Protection des milieux naturels - le législateur intervient pour protéger les municipalités de l'expropriation déguisée

03 décembre 2024
milieu naturel

Nous avons eu l’occasion, dans les dernières années, de traiter de la protection des milieux naturels par les municipalités et de la problématique de l’expropriation déguisée. La présente chronique traite de la récente intervention du législateur québécois qui ramène les pendules à l’heure, permettant d’espérer une embellie dans un ciel qui s’était passablement obscurci au cours des trois dernières années en raison de décisions malheureuses de nos tribunaux. Nous faisons le point sur l’état de la situation.

Un historique jurisprudentiel houleux

On reconnaîtra que les tribunaux ont soufflé le chaud et le froid sur les enjeux de protection de l’environnement par les municipalités au cours des dernières années.

Au cours des deux premières décennies du présent millénaire, les tribunaux avaient eu l’occasion d’affirmer sans ambages le rôle de « fiduciaire de l’environnement » assumé par les municipalités et de souligner comment celles-ci n’échappaient pas à cette responsabilité grandissante les appelant à prendre en charge la protection de l’environnement sur leur territoire.

Une bataille judiciaire devait cependant s’engager sur l’enjeu plus spécifique de la protection des milieux naturels, en particulier les milieux boisés et les milieux humides. Un vent contraire s’est levé contre les municipalités avec l’arrêt Dupras1, rendu en mars 2022. Dès lors, les choses devaient aller de mal en pis pour les municipalités, les décisions judiciaires s’accumulant en leur défaveur. Le dernier espoir de renverser la tendance devait s’éteindre à la suite de la décision de la Cour supérieure, au mois de mars 2023, dans le dossier de la protection du boisé des Hirondelles (bdH), à Saint-Bruno-de-Montarville. Dans cette affaire, la Ville de Saint-Bruno-de-Montarville avait bon espoir de convaincre le Tribunal que le pouvoir réglementaire lui permettant de « prohiber tous les usages, activités, ouvrages ou constructions » pour des raisons de « protection de l’environnement » qui se trouve à l’article 113 (16°) de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU) lui permettait d’assurer la protection du bdH sans que cela constitue de l’expropriation déguisée. Le juge de la Cour supérieure ne vit pas les choses du même œil et conclut que la réglementation de la Ville constitue de l’expropriation déguisée2.

Évidemment, la Ville de Saint-Bruno-de-Montarville n’allait pas en rester là et l’affaire fut portée en appel. Quoi qu’il dût advenir du sort de cet appel, le monde municipal était néanmoins sous le choc. À l’aube de devoir mettre en oeuvre les fameux plans régionaux des milieux humides et hydriques (PRMHH), il y avait péril en la demeure si, suivant ces récentes décisions de nos tribunaux, la protection des milieux humides identifiés aux PRMHH devait faire l’objet d’une acquisition systématique par les municipalités. À défaut de quoi, ces dernières se verraient alors menacées de poursuites en expropriation déguisée dont les valeurs auraient dépassé plusieurs millions de dollars. Une intervention du législateur était requise et attendue…

Le législateur intervient pour ramener les pendules à l’heure

Le 8 décembre 2023, l’Assemblée nationale a ainsi adopté la Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives (L. Q. 2023, c. 33), qui modifie notamment la LAU, en y ajoutant les articles 245 à 245.6.

Résumé à l’essentiel, dans le cadre de la présente chronique, l’article 245 LAU détermine les critères selon lesquels une municipalité sera dispensée de payer une indemnité en expropriation déguisée, aux termes de l’article 952 du Code civil du Québec3, en raison de l’adoption d’une règlementation restrictive visant la protection de milieux humides ou hydriques, de même que d’autres milieux naturels présentant une
« valeur écologique importante ».

En raison de son caractère « déclaratoire », cet article 245 s’applique autant pour le futur que pour les dossiers devant les tribunaux au moment de son adoption, comme le dossier du bdH, alors pendant devant la Cour d’appel.

Le 18 juin 2024, la Cour d’appel du Québec rend son arrêt dans ce dossier et casse en partie le jugement de première instance, en indiquant qu’il est évident que l’article 245 LAU « vient changer radicalement la donne en appel »4. Le dossier est donc renvoyé devant la Cour supérieure afin que le juge de première instance puisse réévaluer le dossier, sous le prisme du nouvel article 245 LAU, pour déterminer si la règlementation de la Ville vise la protection d’un milieu naturel « qui a une valeur écologique importante », ce qui éviterait à la Ville d’avoir à verser une indemnité d’expropriation.

Dans le contexte de la crise de la biodiversité qui sévit actuellement et suivant les engagements internationaux en faveur de la protection de 30 % des territoires nationaux d’ici 2030, une telle protection législative est certainement bienvenue. Les municipalités respireront également plus librement pour mettre en œuvre le PRMHH s’appliquant sur leur territoire.

Cela dit, la bataille judiciaire n’est pas terminée pour autant, puisqu’il y a encore lieu de voir comment les tribunaux interpréteront l’article 245 LAU et la notion de « valeur écologique importante ». Déjà, les avocats des promoteurs immobiliers tentent d’en minimiser la portée, cette disposition étant destinée, selon eux, à s’appliquer seulement dans des situations « rarissimes et exceptionnelles ».

Nous aurons certainement l’occasion de revenir sur ce sujet dans un prochain numéro de QUORUM.

1Dupras c. Ville de Mascouche, 2020 QCCS 2538.
2Sommet Prestige Canada inc. c. Ville de Saint-Bruno-de-Montarville, 2023 QCCS 676.
3L’article 952 C.c.Q. prévoit : « Le propriétaire ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est par voie d’expropriation faite suivant la loi pour une cause d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité. » Cet article constitue le fondement des recours pour expropriation déguisée.
4Ville de Saint-Bruno-de-Montarville c. Sommet Prestige Canada inc., 2024 QCCA 804, par. 26.

*Me Jean-François Girard est avocat spécialisé en droit de l’environnement et en droit municipal chez DHC Avocats. Il est membre honoraire du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE).