24 mai 2023
Dans cette chronique, nous commenterons un arrêt récent de la Cour d’appel du Québec portant sur les conséquences des fausses déclarations émises par un candidat dans le cadre du processus de pré-embauche. La Cour rappelle que malgré les protections conférées par la Charte des droits et libertés de la personne1 contre la discrimination, les omissions volontaires d’un candidat relativement à son état de santé suffisent à elles seules à justifier l’annulation d’une promesse d’embauche, lorsque cet élément s’avérait essentiel dans la détermination du consentement de l’employeur.
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En entrevue de pré-embauche, ce que le candidat ne divulgue pas lorsque confronté à une question en lien avec les aptitudes et les qualités requises pour l’emploi, puisque cette question serait potentiellement nuisible quant à ses chances d’obtenir l’emploi convoité, pourra être retenu contre lui. C’est du moins ce qui ressort de l’arrêt récent de la Cour d’appel dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (T.J.R.) c. Procureur général du Québec (Sûreté du Québec)2.
Sans proposer directement une analogie avec le principe consacré en droit criminel et pénal selon lequel « toute personne inculpée peut garder le silence, mais que tout ce qu’elle dira pourra et sera retenu contre elle », la Cour revisite néanmoins à cette occasion ses propres enseignements développés dix ans plus tôt dans l’affaire Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Cœur du Québec (SIIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières3, en ce qui a trait aux fausses déclarations à l’embauche.
Que ce soit dans le cadre d’un formulaire de demande d’emploi ou lors d’une entrevue relative à un emploi, mentionnons simplement que la Charte confère une protection au candidat en interdisant à l’employeur ou à ses représentants de requérir des renseignements portant sur un motif discriminatoire, notamment le handicap, cette notion incluant d’ailleurs toute prédisposition médicale. Une question à première vue discriminatoire peut toutefois être abordée par l’employeur si elle vise strictement à s’assurer que le candidat possède les aptitudes et les qualités requises afin d’exécuter les tâches qui lui sont confiées de manière sécuritaire pour lui et pour autrui. L’analyse constitue en quelque sorte un jeu d’équilibriste cherchant, d’une part, à prévenir à la source toute forme de discrimination à l’embauche et, d’autre part, à permettre à l’employeur de recruter en fonction des exigences inhérentes à l’emploi.
La jurisprudence établit nettement depuis l’affaire précitée Centre hospitalier régional de Trois-Rivières qu’une fausse déclaration à l’embauche est susceptible d’ébranler le lien de confiance pourtant essentiel entre un candidat et son futur employeur. Dans cette affaire, la Cour considère que les omissions du candidat sur sa dépendance à l’alcool, aux drogues et aux jeux se situaient au cœur de la cueillette d’information légitime de l’employeur qui, n’eut-été de ces omissions, n’aurait pas embauché le candidat. L’employeur était donc en droit de résilier l’engagement du salarié, le consentement de l’employeur au moment de la formation du contrat de travail étant irrémédiablement vicié.
Or, dans l’affaire récente Sûreté du Québec, la Cour franchit un pas de plus en justifiant l’annulation de la promesse d’embauche du salarié sur les seules omissions volontaires de ce dernier relativement à son état de santé qui pourtant, de l’aveu de l’employeur, n’empêchait aucunement la prestation de son travail en tant que policier. Ainsi, selon ce cadre d’analyse revisité, le seul fait pour le candidat de cacher la vérité sur un élément essentiel ayant déterminé le consentement de l’employeur suffit pour rompre après coup le contrat de travail ou la promesse d’embauche. L’employeur n’a donc pas à démontrer, qu’au surplus, la condition de santé du salarié sur laquelle portaient les omissions l’empêche de rencontrer les exigences de son emploi.
Bref, il ressort de ces enseignements récents de la Cour d’appel qu’il ne revient pas au candidat de juger de l’opportunité de répondre ou non à une question en apparence discriminatoire en retenant délibérément de l’information pertinente aux yeux de l’employeur. L’obligation d’agir de bonne foi et en toute transparence est fondamentale au stade de l’entrevue pré-embauche. Il ne s’agit cependant pas pour autant d’une aubaine à la disposition de l’employeur l’enjoignant à court-circuiter tous azimuts les protections conférées par la Charte. Au contraire, les questions que peut poser l’employeur doivent limitativement et en toute circonstance lui permettre de s’assurer que le candidat possède les aptitudes et les qualités requises afin d’exécuter conformément les tâches qui lui seront confiées.
Dans ce contexte et contrairement au droit de garder le silence caractérisé en matière criminelle et pénale, non seulement ce que le candidat dit, mais également ce qu’il omet de communiquer en entrevue de pré-embauche pourra être retenu contre lui.
[1] RLRQ, c. C-12.
[2] 2022 QCCA 1577.
[3] 2012 QCCA 1867.
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