ne suffit pas à prouver le lien avec l’emploi et donc à justifier un congédiement3. Cela serait probablement différent si le même pompier devait travailler principalement auprès d’une clientèle vulnérable et qu’il était reconnu coupable d’agression sexuelle.
Dans l’éventualité où l’employeur argumenterait quant à l’existence d’une atteinte à la réputation de l’entreprise, celui-ci devra faire la preuve objective et concrète d’une atteinte réelle, et non seulement d’une possibilité d’atteinte ou d’une crainte à cet effet, et ce, peu importe la gravité de l’infraction pénale ou criminelle. Encore une fois, il faudra faire la preuve d’un lien objectif entre l’infraction et le poste du salarié.
Par Me Samuel Montmagny
Avocat
Tremblay Bois Avocats
__________
[1] Roussin Bizier c. Cliche Auto Ford Thetford inc., 2025 QCTAT399 (CanLII)
[2] RLRQ, c. C-12.
[3] Syndicat des pompiers et pompières du Québec, section locale Val-d’Or (temps partiel) et Ville de Val-d’Or, 2018 QCTA 37, pourvoi en contrôle judiciaire rejeté, 2019 QCCS 765