Hausse des fortes pluies : comment se préparer à contester un éventuel recours?

05 septembre 2023
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Par Me Véronique Gendron
Avocate et directrice | Service des affaires litigieuses
Fonds d’assurance des municipalités du Québec

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Nul besoin d’être climatologue pour constater que l’été 2023 est sans doute l’un des pires en termes de phénomènes météorologiques majeurs. Que ce soit les feux de forêt ou les pluies torrentielles qui se sont abattues sur tout le Québec, Dame Nature a donné peu de répit aux Québécois au cours des derniers mois. Les fortes pluies plus fréquentes depuis déjà quelques années entraînent une hausse des sinistres causant des dommages lors d’infiltrations d’eau.

Évidemment, avec l’accroissement des pluies abondantes, les municipalités, gardiennes de leur réseau d’égout, sont plus à risque d’être poursuivies en dommages. Rappelons qu’à ce titre, les municipalités sont soumises au régime particulier de l’article 1465 C c Q, qui prévoit une présomption de faute du gardien du bien, l’obligeant à réparer le préjudice causé par le fait autonome de celui-ci, à moins qu’il ne prouve n’avoir commis aucune faute.

Afin de dégager leur responsabilité, les municipalités doivent démontrer qu’elles ont pris les moyens raisonnables pour empêcher la survenance de préjudices selon les circonstances ou encore démontrer que ceux-ci découlent d’une force majeure, définie à l’article 1470 C c Q, soit un évènement imprévisible et irrésistible.

La jurisprudence est abondante en cette matière, mais nous référerons aux principes établis dans deux arrêts majeurs sur la question. En 2008, dans l’affaire Dicaire c. Ville de Chambly, la Cour d’appel a rejeté une action collective qui portait sur les inondations de 1 723 résidences survenues lors de fortes pluies tombées les 14 et 15 juillet 1997. La Cour écarte la force majeure, mais détermine que les pluies étaient exceptionnelles.

La Cour adhère à la position commune des experts des parties, voulant que le réseau d’égout doive être conçu en fonction d’une intensité de pluie d’une période de récurrence de 5 ans, comme prévu à la Directive 004 entrée en vigueur le 25 octobre 1989. Comme l’indique le Tribunal, cette directive n’a pas force de loi. Toutefois, les tribunaux s’y réfèrent abondamment.

La Cour d’appel confirme la décision de la Cour supérieure en ce que Chambly n’a pas commis de faute et a pris les mesures adéquates et suffisantes pour éviter que le sinistre ne survienne; elle a bien conçu et entretenu son réseau, telle une municipalité prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances. La Cour indique qu’il faut éviter de se demander ce que l’administration aurait pu faire de façon rétrospective.

En 2015, la Cour d’appel dans l’affaire Québec (Ville de) c  Équipements Emu ltée, condamne la Ville à titre de gardienne de son réseau, suivant quatre inondations survenues entre 2003 et 2005, lors de pluies variant en quantité et en intensité. La Cour d’appel maintient la décision de la Cour supérieure. Elle confirme qu’il ne s’agit pas de cas de force majeure et conclut que la Ville a autorisé fautivement l’urbanisation du bassin versant de la rivière Lorette, dans le secteur des Méandres, puisque la Ville était avisée des problèmes portant sur l’inondation, l’urbanisation, l’érosion et la protection des berges.

Au cours des dernières années, les tribunaux ont maintenu les principes ressortis des décisions Chambly et Équipements Ému.

À la lumière de ces arrêts, on constate que les agissements des municipalités sont scrutés à la loupe, lors de l’analyse d’une potentielle faute. Mieux vaut prévenir que guérir!

Comment bien se préparer à contester une éventuelle poursuite?

La municipalité n’a pas à agir parfaitement, mais doit malgré tout être prudente. Voici quelques suggestions :

À l’égard des citoyens

  • En amont d’une forte pluie, il est conseillé de rester en contact avec la population, afin de l’aviser de mesures préventives à prendre.
  • Encourager les citoyens à être diligents, à vérifier l’état de leur pompe submersible, le fonctionnement des batteries, le nettoyage des clapets.
  • Prévoir des mesures d’intervention rapides et efficaces en cas de refoulement, afin de limiter les dommages.

À l’égard de votre réseau

  • Bien connaître votre réseau et le documenter.
  • De façon régulière, procéder au nettoyage des conduites pluviales et sanitaires, afin d’éviter l’accumulation de dépôts dans certains branchements et ainsi assurer un bon écoulement des eaux.
  • Effectuer des rondes fréquentes des stations de pompage et assurer leur bon fonctionnement. Prévoir une solution de rechange en cas de perte d’électricité, telle l’installation de génératrices.
  • Réaliser des inspections régulières de votre réseau et corriger rapidement les déficiences majeures constatées ou encore soulevées par un citoyen.
  • Établir et renouveler votre plan d’intervention pour le renouvellement des conduites d’eau potable, d’égouts et des chaussées (PTI). Idéalement, porter une attention aux travaux à prioriser.
  • Prévoir une urbanisation responsable et consciencieuse de la capacité de drainage d’un secteur en développement.
  • Documenter et bien archiver vos interventions et celles de vos sous-traitants, afin de permettre une démonstration claire des efforts déployés à l’entretien du réseau.
  • Tenir un registre des plaintes des citoyens.

En conclusion, plus les efforts seront réguliers et bien documentés, plus il sera aisé de démontrer la diligence d’une municipalité. Évidemment, ces mesures varient selon les limites budgétaires, le personnel et l’équipement dont la municipalité dispose. De ce fait, les municipalités doivent agir prudemment dans le cadre de la conception et de l’entretien de leurs réseaux de drainage et lors de l’émission de permis de construction, afin de prévoir une urbanisation contrôlée. Les municipalités doivent poursuivre leurs efforts dans l’élaboration de bonnes mesures à prendre en situation de crise, afin d’assurer la sécurité des citoyens et limiter les dommages lors de tels événements.