30 mars 2022
Qui aurait cru un jour que l’Estrie et la Gaspésie allaient vivre un problème similaire de pénurie de logements? Longtemps l’apanage des grands centres urbains, la rareté de logements touche maintenant de nombreuses régions du Québec. De Percé à Farnham, les réalités qui autrefois étaient bien différentes au chapitre du logement se sont rapprochées avec pour principal vecteur la pandémie.
Les données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) le démontrent d’ailleurs clairement. Les migrations interrégionales ont été plus nombreuses en 2020-2021 qu’au cours des années précédentes. Entre le 1er juillet 2020 et le 1er juillet 2021, 232 000 personnes ont changé de région administrative pour aller s’établir hors des grands centres.
Les grandes gagnantes de ces mouvements migratoires sont les régions des Laurentides, de Lanaudière, de l’Estrie, de la Mauricie, du Centre-duQuébec, de Chaudière-Appalaches, de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, du Bas-Saint-Laurent et du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Pendant que Montréal et Laval enregistraient ensemble une baisse de population de 50 000 personnes, ces régions voyaient leur solde migratoire s’accroître de façon notable.
Selon l’ISQ, une certaine tendance avait commencé à se dessiner au cours des dernières années, mais elle s’est amplifiée depuis la dernière année. Bien que positive pour les régions qui travaillent d’arrache-pied pour attirer des gens sur leur territoire, cette nouvelle réalité occasionne des pénuries de logements importantes.
Un engouement pour Brome-Missisquoi
C’est le cas de la MRC de Brome-Missisquoi. Des neuf MRC qui composent la région de l’Estrie, elle est celle qui a connu la plus forte hausse de population en 2020-2021. Avantageusement située à 45 minutes de Montréal, elle a accueilli plus du quart des nouveaux arrivants de la région, soit 2 414 personnes sur 8 554. La demande en logements est devenue criante.
Le préfet, M. Patrick Melchior, assure qu’il ne reçoit pas moins que trois appels par semaine de citoyens à la recherche d’un logement. « La pandémie a accéléré la demande pour Brome-Missisquoi. On sentait déjà un certain engouement depuis quelques années, mais il s’est clairement accentué avec la pandémie et le télétravail. »
Farnham, la municipalité dirigée par le préfet de la MRC de Brome-Missisquoi, est l’une de celles qui bénéficie le plus de cette croissance, après Cowansville et Bromont. Pas moins de 14 projets résidentiels sont en cours de construction pour un total de plus de 500 nouveaux logements dans la municipalité qui vient de franchir le cap des 10 000 habitants.
« Il y a aussi beaucoup de projets de construction de logements, mais il y a peu de logements à prix abordable, se désole le préfet en évoquant la problématique du coût du logement. Ce n’est pas tout le monde qui a les moyens de payer 1200 $ pour un 4 ½. Juste à Farnham, le rôle d’évaluation a augmenté de 19 % cette année, ce qui occasionne une flambée des prix. »
« C’est beau les logements, mais si ce ne sont pas des logements abordables, on ne règle pas le problème, poursuit-il. Nos entreprises cherchent des travailleurs, mais ce ne sont pas tous des emplois à 100 000 $ par année. Ça prend des logements à prix raisonnable pour accommoder ces travailleurs. »
Le préfet est fier de dire que deux des immeubles en construction visent à offrir des logements à un coût raisonnable. « Il y a de l’aide qui provient de la Société d’hypothèque et de logement du Canada, il a des subventions disponibles, mais les promoteurs ne sont pas au fait de ces programmes et le processus leur apparaît très complexe. Nous devons les informer et les accompagner au besoin. C’est grâce à ces aides financières qu’il sera possible d’avoir des logements plus abordables. »
Un attrait grandissant pour la Gaspésie
Mille kilomètres à l’Est, la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine vit une situation similaire. En 2020-2021, elle est devenue la quatrième région au Québec à connaître la plus forte progression de sa population avec 1 378 nouveaux arrivants, le double de l’année précédente.
