Pour une refonte complète du système de santé – Entretien avec Claire Bolduc

01 mars 2023
Mme Claire Bolduc

1 mars 2023

Dans le cadre du 80e Congrès de la Fédération québécoise des municipalités (FQM), l’assemblée générale annuelle (AGA) a adopté une résolution présentée par la commission permanente du développement social et communautaire, de la culture et de la démocratie demandant au gouvernement de procéder à une réforme complète du système de santé afin de rendre l’offre de services disponible sur l’ensemble du territoire habité du Québec.

Pour en savoir plus, nous nous sommes entretenus avec Mme Claire Bolduc, préfète de la MRC de
Témiscamingue et présidente de cette commission.

POURQUOI EST-CE QUE LE SYSTÈME ACTUEL NE FONCTIONNE PAS POUR LES RÉGIONS?

« Le gouvernement réfléchit seulement en termes de nombre d’habitants et non relativement au territoire habité. L’offre de services doit être pensée en fonction du fait que des gens habitent le territoire. C’est la philosophie derrière la résolution qui a été adoptée à l’AGA à la suite de la discussion qui a eu lieu dans le cadre du dernier Congrès. Les élus·es, les travailleurs et les retraités du milieu de la santé sont venus témoigner de la grande complexité d’obtenir des services en région.

On ne demande pas qu’il y ait un institut de cardiologie dans chaque territoire d’une MRC, bien sûr. Mais on doit penser les soins selon les besoins locaux. Le gouvernement a un devoir de répartir les ressources médicales en fonction des territoires à desservir. Un territoire sans médecin, ce n’est pas normal.

On a besoin d’hôpitaux oui, mais tout ce qui est fait en amont — la prévention, les soins paramédicaux, etc. — est extrêmement important aussi et devrait être priorisé pour éviter le plus possible que les gens aient à se rendre à l’hôpital. »

CONSIDÉREZ-VOUS QUE LE GOUVERNEMENT MET TROP L’ACCENT SUR LES HÔPITAUX?

« Oui, les soins de santé et de services sociaux ne devraient pas tous se donner à l’hôpital ou en lien avec un hôpital. Ce modèle centré sur les hôpitaux est dû au trop grand contrôle qu’ont les médecins sur le système. Les autres intervenants ont perdu leur influence, leur pouvoir, au profit des médecins, et le réseau s’est affaibli. Évidemment, ce phénomène est plus évident en région parce qu’il y a moins de médecins, donc l’ensemble du système s’effondre. Il est absolument essentiel de revoir le fonctionnement du réseau de fond en comble pour utiliser l’ensemble des compétences présentes dans le réseau de façon efficace.

Le cas des infirmières praticiennes spécialisées (IPS) est flagrant. En Ontario, elles sont très efficaces parce qu’on les laisse prodiguer des soins (dans la limite de leurs compétences), alors qu’au Québec, on ne les voit presque pas parce que les médecins ont la mainmise sur les soins. C’est la même situation pour beaucoup d’autres professionnels qui n’ont pas les moyens d’exercer leur métier de façon optimale parce que les décideurs du réseau ne le leur permettent pas.

Les soins de santé, ce n’est pas répondre aux besoins des médecins, c’est répondre aux besoins de la population, peu importe où elle se trouve sur le territoire. On a besoin d’eux, mais il faut faire mieux. Les  ordres professionnels ont aussi un bout de chemin à faire; ils doivent laisser plus d’autonomie aux professionnels et relâcher les normes. »

VOUS AVEZ MENTIONNÉ QU’UNE DÉCENTRALISATION DU SYSTÈME EST PRIMORDIALE POUR ASSURER LES SERVICES EN RÉGION. COMMENT CELA SE TRADUIT-IL CONCRÈTEMENT SELON VOUS?

« Actuellement, les gens qui sont appelés à prendre des décisions sont à 300-400 km des territoires qu’ils administrent. C’est comme si le réseau de Québec était géré par Montréal, personne n’accepterait ça! C’est la même chose pour les régions qui doivent attendre que le PDG du CIUSSS prenne des décisions pour elles alors qu’il n’est pas au courant de leur réalité.

Si un problème survient avec un médecin et que ça prend des jours, voire des semaines au gestionnaire à aller prendre état de la situation, le médecin va tout simplement partir. On perd les médecins qui acceptent d’aller travailler en région pour des histoires de bureaucratie.

Ça prend absolument une capacité d’agir et de décider localement. Les régions ont besoin de gestionnaires locaux qui ont les moyens de prendre des décisions pour les besoins de leurs communautés et de les mettre en application selon les réalités du territoire. Ces gestionnaires doivent avoir la légitimité nécessaire ainsi que les moyens financiers, organisationnels et légaux de mener à bien les objectifs du gouvernement. »

EST-CE QUE LES MUNICIPALITÉS ET MRC DEVRAIENT AVOIR PLUS DE POUVOIRS EN MATIÈRE DE SANTÉ?

« La capacité d’agir des MRC touche les infrastructures, les activités, les programmes, mais on n’embauche pas de professionnels. On peut donc avoir les meilleurs programmes d’aînés actifs, de super politiques familiales, mais notre champ d’action sera toujours limité s’il n’y a pas de professionnels pour accompagner les gens.

Ça prend une meilleure coordination et plus de cohérence entre les niveaux de gouvernements. En ce moment, tous ont leur chasse gardée, personne ne se parle vraiment. Si on était en mesure de se coordonner de façon efficace avec les ministères, on pourrait offrir des lieux sécuritaires pour que les intervenants puissent agir efficacement en prévention et sur les problèmes ciblés. »

QU’EN EST-IL DES SOINS DE SANTÉ MENTALE?

« Comme pour la majorité des soins spécialisés, les services en santé mentale sont déficients en région. Il n’y a pas du tout de prévention. On est toujours en rattrapage parce que le gouvernement prend des décisions unilatérales sans offrir de soutien aux entités régionales et locales. On est incapable d’anticiper les enjeux et de prévoir les services nécessaires parce que l’accompagnement est déficient dès le départ. Donc les enjeux empirent et deviennent des problèmes importants, alors qu’avec un peu d’accompagnement au départ, ces enjeux-là auraient été faciles à gérer. »