Clause de rejet automatique dans un appel d’offres – Fait-on face à une nouvelle ère jurisprudentielle?

08 février 2023
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8 février 2023

La décision QMD inc. c. Ville de Montréal rendue en 2020, qui a été confirmée par la Cour d’appel en 2021 est-elle un cas isolé ou est-ce que cette décision vient modifier l’état actuel du droit? En effet, en confirmant la décision de première instance, la Cour d’appel dévie de la jurisprudence que l’on connaît.

En première instance, la Ville de Montréal procède à un appel d’offres pour l’octroi d’un contrat pour la réalisation de travaux de mise aux normes d’un aréna. Norgéreq avait participé à l’appel d’offres et il était le soumissionnaire le plus bas; cependant, il avait omis de fournir, avec sa soumission, une copie de son autorisation de contracter de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Bien qu’il détenait son autorisation, celle-ci n’était pas incluse avec sa soumission, contrairement aux exigences de l’appel d’offres qui prévoyait alors le rejet automatique. Face à cette situation, la Ville de Montréal décide de passer outre ce défaut et a tout de même jugé recevable la soumission de Norgéreq. QMD, étant le deuxième soumissionnaire le plus bas, poursuit alors la Ville de Montréal.

Le juge de première instance indique que cette obligation n’est pas absolue et que le donneur d’ouvrage jouit d’une certaine latitude dans l’analyse de la conformité d’une soumission, ainsi il bénéficie d’une discrétion administrative. Également, la Cour rappelle qu’une dérogation à une exigence substantielle sera considérée comme une dérogation majeure et entraînera automatiquement le rejet de la soumission. La juge de première instance procède à l’analyse du caractère mineur ou majeur de la dérogation. À la suite de son analyse, la juge conclut à une dérogation mineure qui n’affecte pas le prix de la soumission et ne compromet pas l’égalité entre les soumissionnaires.

QMD a porté la décision en appel. Le juge mentionne dans sa décision qu’il doit faire preuve de déférence puisque la qualification de la dérogation est une question mixte de faits et de droit. Ainsi, la Cour n’interviendra que si la conclusion du juge résulte d’une erreur de droit, d’une erreur manifeste et déterminante ou qu’elle est déraisonnable, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire.

Au paragraphe huit (8) de la décision, on peut comprendre le raisonnement de la Cour d’appel qui se lit comme suit :

« Dans les circonstances fort particulières de cette affaire le juge était fondé de conclure que l’omission de Norgéreq de joindre son attestation à sa soumission lors du dépôt de sa soumission résultait d’une inadvertance de sa part et qu’elle constituait une dérogation mineure à laquelle l’intimée avait discrétion de passer outre. Son analyse du droit applicable, des critères permettant d’apprécier ce qui constitue une dérogation mineure ou majeure, de la preuve concernant le contexte dans lequel la Ville a incorporé la clause en litige aux documents d’appel d’offres et de sa conduite par la suite ne requiert pas l’intervention de la Cour. D’autant plus que le fait de ne pas tenir compte de l’irrégularité dans la soumission de Norgéreq et d’en permettre la correction n’a pas eu pour effet d’affecter les objectifs fondamentaux du processus d’appel d’offres, l’équité entre les soumissionnaires et l’intégrité du processus n’ont pas été mises en péril, pas plus que l’obtention d’un juste prix, au bénéfice du trésor public et des contribuables. Incidemment, avec une objectivité dont il faut lui reconnaître le mérite, l’avocat de l’appelante a admis lors de l’audience que l’égalité et l’équité entre les soumissionnaires ne sont pas en cause ici. »1

On comprend de cette décision que c’est la détention de l’autorisation de l’AMF qui constitue la condition essentielle lors du dépôt de sa soumission et que l’obligation d’en déposer une copie avec la soumission constitue uniquement un accessoire. Ainsi, le juge de première instance n’a commis aucune erreur révisable en ne s’arrêtant pas seulement sur le caractère littéral de la clause en question, mais plutôt sur l’analyse de l’ensemble de la preuve.

La jurisprudence antérieure à cette décision allait dans le sens du rejet automatique de la soumission lorsque les documents d’appel d’offres indiquaient explicitement une telle condition, que le vice soit majeur ou mineur. Ainsi, la soumission était irrecevable. Cependant, la décision de la Cour d’appel s’écarte de ce courant jurisprudentiel. Fait-on face à un vent nouveau? Est-ce que le cas de l’Entreprise QMD est unique? La décision des Entreprises QMD a été citée dans des décisions récentes, tel que Couillard Construction limitée c. Procureur général du Québec (ministère des Transports du Québec), où la Cour s’appuie sur la décision de la Cour d’appel dans QMD inc. afin d’évaluer les facteurs d’analyse permettant de qualifier une dérogation de mineure ou majeure dans un contexte de clause de rejet automatique.

Il est peut-être un peu tôt pour conclure à un revirement jurisprudentiel, mais il est sûr que cette décision fera couler beaucoup d’encre concernant les clauses de rejet automatique.

Écrit par : Me Ann-Sophie Gagnon, avocate au sein du cabinet Morency, société d’avocats S.E.N.C.R.L.

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[1] Entreprises QMD inc. c. Ville de Montréal, 2021 QCCA 1775, par. 8.

ÉCRIT PAR :

Me Ann-Sophie Gagnon
Avocate au sein du cabinet Morency, société d’avocats S.E.N.C.R.L.