« La pandémie et le télétravail ont amené des familles à vouloir s’installer et travailler ici, se réjouit le préfet de la MRC du Rocher-Percé, M. Samuel Parisé. On devient de plus en plus populaire. La situation a complètement changé en 20 ans. Au début des années 2000, on entendait parler que de fermetures, et aujourd’hui, la pénurie de logements est sur toutes les lèvres. »
« Les maisons à vendre qui hier ne trouvaient pas preneurs sont maintenant rares sur le marché et elles se vendent à des prix élevés, relate-t-il. Notre économie s’est aussi beaucoup diversifiée. On connaît un gros regain, et nous prenons les moyens pour être en mesure d’accueillir tout le monde. »
Élu en novembre 2021, le nouveau préfet de 24 ans s’inscrit sans réserve dans la démarche amorcée par sa prédécesseure, Mme Nadia Minassian, qui en avait fait une priorité régionale. En mai 2021, le Regroupement des MRC de la Gaspésie qu’elle présidait avait annoncé l’injection d’une somme de 1 M$ pour stimuler la construction de logements locatifs, un montant que les élus·es ont doublé sept mois plus tard. Ainsi, les 2 M$ seront répartis à parts égales entre les 5 MRC de la région.
Cette décision se basait sur une étude réalisée au printemps 2021 auprès de 400 nouveaux arrivants par le Centre d’initiation à la recherche et d’aide au développement durable qui dressait des constats préoccupants.
Parmi ceux-ci, notons le taux d’inoccupation de 0 % dans quatre des cinq municipalités de 2 500 à 10 000 habitants de la région, le fait que près de 15 % des locataires sont forcés de quitter leur logement pour la période estivale et que près de la moitié des nouveaux arrivants ont trouvé un logement par le bouche-à-oreille. Aussi, le coût par porte d’une nouvelle construction en Gaspésie serait de 20 000 $ à 25 000 $ plus élevé qu’ailleurs au Québec.
« Il y a malheureusement des gens présentement qui veulent venir vivre en Gaspésie, mais qui doivent mettre leur projet sur pause parce qu’il ne trouve pas de logement. Nous avons besoin d’au moins 100 nouveaux logements dans la MRC, affirme-t-il en prenant soin de spécifier que la demande est pour des logements annuels et non pour des saisonniers. Je connais des gens qui sont obligés de quitter l’été parce que leur logement est loué pour la saison. Si l’on veut avoir des gens à temps plein, on a besoin de logements à temps plein. »
En 2020-2021, 232 nouvelles personnes se sont établies dans la MRC du Rocher-Percé, comparativement à 54 l’année précédente. Le logement est devenu un enjeu économique et social de premier plan dans une région qui cherche à recruter de la main-d’œuvre pour ses entreprises.
De l’aide financière pour les nouveaux logements
Pour être en mesure de répondre à la demande, la MRC a lancé un appel d’offres en décembre 2021 afin d’accroître le nombre de logements locatifs annuels disponibles sur son territoire. Les projets admissibles, qu’il s’agisse d’une nouvelle construction ou de la transformation d’un bâtiment existant à des fins résidentielles annuelles, pourront profiter d’une subvention pouvant aller jusqu’à 100 000 $.
Le préfet de la MRC de Brome-Missisquoi est bien au fait de la situation de la Gaspésie, étant lui-même propriétaire d’une résidence à Cap-Chat, dans la MRC de La Haute-Gaspésie. « C’était une ville dévitalisée il y a quelques années, et aujourd’hui, elle est en train de reprendre vie. La problématique du logement est devenue panquébécoise », ajoute M. Melchior.
« S’il y a un chaînon manquant, ça ne fonctionne pas. Si quelqu’un ne peut pas louer un logement parce qu’il est trop cher, si l’entrepreneur ne trouve pas d’employés parce que les loyers sont trop chers ou inexistants, personne n’est gagnant. Il y a une partie de la solution partout. On ne veut pas juste mettre un diachylon sur le problème, on veut une solution pérenne. C’est en travaillant ensemble qu’on va y arriver. » – M. Patrick Melchior, préfet de la MRC de Brome-Missisquoi
Un guide pour les nouveaux arrivants
De son côté, la MRC de Brome-Missisquoi a lancé un guide à l’intention des nouveaux arrivants ainsi qu’un coffre à outils pour l’accès au logement. Dès le début de 2022, le préfet compte réunir les élus·es et tous les acteurs de la région pour travailler ensemble à trouver des solutions.
