4 mai 2022
« [U]ne poutine », les appelantes écrivent-elles dans leur mémoire, « n’est pas meilleure pour la santé parce qu’elle […] est servie à table dans une assiette de porcelaine »1. La poutine, et plus généralement la malbouffe, était au cœur d’un important débat portant sur le pouvoir des municipalités de réglementer la malbouffe par le biais de la réglementation d’urbanisme.
Le 4 mars dernier, en refusant d’entendre l’appel des établissements de restauration rapide, la Cour suprême du Canada mettait heureusement fin à ce débat et confirmait un important arrêt de la Cour d’appel à ce sujet.
Concrètement, le débat concernait le règlement de zonage adopté par l’arrondissement Côte-des-Neiges/Notre-Dame-de-Grâce qui limitait l’implantation d’établissements de type « restaurant rapide » sur son territoire. Selon le nouveau règlement, seuls trois (3) secteurs de l’arrondissement permettaient l’implantation de ce type d’établissements.
L’usage ainsi limité était défini comme suit : « établissement de restaurant dont les aliments sont servis majoritairement dans des contenants, emballages ou assiettes jetables, lorsqu’ils sont consommés sur place et où il n’y a aucun service aux tables ».
Plusieurs établissements de restauration rapide contestaient la légalité du règlement (St-Hubert, McDonald, A&W, etc.) en alléguant principalement qu’il ne constituait pas un « exercice valide du pouvoir de zoner » et, subsidiairement, que les dispositions du règlement étaient « à la fois discriminatoires et irrationnelles », en plus d’être imprécises. La Cour d’appel rejette l’ensemble de ces arguments.
Tout d’abord, sur le pouvoir de zoner, la Cour rappelle que l’article 113 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme permettait à l’arrondissement de déterminer dans quelles parties du territoire pourraient être exercées certaines activités ayant des caractéristiques communes. En effet, selon la Cour, il existe bel et bien une différence entre les établissements de restauration rapide et les autres types de restaurants :
« [33] (…) De la même manière que l’on conviendra aisément que la vente en gros constitue une activité commerciale présentant une spécificité telle qu’on peut la distinguer de la vente au détail, que les bars offrant des spectacles de danse pratiquent une activité commerciale différente de celle des bars offrant des spectacles érotiques, ou encore que l’exploitation d’un poste d’essence avec service diffère de l’exploitation d’un poste d’essence sans service, il est permis de concevoir la restauration rapide comme une activité commerciale présentant des caractéristiques qui lui sont propres.
[34] Or, déterminer sur quelle partie du territoire une activité donnée peut être exercée est l’une des composantes clés du pouvoir de zoner que l’article 113 L.a.u. confère aux municipalités québécoises ».
Également, la Cour retient que les dispositions en cause avaient également pour effet de promouvoir de saines habitudes de vie et de protéger l’environnement. Or, la prise en considération de ces enjeux importants ne constituait pas un détournement du pouvoir de zoner, puisque la jurisprudence reconnaît que « les règlements municipaux font souvent intervenir toute une gamme de considérations non juridiques, notamment sur les plans social, économique et politique »2. Bref, l’arrondissement était tout à fait justifié d’analyser les impacts de la malbouffe dans sa prise de décision urbanistique.
En ce qui concerne l’argument fondé sur la discrimination, les établissements de restauration rapide plaidaient qu’il était discriminatoire de traiter différemment leur type de restaurant des autres établissements étant donné que l’impact sur le territoire serait similaire. Or, la Cour d’appel considère à nouveau qu’il n’est pas déraisonnable, pour un arrondissement, de considérer que la restauration rapide constitue une activité ayant des caractéristiques qui lui sont propres et nécessite une utilisation différente du territoire.
De même, la Cour conclut que les dispositions ne sont pas irrationnelles, contrairement à ce que plaidaient les établissements de restauration rapide. En effet, même si des restaurants de type « restauration rapide » peuvent offrir une nourriture saine et diversifiée, ces établissements constituent l’exception et non la règle. Selon la Cour, « il est de connaissance judiciaire que la plupart de ces établissements offrent principalement de la nourriture et des boissons dont la valeur nutritive est généralement faible et dont la consommation régulière contribue à augmenter le risque d’obésité et d’autres problèmes de santé »3. Ainsi, le lien que fait l’arrondissement entre ces établissements et les problèmes alimentaires causés par ceux-ci n’est pas irrationnel.
Finalement, les dispositions ne sont pas imprécises et la Cour doit faire preuve de déférence envers le Conseil municipal qui est le meilleur pour juger les normes à adopter en considération des motifs d’ordre économique et social.
Cette victoire de la Ville de Montréal permettra donc aux municipalités d’adopter des règlements municipaux ayant pour objectif de limiter la présence d’établissements de restauration rapide sur le territoire afin d’atteindre des objectifs divers, comme la promotion de saines habitudes de vie ou encore la protection de l’environnement.
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[1] Restaurants Canada c. Ville de Montréal, 2021 QCCA 1639, para. 45.
[2] Paragraphe 38
[3] Paragraphe 46
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