À chacun sa licence

07 février 2024
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Ne s’improvise pas entrepreneur en construction qui veut et encore moins entrepreneur spécialisé. Les travaux de construction constituent un domaine fortement règlementé et il est essentiel pour les donneurs d’ouvrage de bien maîtriser les normes en matière de licence afin de correctement évaluer la conformité des soumissions qu’ils reçoivent.

Le 21 décembre dernier, la Cour d’appel du Québec a confirmé le jugement de première instance dans le dossier Société québécoise des infrastructures c. Action Projex inc.1 au sujet des travaux d’agrandissement et de réaménagement du palais de justice de Rimouski. Dans cette affaire, le deuxième plus bas soumissionnaire poursuivait le donneur d’ouvrage pour perte de profit en argumentant qu’il aurait dû se voir octroyer le contrat.

Au cœur du litige se trouvent les licences spécialisées détenues, ou plutôt non détenues, par le plus bas soumissionnaire. Les travaux visés par le litige sont de trois ordres : (1) l’installation d’ancrages au roc, (2) le forage dans le fond d’excavation d’un puits d’ascenseur et (3) l’installation d’une gaine d’acier dans ce même puits d’ascenseur. La prétention du donneur d’ouvrage est que la licence nécessaire pour ces travaux correspond à la sous-catégorie 2.5 « excavation et terrassement », licence détenue par l’entreprise s’étant vu octroyer le contrat. Le deuxième plus bas soumissionnaire prétend le contraire.

La Loi sur le bâtiment2 prévoit que « nul ne peut exercer les fonctions d’entrepreneur de construction, en prendre le titre, ni donner à croire qu’il est entrepreneur de construction, s’il n’est titulaire d’une licence en vigueur à cette fin »3. Effectuer des travaux soumis à cette obligation sans licence constitue une infraction pénale. Les entreprises doivent satisfaire une série de critères de compétence et de probité pour se voir octroyer une telle licence par la Régie du bâtiment. Les licences elles-mêmes comportent une série de sous-catégories correspondant à certains types de travaux afin de refléter le degré de spécialisation nécessaire pour effectuer ceux-ci correctement. Dans le cas de la sous-catégorie 2.5, celle-ci est ainsi définie :

« Sauf pour les travaux compris dans les sous-catégories 2.2 et 2.4 de l’annexe II, cette sous-catégorie autorise les travaux de construction qui concernent le creusage, le déplacement, le compactage, le nivelage de terre ou de matériaux granulaires y compris les travaux relatifs aux petits ouvrages d’art et les travaux de construction similaires ou connexes. »4

[nous soulignons]

Le tribunal siégeant en première instance conclut que la Société québécoise des infrastructures a commis une faute en octroyant le contrat à une entreprise ne détenant pas la licence appropriée. Il déclare que l’entreprise demanderesse était en réalité la plus basse soumissionnaire conforme et aurait dû se voir octroyer le contrat.

Le raisonnement du tribunal se fonde sur la notion de « travaux de construction similaires ou connexes ». Cette notion doit être interprétée avec souplesse afin de permettre aux entrepreneurs d’effectuer certains travaux intimement liés à ceux de leur sous-catégorie de licence5. Toutefois, les travaux en litige s’éloignaient trop des travaux de préparation du fond d’excavation pour constituer des travaux connexes :

« [48]        Les travaux d’ancrage au roc et de forage du puits d’ascenseur ne sont ni similaires ni connexes à ceux pour la préparation du fond d’excavation. Les premiers ne sont pas sous-jacents aux seconds ni de même nature. Ils ne sont pas non plus requis pour accroître leurs fonctionnalité, qualité ou pérennité. L’excavation n’est aucunement tributaire de la présence d’ancrages au roc et d’un puits d’ascenseur. En somme, il n’existe pas entre eux de lien étroit.

[49]        La notion de connexité n’obéit pas à un critère de proximité physique ou de commodité ni à une logique séquentielle. Il est vrai que les Travaux en litige s’insèrent entre les première et troisième étapes des travaux confiés à BML mais cela ne suffit pas pour conclure qu’ils sont connexes. Autrement, tous les travaux de construction d’un immeuble auraient le potentiel d’être connexes puisqu’ils s’imbriquent les uns dans les autres au fur et à mesure de leur exécution. »6

La Cour d’appel confirme l’interprétation du juge siégeant en première instance7. Elle affirme que pour qu’un soumissionnaire soit conforme, il « doit démontrer que chacun des travaux précis à effectuer est autorisé en vertu d’au moins une des licences d’entrepreneur spécialisé »8 soit en étant l’objet principal de la licence ou en se qualifiant de travail connexe ou similaire.

Cette affaire rappelle la nécessité de bien qualifier les travaux nécessaires à l’exécution du contrat afin de valider le type de licence nécessaire. Cette étape préliminaire est essentielle afin de correctement déterminer la conformité d’un soumissionnaire.


[1] 2023 QCCA 1629

[2] RLRQ, c. B-1.1

[3] Article 46 de la Loi sur le bâtiment, RLRQ, c. B-1.1

[4] Règlement sur la qualification professionnelle des entrepreneurs et des constructeurs-propriétaires, RLRQ, c. B-1.1, r.9, annexe III

[5] Action Progex inc. c. Société québécoise des infrastructures, 2023 QCCS 998, par. 29

[6] Action Progex inc. c. Société québécoise des infrastructures, 2023 QCCS 998, par. 48-49

[7] Paragraphe 10 de la décision de la Cour d’appel

[8] Paragraphe 12 de la décision de la Cour d’appel

ÉCRIT PAR :

Me Maryse Catellier Boulianne

Avocate chez Morency, Société d’avocats