« L’important, ce n’est pas d’avoir 10 comités qui travaillent sur une solution, c’est d’avoir un comité qui travaille sur toutes les solutions, assure-t-il. C’est en travaillant ensemble qu’on va trouver des solutions. Nous devons travailler avec les organismes communautaires au fait des problèmes de logement, ainsi qu’avec les entrepreneurs et les promoteurs qui doivent être conscients des réalités de l’un et l’autre. C’est aussi avec de l’aide financière aux promoteurs que nous allons y arriver. »
Le préfet compare l’exercice à une chaîne. « S’il y a un chaînon manquant, ça ne fonctionne pas. Si quelqu’un ne peut pas louer un logement parce qu’il est trop cher, si l’entrepreneur ne trouve pas d’employés parce que les loyers sont trop chers ou inexistants, personne n’est gagnant. Il y a une partie de la solution partout. On ne veut pas juste mettre un diachylon sur le problème, on veut une solution pérenne. C’est en travaillant ensemble qu’on va y arriver. »
Un enjeu devenu prioritaire
Pour y arriver ensemble, la FQM a adapté son offre afin de bien accompagner ses membres à relever le défi du logement et de l’habitation qui s’est accentué avec l’arrivée de la pandémie et l’obligation du télétravail.
À la mi-janvier 2022, la FQM a réuni des élus·es, des directeurs généraux et des coordonnateurs pour discuter des enjeux du logement. Parmi eux se trouvaient des représentants du Regroupement des MRC de la Gaspésie ainsi que des MRC de Brome-Missisquoi, de Coaticook, de la Nouvelle-Beauce, de Robert-Cliche, des Chenaux, et de La Vallée-de-la-Gatineau.
Différents enjeux ont aussi été soulevés, mais l’objectif premier était de valider les demandes budgétaires de la FQM en vue du budget 2022- 2023 du gouvernement du Québec et de réfléchir à d’autres pistes de solutions pour accompagner les milieux dans le développement d’une offre de logements adaptés à leurs besoins.
La rencontre a été à ce point fructueuse que les participants ont décidé de poursuivre leurs réflexions et de former un groupe de travail qu’il a été convenu d’appeler le Comité sur les enjeux de l’habitation et du logement.
Les demandes budgétaires de la FQM
Au nombre des demandes budgétaires de la FQM, le développement de l’habitation figure au rang des priorités.
Dans ce contexte, la Fédération est d’avis que le nouveau Plan d’action en habitation du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH) devrait être un levier pour consolider le partage des responsabilités entre les différentes instances gouvernementales et le milieu municipal, reconnu en tant que gouvernements de proximité.
Doté d’une enveloppe de 200 M$, ce programme annoncé en décembre 2021 par la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation vise à soutenir le développement de l’offre de logements abordables.
Il s’inscrit dans une nouvelle approche de partenariat en élaboration par le MAMH visant à doter le gouvernement du Québec d’un nouveau Plan d’action en matière d’habitation dont les objectifs viseront à mieux répondre aux besoins des populations ainsi qu’à assurer une meilleure coordination, cohérence et synergie des interventions, tout en favorisant la concertation des acteurs impliqués dans le secteur de l’habitation.
100 M$ supplémentaires
Dans une visée structurante à long terme, la MRC est l’échelle pertinente pour la planification stratégique des besoins en matière d’habitation. En ce sens, la FQM est d’avis que ces 200 M$ seront vite épuisés devant l’importance des besoins et demande l’ajout d’au moins 100 M$ afin de se donner collectivement les moyens et l’agilité nécessaires pour répondre à la crise du logement actuelle.
À l’instar de la Gaspésie et de la MRC de Brome-Missisquoi, plusieurs régions et MRC ont fait de l’accès à la propriété et du logement locatif une priorité. Certaines se sont même dotées d’une politique ou d’une stratégie sur l’habitation. La FQM croit que ces initiatives devraient être favorisées et soutenues pour assurer la cohérence des interventions.
