L’été est souvent synonyme de détente et de moments conviviaux entre collègues. Qu’il s’agisse de BBQ, d’activités de renforcement d’équipe, de 5 à 7, de fêtes de quartier ou de soupers organisés par la municipalité, ces rassemblements ont tout pour renforcer la cohésion d’équipe et créer des souvenirs positifs. Si ces occasions favorisent la proximité et nous permettent de tisser des liens, elles ne sont pas pour autant exemptes de risques, et exigent une vigilance de la part de l’employeur quant à la prévention du harcèlement psychologique et sexuel.
La Loi sur les normes du travail1 (ci-après la « L.N.T ») définit le harcèlement psychologique ou sexuel comme une conduite vexatoire, c’est-à-dire abusive, humiliante ou blessante. Ces comportements se manifestent par des gestes, des paroles ou des attitudes qui sont répétés ou suffisamment graves pour avoir un effet durable, non désirés ou hostiles, et qui portent atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique de la personne. En outre, ces comportements rendent le milieu de travail néfaste.
Ces critères s’appliquent aussi bien aux comportements d’un supérieur hiérarchique qu’à ceux d’un collègue, d’un fournisseur ou d’un citoyen. De plus, une seule conduite grave peut suffire à établir l’existence de harcèlement si elle entraîne des conséquences durables pour la personne visée.
La violence à caractère sexuel, désormais intégrée à la Loi sur la santé et la sécurité du travail2, englobe toute forme d’inconduite à connotation sexuelle non désirée, qu’il s’agisse d’un geste, d’une remarque, d’un regard insistant ou de la diffusion d’un contenu inapproprié, y compris sur les plateformes numériques. Ce risque psychosocial inclut également les situations liées à la diversité sexuelle et de genre, ce qui souligne la nécessité d’une vigilance accrue dans tous les espaces professionnels.
Il est essentiel de comprendre que le milieu de travail ne se limite pas aux murs de l’organisation. Il comprend l’ensemble des lieux où un salarié se trouve dans le cadre de ses fonctions, y compris lors d’activités sociales ou professionnelles organisées, encouragées ou simplement tolérées par l’employeur. Cela inclut, par exemple, un 5 à 7 dans un restaurant après une journée de formation, une randonnée en forêt organisée par le club social, un BBQ familial tenu dans un parc municipal, un tournoi de golf de l’organisation, une activité de bénévolat d’équipe dans un centre communautaire, ou encore une réunion informelle tenue au chalet d’un superviseur. Même si ces événements ont lieu à l’extérieur des heures normales de travail ou dans un contexte plus détendu, les obligations de l’employeur en matière de prévention du harcèlement, de protection de la santé psychologique et physique, ainsi que de maintien d’un climat respectueux demeurent.
L’employeur a une obligation de moyens, ce qui signifie qu’il doit prendre toutes les mesures raisonnables pour prévenir le harcèlement, et intervenir rapidement, efficacement et de façon appropriée dès qu’une situation lui est signalée. Cette responsabilité, prévue à l’article 81.19 de la L.N.T, s’étend même aux gestes posés en dehors des heures et des lieux habituels de travail, dès lors qu’un lien suffisant avec le travail existe. À défaut d’agir, l’organisation peut être tenue responsable, même si l’employeur n’est pas l’auteur des faits reprochés.
En pratique, lorsqu’un employeur est informé d’une situation problématique, plusieurs interventions peuvent être prises pour faire cesser le harcèlement. Voici quelques exemples non exhaustifs de mesures possibles :
- Rencontrer rapidement les personnes impliquées afin de recueillir les faits, assurer un climat sécuritaire et amorcer la documentation du dossier.
- Mandater une firme d’enquête externe et impartiale.
- Prendre des mesures temporaires (ex. : changement d’équipe, suspension préventive, télétravail temporaire) afin de protéger la personne plaignante durant le processus.
- Appliquer des sanctions disciplinaires appropriées (avertissement, suspension, rétrogradation ou congédiement), en fonction de la gravité des faits confirmés au terme de l’enquête.
- Offrir un accompagnement psychologique, notamment via le programme d’aide aux employés
(PAE).
Par ailleurs, pour prévenir le harcèlement, notamment dans le cadre des activités sociales organisées par l’employeur, voici également quelques exemples non exhaustifs de bonnes pratiques à adopter :
- Rappeler les règles de conduite à l’avance et transmettre un message clair par courriel ou lors d’une réunion d’équipe avant l’événement (ex. : respect, comportement professionnel, tolérance zéro envers les propos déplacés ou comportements inappropriés).
- Limiter la consommation d’alcool ou encadrer sa distribution (ex. : billets de consommation, présence de personnel responsable, fin d’événement à heure fixe).
- S’assurer d’une supervision adéquate durant les événements : présence de gestionnaires, observation du climat, capacité d’intervenir rapidement en cas de problème.
- Nommer une personne-ressource clairement identifiée, vers qui les employés peuvent se tourner en toute confidentialité s’ils assistent à un comportement inapproprié.
- Tenir une rencontre après l’évènement pour évaluer si des préoccupations ont été soulevées et ajuster les pratiques au besoin.
- Former régulièrement les gestionnaires sur les comportements à surveiller et les interventions à adopter lors d’activités sociales.
Lorsqu’une plainte est déposée, que ce soit auprès de la CNESST ou dans le cadre d’un grief, le décideur procédera en deux temps. Il évaluera d’abord si les comportements dénoncés correspondent à du harcèlement, en appliquant le critère de la « personne raisonnable ». Si la conclusion est affirmative, il examinera ensuite si l’employeur a rempli ses obligations en matière de prévention et d’intervention. Même en présence de harcèlement, la plainte ou le grief pourrait être rejeté si l’employeur réussit à démontrer qu’il a agi avec sérieux et diligence, notamment en mettant en place des politiques claires, en intervenant rapidement et en assurant un suivi approprié.
Par ailleurs, il convient également de rappeler que, depuis le 27 septembre 20243, les employeurs sont tenus d’adopter une politique en matière de harcèlement psychologique et sexuel comportant des mesures précises relatives à l’offre de formation, au processus d’enquête ainsi qu’à la confidentialité des plaintes ou signalements. Cette politique devra être intégrée, d’ici le 6 octobre 2025 au plus tard, au programme de prévention (20 personnes salariées et plus) ou au plan d’action (moins de 20 personnes salariées) de l’établissement, conformément aux nouvelles dispositions réglementaires sur les mécanismes de prévention et de participation. De plus, l’identification des risques psychosociaux liés au travail devra désormais inclure la violence à caractère sexuel. En somme, les occasions festives peuvent être de véritables leviers de mobilisation pour les employés, à condition qu’elles s’inscrivent dans un cadre balisé et respectueux. En posant des gestes concrets en amont et en assurant une gestion rigoureuse des situations sensibles, il demeure possible d’organiser des événements réussis et sans compromis sur l’intégrité de chacun.
Par Me Carolane Pétrin, avocate
Morency Société d’avocats s.e.n.c.r.l.
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[1] RLRQ, c. N-1.1, art. 81.18.
[2] RLRQ, c. S-2.1.
[3] Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail, L.C. 2024, c.4.