Elle recommande que soit prévue une enveloppe de 4,5 M$ pour soutenir les démarches d’élaboration de politiques d’habitation à l’échelle des MRC. Concrètement, la proposition de la Fédération vise un soutien financier de 50 000 $ par MRC afin que soit mis à jour l’état de la situation de l’habitation fait par le ministère avant l’arrivée de la pandémie et que soit analysée la tendance migratoire vers les régions remarquée depuis deux ans.
Un état de situation à jour permettrait à chaque MRC et municipalité de se doter d’une politique de développement de l’habitation adaptée à sa réalité et à sa stratégie d’attractivité, assurant ainsi une meilleure synergie des interventions tout en favorisant la concertation des acteurs impliqués dans le secteur de l’habitation.
Appuyer les initiatives novatrices
La pénurie de logements est devenue un cercle vicieux auquel s’ajoute la pénurie de main-d’œuvre. Pendant que les entreprises et les municipalités redoublent d’efforts pour attirer de nouveaux travailleurs, la recherche de logements en région s’est transformée en véritable parcours du combattant. L’offre d’habitation et de logements locatifs est quasiment nulle dans les petites localités.
La FQM recommande ainsi que soit mis en place un Fonds de soutien aux initiatives novatrices afin que puisse être développée une offre de logements locatifs diversifiée et adaptée, notamment aux petits milieux où la construction d’immeubles d’habitation de logements locatifs conventionnels n’est pas une option.
Inspirée de l’initiative du Regroupement des MRC de la Gaspésie, la FQM recommande que soit mis en place un Fonds de soutien aux initiatives novatrices et aux expérimentations en matière d’habitation, avec une enveloppe de 1 M$ réservée par région administrative.
Soutenir les ménages à faible revenu
Une actualisation des seuils d’admissibilité des ménages à faible revenu aux différents programmes d’aide au logement de la Société d’habitation du Québec (SHQ) est urgente.
La hausse du coût de la vie, qui atteint des sommets depuis les 30 dernières années avec une inflation à 4,8 % en décembre 2021 selon Statistique Canada, affecte plus durement les ménages à faible et à modeste revenu. Parallèlement, la hausse importante du prix des loyers, accélérée par la crise du logement et la généralisation du télétravail depuis le début de la pandémie, a accentué la pression sur de trop nombreux ménages concernant la part de leurs revenus consacrée au logement.
La FQM demande que soit revu à la hausse le plafond de revenu des ménages les rendant admissibles aux différents programmes de soutien au logement de la SHQ. La réalité socioéconomique par territoire de MRC et l’offre de logements abordables et disponibles pourraient aussi être prises en compte dans l’analyse de l’admissibilité du ménage.
Reconduction et bonification du programme RénoRégion
Programme apprécié et important pour maintenir un parc immobilier de qualité dans les régions du Québec, le programme RénoRégion prendra fin le 31 mars 2022. De l’avis de tous, il doit incontestablement être reconduit et majoré de façon significative afin que soit prise en considération l’augmentation importante des coûts de la construction liée à la hausse des coûts des matériaux. De plus, la révision des surcoûts selon les régions doit être actualisée.
La FQM recommande la reconduction du programme RénoRégion avec une majoration significative de son enveloppe afin que soit pris en considération l’augmentation importante des coûts de la construction ainsi que les surcoûts selon une évaluation par région.
La Fédération recommande que les sommes soient confirmées pour les 3 prochaines années afin de faciliter la planification et la gestion du programme par les mandataires que sont les MRC.
Enfin, la FQM recommande à nouveau que soit mis en place un comité FQM-Société d’habitation du Québec afin de revoir les critères de répartition des sommes du programme RénoRégion entre les MRC ainsi que ses critères d’admissibilité, afin qu’il réponde davantage aux besoins des citoyens des MRC concernées.
Parue dans le magazine Quorum, Vol. 47 No 1, mars 2022, pages 45 à 49